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J’aurais bien volontiers contenté ces deux personnes — en leur donnant un résumé des aventures de Roland — si j’avais pu le faire, ce qui hélas ! n’était pas le cas. Je n’avais aucune idée de ce qui arriverait au Pistolero et à ses amis. Pour le savoir, il fallait que je l’écrive. J’avais bien fait un plan, mais je l’avais égaré en cours de route (ça ne valait probablement pas un kopek, de toute façon). Tout ce que j’avais, c’étaient quelques notes en vrac (« Va, cours, vole… », dit un bout de papier posé sur mon bureau, au moment où j’écris ces lignes). Finalement, en juillet 2001, je me suis remis à écrire. J’avais fini par comprendre que je n’avais plus dix-neuf ans, et que je n’étais pas à l’abri des maux qui affectent la chair. Je savais que j’allais un jour avoir soixante ans, peut-être même soixante-dix. Et je voulais finir cette histoire avant la visite ultime du type au radar. Je n’avais aucune envie d’être rancardé entre Les Contes de Canterbury et Le Mystère d’Edwin Drood.

Le résultat — pour le meilleur et pour le pire —, vous l’avez sous les yeux, Fidèle Lecteur, que vous attaquiez le volume un, ou bien le cinquième. C’est ainsi que s’achève l’histoire de Roland. J’espère qu’elle vous plaira.

En ce qui me concerne, je me suis éclaté.

Stephen King
Le 25 janvier 2003

AVANT-PROPOS

Quand les écrivains s’expriment sur leur travail, dans la plupart des cas, c’est pour pondre des conneries[1]. C’est pourquoi on n’a jamais vu de livre intitulé Cent grandes introductions de la civilisation occidentale, ou Recueils des préfaces préférées du peuple américain. Ça n’engage que moi, bien entendu, mais après avoir rédigé une bonne cinquantaine d’avant-propos et de préfaces — sans parler de tout un livre sur le processus d’écriture — je me dis que j’ai le droit de faire celle-ci. Et je pense que vous pouvez me faire confiance si je vous dis que c’est peut-être l’une des rares occasions où j’ai quelque chose de valable à dire.

Il y a quelques années, j’ai suscité la colère de bon nombre de mes lecteurs en proposant une version révisée et augmentée de mon roman, Le Fléau. On peut le comprendre, j’étais assez anxieux de voir quel accueil serait réservé à ce livre, car Le Fléau est depuis toujours le roman préféré de mes lecteurs (pour ce qui est des fans les plus acharnés, j’aurais aussi bien pu mourir en 1980 sans qu’on me regrette plus que ça).

S’il existe une histoire de nature à rivaliser avec Le Fléau dans l’esprit des lecteurs, c’est probablement celle de Roland Deschain et de sa quête de la Tour Sombre. Et maintenant — bon sang ! — voilà que j’ai refait la même chose.

Sauf que ça n’est pas la même chose, pas exactement, et il faut que vous le sachiez. Je veux que vous sachiez ce que j’ai fait, et pourquoi. Ce n’est peut-être pas important à vos yeux, mais pour moi c’est très important, c’est pourquoi cet avant-propos échappe (je l’espère) à la règle des Conneries selon King.

Tout d’abord, je tiens à rappeler qu’au stade du manuscrit, Le Fléau avait subi des coupes sombres, non pas pour des raisons éditoriales, mais pour des raisons financières (il y avait aussi des histoires de reliure, mais je ne veux même pas m’engager sur ce terrain-là). Ce que j’ai publié dans les années 1980, c’étaient des extraits révisés du manuscrit original. J’avais aussi corrigé l’ensemble du livre, notamment pour prendre en compte l’épidémie de sida qui avait émergé entre l’édition originale et la publication de la version révisée, huit ou neuf ans plus tard. Le résultat, c’était l’ajout de cent mille mots, entre la première et la seconde version.

Dans le cas du Pistolero, le volume original n’était pas épais, et les ajouts ne représentent qu’environ trente-cinq pages, soit neuf mille mots. Si vous avez lu la première mouture du Pistolero, vous ne trouverez que deux ou trois scènes radicalement nouvelles. Les puristes de La Tour Sombre (et ils sont étonnamment nombreux, il suffit de faire un tour sur le Net pour s’en convaincre) vont vouloir relire le livre, et beaucoup le feront sans doute avec un mélange de curiosité et d’irritation. Je compatis, mais je dois dire que je me soucie moins d’eux que de ceux qui abordent l’histoire de Roland et son ka-tet[2] pour la première fois.

En dépit de l’existence de ces fervents disciples, le récit de la Tour est bien moins connu que ne l’est Le Fléau. Parfois, quand je fais des lectures, je demande aux participants s’ils ont lu certains de mes romans. Puisqu’ils se sont donné la peine de venir — parfois, il leur a fallu payer une baby-sitter et un plein d’essence — il n’est pas très surprenant d’en voir beaucoup lever la main. Puis je demande à ceux qui ont lu un ou plusieurs volumes de La Tour Sombre de garder la main levée. Et immanquablement, la moitié au moins baisse la main. La conclusion s’impose d’elle-même : bien que j’aie passé un temps incalculable à écrire ces livres, durant les trente-trois ans qui séparent 1970 de 2003, ils ont été lus par peu de gens, proportionnellement. Pourtant, ceux qui les ont lus sont devenus des passionnés, et je dois dire que je le suis aussi — assez pour ne jamais me résoudre à laisser Roland dans cet exil des personnages inachevés (rappelez-vous les pèlerins de Chaucer, en route pour Canterbury, ou encore ce dernier roman inachevé de Charles Dickens, Le Mystère d’Edwin Drood.) je pense que j’ai toujours supposé (dans un coin de ma tête, car je ne me rappelle pas y avoir réfléchi consciemment) que j’aurais le temps de finir, peut-être même que, l’heure venue, Dieu m’enverrait un télégramme pour m’en informer : « Ding-dong / Remets-toi au boulot, Stephen / Il est temps de finir La Tour. » Et, en fait, c’est un peu ce qui s’est produit, même si ce n’était pas sous la forme d’un télégramme, mais sous le choc d’une rencontre, avec un break Plymouth. Si le véhicule qui m’a renversé ce jour-là avait été un peu plus gros, ou s’il avait mieux visé, ça se serait fini en « ni fleurs ni couronnes », la famille King vous remercie de vous être uni à son deuil. Et la quête de Roland n’aurait jamais connu de fin, du moins de ma main.

Quoi qu’il en soit, en 2001 — quand je commençais à reprendre du poil de la bête — j’ai décidé que l’heure était venue d’achever l’histoire de Roland. J’ai remis tout le reste à plus tard et je me suis attaqué aux trois derniers volumes. Comme toujours, ce n’est pas tant pour les lecteurs qui me le demandaient que pour moi-même que je l’ai fait.

Bien qu’à l’heure où j’écris ces lignes (à l’hiver 2003), il reste encore à procéder aux corrections des deux derniers volumes, je les ai tous deux terminés l’été dernier. Et, pendant le temps de battement entre le travail éditorial sur le volume cinq (Les Loups de La Calla) et le volume six (Le Chant de Susannah), j’ai décidé qu’il était également temps de revenir à la case départ et de faire une révision complète de l’ensemble. Pourquoi ? Parce que ces sept volumes n’ont jamais vraiment été conçus comme des histoires distinctes, mais plutôt comme des chapitres d’un seul et même récit intitulé La Tour Sombre, et que le début n’était plus synchronisé avec la fin.

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1

Pour plus d’informations sur la question des Conneries, voir Écriture, du même auteur.

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2

Groupe d’individus liés par le destin.