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Quand la sul’dam qui prendrait Liandrin en charge verrait qu’elle était incapable de canaliser le pouvoir – à cause d’un bouclier –, on en ferait des gorges chaudes, inutile de rêver. Au moins, ça expliquerait pourquoi l’impudente blonde ne portait pas de collier.

Cela dit, Elbar devrait dénicher une Atha’an Shadar parmi les sul’dam. Ce ne serait pas un jeu d’enfant, parce que ces femmes se tournaient rarement vers le Grand Seigneur, mais pour superviser Liandrin, il faudrait quelqu’un de confiance.

— Allume deux lampes, ordonna Suroth en sortant du lit, puis apporte-moi une robe de chambre et des pantoufles.

Liandrin rampa quasiment jusqu’à la table et chercha à tâtons la coupe de sable qui reposait sur un trépied doré. Se brûlant quand elle la trouva, elle grogna d’agacement, mais fut prompte à saisir les pinces et à s’emparer d’une braise sur laquelle elle souffla. Après avoir allumé avec les lampes d’argent, elle régla la longueur des mèches pour que les flammes soient stables et qu’il n’y ait pas de fumée.

Son insolence verbale aurait pu faire croire qu’elle se croyait l’égale de Suroth et non sa chose. Mais le fouet lui avait appris à exécuter les ordres sans traîner.

Quand elle se retourna, une lampe à la main, découvrir Almandaragal, toujours debout dans son coin, lui arracha un petit cri – d’autant plus que l’animal ne la quittait pas des yeux. À croire qu’elle n’avait jamais vu le compagnon de Suroth ! Cela dit, il était impressionnant avec ses dix pieds de haut, ses deux mille livres et sa peau semblable à du vieux cuir. Comme pour taquiner l’idiote, il fléchit les pattes avant, histoire de faire saillir ses griffes.

— Tout doux ! lança Suroth au lopar.

Toujours mutin, le monstre ouvrit la gueule, dévoilant ses crocs, avant de se laisser retomber sur le sol, la tête sur les pattes avant comme un gentil toutou.

Toutou ou pas, il ne referma pas les yeux. Malgré leur apparence, les lopar étaient très intelligents et celui-là se méfiait de Liandrin au moins autant que Suroth.

Sans cesser de jeter des coups d’œil furtifs au monstre, la da’covale trouva assez rapidement dans la grande armoire une paire de pantoufles en velours bleu et une robe de chambre en soie blanche brodée de fils verts, rouges et bleus.

Elle présenta le vêtement à Suroth pour qu’elle l’enfile, mais la Haute Dame dut nouer la longue ceinture elle-même. Dans le même ordre d’idées, il lui fallut tendre ostensiblement un pied pour que Liandrin daigne s’agenouiller et lui mettre les pantoufles. Quelle crétine bonne à rien, décidément !

À la chiche lumière des lampes, Suroth s’inspecta dans son grand miroir en pied. De fatigue, elle avait les yeux cernés et la queue de sa crête de cheveux pendait lamentablement dans son dos – un relâchement acceptable la nuit. À l’évidence, son crâne aurait eu besoin d’un coup de rasoir. Parfait ! Ainsi, l’émissaire de Galgan penserait qu’elle mourait d’inquiétude pour Tuon – la vérité, à un ou deux détails près.

Avant d’écouter le message du général, Suroth devait encore s’acquitter d’une formalité.

— Va voir Rosala et implore-la de te rouer de coups, ordonna-t-elle à Liandrin.

La bouche trop fine de la da’covale s’arrondit de surprise et ses yeux devinrent ronds comme des billes.

— Pourquoi ? gémit-elle. Je n’ai rien fait de mal !

Pour ne pas se charger elle-même de la correction, Suroth s’occupa les mains en resserrant le nœud de sa ceinture. Si on apprenait qu’elle avait frappé une da’covale, elle devrait garder les yeux baissés pendant un bon mois.

Bien entendu, une Haute Dame ne devait aucune explication à son esclave. Mais quand Liandrin serait parfaitement formée, sa maîtresse regretterait de ne plus pouvoir l’humilier en lui mettant le nez dans ses déjections. Alors, autant en profiter avant qu’il soit trop tard.

— Toi, n’avoir rien fait ? Pour commencer, tu as tourné autour du pot au sujet de l’émissaire. Et tu continues à multiplier les « je », au lieu de parler de toi en disant « Liandrin », comme il sied à une vermine. Surtout, tu as osé me regarder dans les yeux.

Une tirade que Suroth avait sifflée à la manière d’une vipère… Se recroquevillant sur elle-même à chaque mot, Liandrin se décida à baisser les yeux, comme si ça pouvait compenser son arrogance passée.

— Au lieu d’obéir, continua Suroth, tu as discuté mes ordres… Mais tout ça n’est rien. Tu seras battue parce que j’ai envie que tu le sois. À présent, file, et répète toutes ces raisons à Rosala, histoire qu’elle mette du cœur à l’ouvrage.

— Liandrin a entendu et t’obéira, Haute Dame ! s’écria la da’covale.

Enfin un comportement adéquat !

Fonçant vers la porte, Liandrin faillit s’emmêler les pinceaux et perdit une de ses savates blanches. Trop terrifiée pour se retourner – voire pour s’apercevoir de ce qui lui arrivait –, elle ouvrit la porte et détala.

En principe, envoyer une esclave se faire châtier n’aurait pas dû être une source de jubilation. En principe, oui…

Suroth prit le temps de se calmer. Paraître abattue et inquiète, d’accord, mais avoir l’air excitée comme une puce…

Hélas, Liandrin l’avait mise hors d’elle, le souvenir de ses cauchemars la hantait et elle s’inquiétait du sort de Tuon – moins que du sien, cependant.

Lorsque son reflet parut enfin d’un calme de statue, elle franchit à son tour la porte de sa chambre.

L’antichambre était décorée avec le manque de goût typique d’Ebou Dar. Plafond peint en bleu avec de gros nuages blancs, murs jaunes et carrelage vert et jaune. Même en remplaçant les meubles par de somptueux paravents – presque tous décorés d’oiseaux ou de fleurs par les meilleurs artistes –, un décor criard restait un décor criard.

En découvrant la porte du couloir laissée ouverte par Liandrin, Suroth sentit la moutarde lui monter au nez, mais elle se ressaisit et chassa la da’covale de ses pensées – provisoirement, en tout cas. Maîtresse d’elle-même, elle se concentra sur l’homme qui étudiait le paravent orné d’un félin tacheté de Sen T’jore. En armure rayée de bleu et de jaune, l’officier mince et grisonnant se retourna et mit un genou à terre, bien qu’il n’appartînt pas au Sang. Le casque qu’il serrait sous son bras arborant trois fines plumes bleues, le message devait être important. Mais ça tombait sous le sens ; sinon, Galgan n’aurait pas dérangé Suroth à une heure pareille. Du coup, pour cette fois, elle ne lui en tiendrait pas rigueur.

— Général de bannière Mikhel Najirah, Haute Dame. Le capitaine général Galgan vous présente ses hommages et vous informe qu’il a reçu des nouvelles du Tarabon.

Involontairement, Suroth fronça les sourcils. Le Tarabon ? Ce pays était aussi sûr que Seandar… D’instinct, les doigts de la Haute Dame composèrent des mots, mais elle n’avait pas encore trouvé de remplaçante à Alwhin. Du coup, elle allait devoir parler à cet homme. Cette idée l’agaça, et elle ne fit rien pour le cacher. En plus, ce rustre s’était agenouillé au lieu de se prosterner.

— Quelles nouvelles ? Si on m’a réveillée pour des histoires d’Aiels, je n’apprécierai pas, général de bannière.

La tirade n’impressionna pas le mufle, qui osa même lever les yeux sur Suroth.

— Il n’est pas question d’Aiels, Haute Dame. Le capitaine général veut vous en parler lui-même, pour qu’aucun détail ne vous échappe.

Suroth en rata une inspiration. Que Najirah n’ait pas envie d’être le porteur de mauvaises nouvelles ou qu’on lui ait ordonné d’agir ainsi, ça ne sentait pas bon.