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Perrin faillit regretter de ne pas avoir amené Aram – tant pis pour le risque que Masema en apprenne trop. Si le Zingaro avait passé un peu de temps avec les siens, il aurait peut-être décidé de renoncer à son arme. La seule solution à un problème épineux que Perrin pouvait envisager, même si elle avait peu de chances de succès. Aram aimait son arme – trop, sans doute, mais ce n’était pas une raison pour se séparer de lui. S’il s’était détourné du Paradigme de la Feuille, c’était à cause de Perrin. Du coup, le jeune homme et son épée se trouvaient sous sa responsabilité. Seule la Lumière savait ce qu’il adviendrait d’Aram s’il tombait entre les griffes de Masema…

— Tu observes les Zingari et tu plisses le front, seigneur, dit la générale Khirgan.

Après avoir passé du temps avec cette femme, Perrin était un peu moins gêné par sa façon d’avaler les mots, typique des Seanchaniens.

— Chez vous, ces gens posent des problèmes ? Au Seanchan, nous n’avons rien de comparable, mais ici, j’ai seulement entendu dire que les gens ont tendance à les chasser de chez eux. Si j’ai bien compris, ce sont de fichus voleurs.

Comme Mishima, Khirgan portait aujourd’hui un manteau bleu bordé de rouge et d’or et une veste rouge aux poignets bleus et aux revers ourlés de jaune. Pour indiquer son grade, trois petites barrettes en forme de plumes – celles qui décoraient les casques dans l’armée seanchanienne – ornaient le côté gauche de sa veste. Sur celle de Mishima, il n’y en avait que deux.

Les douze soldats qui chevauchaient derrière leurs chefs étaient en armure rayée et casque peint. Hautement entraînés, ils brandissaient leur lance selon un angle très précis.

Derrière, les partisans de Faile, également au nombre de douze, paradaient dans leur veste de Tear aux manches de satin rayées ou dans leur tenue du Cairhien reconnaissable aux rayures multicolores qui barraient leur poitrine – les couleurs de leurs maisons, mais aussi un signe de puissance. Même s’ils trimballaient une épée, ces jeunes gens semblaient moins dangereux que les militaires, et ils en avaient conscience, si Perrin se fiait aux relents d’agacement qu’il captait dans la brise. Car il était peu vraisemblable qu’ils proviennent des Seanchaniens… Eux, ils attendaient, aux aguets comme des loups certains d’avoir très bientôt besoin de leurs dents. Bientôt, oui, mais pas encore.

— Générale, dit Neald, ils volent une poule de temps en temps. (Avec un petit rire, il lissa sa moustache cirée.) Mais « fichus voleurs », non, je ne dirais pas ça.

Neald avait savouré la stupéfaction des Seanchaniens devant le portail qui les avait amenés ici, et il restait de très bonne humeur, ne manquant pas une occasion de rouler des mécaniques.

Difficile de se souvenir que, sans sa veste noire, il aurait encore trimé dans la ferme de son père, peut-être en nourrissant le projet d’épouser une solide fermière dans un an ou deux.

— Les vrais voleurs sont courageux, et les Zingari n’ont rien dans le ventre.

Recroquevillé dans son manteau noir, Balwer ponctua sa saillie d’une grimace – ou peut-être d’un sourire. Parfois, il était difficile de faire la différence chez ce petit homme sec et malingre – sauf quand Perrin pouvait sentir son odeur.

Neald et Balwer « escortaient » le jeune seigneur au même titre que la sul’dam aux cheveux gris et la damane aux yeux froids accompagnaient Khirgan et Mishima – une façon d’équilibrer les « délégations », semblait-il. Pour les Seanchaniens, quand un a’dam les reliait, une sul’dam et une damane comptaient pour une seule personne.

Perrin se serait contenté de venir avec le seul Neald – Neald et Balwer lui allaient aussi –, mais Tallanvor avait absolument raison au sujet des Seanchaniens et du protocole. Durant les trois jours de pourparlers, on s’était affronté sur la question du plan – fallait-il choisir celui de Perrin ou plutôt l’intégrer à celui de Tylee ? – mais on avait surtout perdu du temps à discutailler sur le nombre de personnes que chaque partie emmènerait. Il fallait une parfaite égalité, et la Seanchanienne prétendait partir avec cent soldats et deux duos sul’dam-damane. Une question d’honneur, selon elle.

Très surprise par les ambitions plus modestes de Perrin, Tylee avait fini par capituler quand le jeune seigneur lui avait fait remarquer que tous les fanatiques de Faile, hommes comme femmes, étaient des nobles.

Déjà agacée qu’on choisisse le plan de son allié – parce qu’elle n’avait rien de mieux à proposer –, Tylee n’avait pas vraiment apprécié de disposer d’une escorte moins huppée.

Des gens bizarres, ces Seanchaniens. En fait, rien n’était simple. Dans le cadre d’une alliance temporaire – et des plus fragiles –, les deux chefs avaient parfaitement conscience de devoir marcher sur des œufs.

— En deux occasions, dit Perrin, les Zingari nous ont accueillis sans rien demander en retour, mes amis et moi. Mais mon plus grand souvenir, à leur sujet, c’est le jour où les Trollocs encerclaient Champ d’Emond. Sur la grand-place, les Tuatha’an attendaient avec des enfants attachés dans le dos – les nôtres plus ceux des leurs, très rares, qui avaient échappé au massacre. Ils ne se seraient pas battus, car ce n’est pas dans leur philosophie, mais en cas de défaite de mes gars, ils étaient prêts à filer avec les petits pour les mettre en sécurité. Emmener nos gosses, il faut le comprendre, aurait encore diminué leurs chances de s’en tirer, mais ils s’étaient portés volontaires.

Neald se racla la gorge et détourna le regard, les joues un peu rouges. Malgré tout ce qu’il avait vu et fait, il était encore très jeune – à peine dix-sept ans.

Cette fois, Balwer sourit sans l’ombre d’un doute.

— Ta vie pourrait être une légende, dit Tylee, visiblement avide d’en apprendre davantage.

— Je préférerais qu’elle soit très ordinaire, répliqua Perrin.

Les légendes, c’était trop agité pour un homme en quête de paix.

— Un jour, dit Mishima, j’aimerais voir un de ces Trollocs dont on me parle sans arrêt.

Dans l’odeur du Seanchanien, Perrin identifia de l’amusement. Pourtant, l’officier porta la main à son épée, peut-être sans s’en apercevoir.

— Je doute que tu apprécierais, fit Perrin. Ça arrivera tôt ou tard, mais tu ne seras pas content du tout.

Son amusement oublié, le Seanchanien finit par acquiescer. À force, il commençait à croire que les Trollocs et les Myrddraals n’étaient pas des légendes. Et s’il doutait encore un peu, l’avenir très proche le détromperait.

Quand les cavaliers entrèrent dans Almizar et prirent la direction du nord, Balwer s’éclipsa et Medore l’accompagna. Presque aussi noire que Tylee, mais avec des yeux bleus, cette grande Tearienne portait un pantalon et une veste d’homme – avec des manches bouffantes rayées de rouge –, et une épée battait son flanc. Alors que Balwer se recroquevillait sur son cheval, elle se tenait bien droite sur sa selle, ainsi qu’il convenait pour la fille d’un Haut Seigneur et la meneuse des adorateurs de Faile. Pourtant, elle se plaça derrière Balwer, pas à ses côtés. Bizarrement, les partisans de Faile semblaient avoir accepté d’être placés sous l’autorité du petit secrétaire. Du coup, ils étaient bien moins enquiquinants qu’avant. En un sens, ils en devenaient presque utiles, ce que Perrin n’aurait pas cru possible.

Sans protester sur le départ des deux cavaliers, Tylee les regarda pensivement.

— La dame se montre très courtoise, fit-elle. Aller rendre visite à la servante d’une amie…

L’histoire improvisée par Balwer. Il prétendait connaître une habitante d’Almizar, et Medore faisait mine de vouloir à tout prix la voir, si elle était encore vivante.