Выбрать главу

Perrin secoua très légèrement la tête. Un hasard sans rapport avec sa nature de ta’veren. Rand lui-même n’était pas capable de faire advenir ces petits miracles.

Les couleurs se formant dans sa tête, il les chassa sans la moindre pitié.

Dès que la carte fut déroulée et lestée de poids aux quatre coins, Tylee l’étudia le temps dont elle avait besoin pour trouver ses repères. Couvrant la table, la carte montrait exactement ce qu’elle voulait, avec de petites parties de l’Amadicia et du Ghealdan. Tout était indiqué et on trouvait le nom des cours d’eau, des villes et des villages.

Perrin vit que c’était une carte bien supérieure à celles dont on disposait en moyenne. L’influence du ta’veren ? Non, c’était impossible.

— Les raken trouveront mes soldats ici, dit Tylee en indiquant un point précis. Départ immédiat. Un pilote par raken et pas d’objets personnels. On volera léger et aussi vite que possible. Retour demain avant la nuit. Les autres morat’raken voyageront avec les rampants. Moi, j’espère partir d’ici à quelques heures. Que tout le monde se prépare et se rassemble.

— Des charrettes, dit Perrin.

Neald ne pourrait pas ouvrir un portail assez large pour un chariot.

— Tout ce qu’ils emporteront devra être dans des charrettes et non des chariots.

Faloun sembla ne pas en croire ses oreilles.

— Des charrettes, donc…, fit Tylee. À toi de t’en occuper, capitaine.

Dans l’odeur de l’officier, Perrin crut reconnaître une furieuse envie de poser des questions. Mais en bon Seanchanien, Faloun s’en abstint :

— À tes ordres, générale de bannière.

Lorsque Tylee et Perrin repassèrent dans la salle commune, le désordre y régnait toujours, mais d’une nature différente. Courant dans tous les sens, les fonctionnaires finissaient de se débarrasser des cafards avec de grands balais. Quelques femmes avaient les larmes aux yeux, et certains hommes se seraient bien laissés aller à les imiter. Dans l’air, l’odeur de la peur flottait toujours.

Le cadavre n’était plus là. Mais les fonctionnaires, nota Perrin, faisaient de grands détours pour ne pas marcher là où il était tombé. Dans le même ordre d’idées, ils tentaient de ne pas écraser de cafards, ce qui les contraignait à se hisser souvent sur la pointe des pieds.

Quand le jeune seigneur gagna la sortie dans un concert de craquements de carapaces, ils s’arrêtèrent pour le suivre des yeux.

Dehors, on était à peine un peu plus calme que dedans. Les soldats de Tylee se tenaient toujours près de leur monture et Neald surjouait la nonchalance en allant jusqu’à bâiller à s’en décrocher la mâchoire.

En revanche, la sul’dam tentait d’apaiser sa damane et les soldats en veste bleue, bien plus nombreux qu’auparavant, conversaient nerveusement entre eux.

Tenant leur monture par la bride, les fanatiques de Faile vinrent entourer Perrin. Excités, ils parlèrent tous en même temps.

— C’est vrai, seigneur ? demanda Camaille, rongée par l’inquiétude.

Barmanes, son frère, intervint :

— Quatre hommes ont sorti on ne sait trop quoi enveloppé dans une couverture. En évitant de baisser les yeux dessus.

Les jeunes gens cédèrent à la panique.

— Ils ont dit qu’un type a vomi des cafards…

— Et que d’autres blattes sont sorties de son corps…

— Regardez ! Ils poussent des insectes dehors avec leurs balais. On va tous se faire tuer !

— Que la Lumière brûle mon âme, le Ténébreux se libère !

Un échantillon des remarques les moins absurdes… C’était dire…

— Silence ! ordonna Perrin.

Miracle des miracles, les jeunes gens obéirent. En général, ils ne manquaient jamais de rappeler qu’ils étaient au service de Faile, pas à celui de Perrin. Là, ils attendaient qu’il apaise leur angoisse.

— Un homme a bien vomi des blattes avant de mourir, mais ce sont des insectes tout ce qu’il y a d’ordinaire. Qui piquent quand on s’assoit dessus, mais rien de plus. Le Ténébreux a sûrement quelque chose à voir avec cette affaire, mais ça n’est pas lié à notre mission, qui consiste à libérer Faile. En d’autres termes, on s’en fiche ! Alors, calmez-vous et occupez-vous de nos affaires.

Bizarrement, ce sermon porta ses fruits. Les jeunes gens s’empourprèrent et la honte chassa en partie leurs angoisses.

Alors qu’ils remontaient en selle, leur véritable nature refit surface. Un premier se lança dans une tirade sur les exploits qu’il accomplirait pour secourir Faile, et tous les autres l’imitèrent. Cela dit, il y avait pas mal d’autodérision dans ces vantardises, puisque chaque nouvelle allégation fantaisiste faisait rire ceux qui ne l’avaient pas proférée. Un concours d’idioties, mais délibéré…

Alors qu’il prenait les rênes que lui tendait Carlon, Perrin s’avisa que Tylee le dévisageait. Que voyait-elle en lui ? Que cherchait-elle à comprendre ?

— Pourquoi tous les raken sont-ils absents ? demanda le jeune seigneur.

— Nous devons être arrivés en deuxième ou troisième position, répondit la Seanchanienne en se hissant en selle. Je dois encore me procurer des a’dam. Aussi longtemps que j’ai pu, j’ai continué à croire que j’avais une chance de régler ça seule, mais il faut regarder les choses en face. Ton message de Suroth va devoir montrer sa valeur, à présent. S’il échoue, il sera inutile de partir en quête d’a’dam.

Une alliance fragile où la confiance brillait par son absence.

— Pourquoi échouerait-il ? Ici, il a fait son office.

— Faloun est un soldat, seigneur. À présent, nous allons devoir parler avec un dignitaire impérial.

Dans la bouche de Tylee, le mot « dignitaire » sonnait comme une injure. Quand elle s’éloigna, Perrin enfourcha Marcheur et la suivit.

Visiblement prospère, Almizar était une grande ville dotée de six hautes tours de garde mais pas de fortifications. Selon Elyas, la loi, en Amadicia, proscrivait les murs d’enceinte, les réservant à la seule Amador. Un règlement qui favorisait les Fils de la Lumière et qu’ils défendaient bec et ongles, tout comme le roi en exercice, quel qu’il fût.

Ailron étant mort, Balwer apprendrait sûrement qui l’avait remplacé…

Des deux côtés des rues pavées, des bâtiments souvent très hauts se pressaient les uns contre les autres, les toits d’ardoise alternant avec ceux en chaume.

Comme dans toutes les cités, une foule bigarrée sillonnait la cité, au milieu des chariots et des charrettes. Un mélange de marchands ambulants, de femmes en bonnet de laine si enfoncé qu’il leur cachait presque le visage, d’hommes en redingote bouffis d’importance, d’apprentis en gilet ou tablier vaquant à l’une ou l’autre corvée…

Ici, il y avait presque autant de militaires que de civils. Des soldats des deux sexes en uniforme seanchanien aux vives couleurs… La plupart portaient un couteau et une dague, mais certains trimballaient une épée. Marchant par deux, l’œil perpétuellement aux aguets, ces militaires avaient aussi un gourdin à la ceinture.

Une sorte de garde municipale ? Peut-être, mais bien nombreuse, pour une ville de cette taille. Où qu’il regardât, Perrin avait toujours au moins quatre soldats dans son champ de vision.

Deux hommes et une femme sortirent d’une auberge de plusieurs niveaux et enfourchèrent les chevaux que leur avaient amenés des palefreniers. Sans la veste serrée qui saillait au niveau de ses seins, Perrin n’aurait pas reconnu une femme. Les cheveux courts, vêtue comme un homme, la militaire portait une épée presque aussi grande qu’elle. Quant à son visage, en matière de dureté, il n’avait rien à envier à celui de ses compagnons.