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En regardant le trio s’éloigner, Mishima grogna :

— Des Quêteurs du Cor, marmonna-t-il. Là-dessus, je parierais mes yeux. Ces âmes soi-disant d’élite sèment la zizanie partout où elles passent. Les Quêteurs se battent comme des chiffonniers et fourrent leur nez dans ce qui ne les regarde pas. Il paraît que le Cor de Valère a été retrouvé. Qu’en penses-tu, seigneur ?

— J’ai entendu la même chose, confirma Perrin. Mais il y a des rumeurs sur tout, et elles circulent à la vitesse de l’éclair.

Aucun de ses compagnons ne lui jeta un regard. Dans une foule si dense, capter leur odeur serait une mission impossible. Pourtant, bizarrement, Perrin aurait juré qu’ils étaient suspendus à ses lèvres, comme dans l’attente d’une révélation.

Pensaient-ils sérieusement qu’il était lié au cor ? En passant, Perrin savait où se trouvait l’artefact. Moiraine l’avait rapporté à la Tour Blanche. Mais il n’avait aucune intention de le dire. La confiance ne fonctionnait pas dans un seul sens.

Indifférents les uns aux autres, les citadins n’accordaient aucune attention non plus aux soldats, pas plus qu’à Tylee et à son escorte en armure. Avec Perrin, c’était une autre affaire, dès qu’ils voyaient ses yeux jaunes. Lorsque quelqu’un les remarquait, le jeune seigneur s’en apercevait aussitôt. Le sursaut d’une femme, la bouche ouverte de surprise… L’air stupéfié d’un homme soudain pétrifié… Un type était allé jusqu’à s’emmêler les pinceaux et tomber à genoux. Le regard d’abord rivé sur Perrin, il s’était ensuite relevé pour fuir à toutes jambes, comme si l’homme aux yeux jaunes risquait de le poursuivre.

— Je suppose qu’il n’avait jamais vu des yeux comme les miens, marmonna Perrin.

— Dans ton pays, c’est fréquent ? demanda Tylee.

— Pas vraiment, non… Mais je vous présenterai un homme qui a les mêmes yeux que moi…

Mishima et Tylee se dévisagèrent. Soudain inquiet, Perrin espéra qu’il n’y avait rien, dans les prophéties, au sujet de deux hommes aux yeux jaunes.

Des couleurs tourbillonnèrent dans sa tête, mais il les en bannit.

Tylee savait exactement où elle allait – une écurie, tout à fait dans le sud de la ville. Mais quand elle mit pied à terre au milieu de la cour, aucun palefrenier ne se montra.

L’enclos ceint d’un mur de pierre qui jouxtait l’écurie était vide. Après avoir confié ses rênes à un des soldats, Tylee riva les yeux sur la double porte dont un seul battant était ouvert. Dans son odeur, Perrin sentit qu’elle s’armait de courage.

— Suis-moi, seigneur, dit-elle enfin, et ne t’avise pas de parler à tort et à travers. Ça pourrait être dangereux. Si tu as quelque chose à dire, adresse-toi à moi. Qu’il soit clair que c’est à moi que tu parles.

Un discours inquiétant, pourtant, Perrin acquiesça. En même temps, il commença à imaginer un plan permettant de voler la fourche-racine, si les choses tournaient mal. La nuit, cet endroit était-il gardé ? Pour agir, il devrait le savoir – mais Balwer connaissait sans doute la réponse. Étrangement, ce petit homme glanait les informations de ce genre sans même avoir à les chercher.

Tandis que Perrin emboîtait le pas à Tylee, Mishima resta dehors avec les chevaux – et il ne semblait pas s’en plaindre. Comment fallait-il interpréter ça ? Le fallait-il seulement ? Fichus Seanchaniens… En quelques jours, ils l’avaient poussé à voir partout un sens caché aux choses.

À l’évidence, l’endroit était une ancienne écurie, mais tout avait changé. Alors que le sol aurait satisfait la fermière la plus à cheval sur la propreté, on ne voyait pas l’ombre d’un équidé et une odeur de menthe occultait les relents de paille et de crottin que seul un odorat comme celui d’Elyas ou de Perrin aurait pu détecter. Les stalles, en tout cas les premières, étaient pleines de caisses. Au-delà, on les avait démolies, sauf celles qui soutenaient le grenier. À leur place, des femmes et des hommes assis à des tables travaillaient avec des mortiers, des pilons ou des passoires tandis que d’autres surveillaient des sortes de poêles plates sur trépied placées au-dessus de braises ardentes. Avec des pinces, ils remuaient ce qui semblait être des racines.

En manches de chemise, un jeune type mince fourra un gros sac dans une des caisses puis s’inclina devant Tylee – aussi humblement que le fonctionnaire, dans la ferme. Et il ne se releva pas avant qu’elle ait parlé.

— Je suis la générale de bannière Khirgan. J’aimerais parler au responsable de cet établissement.

Un ton très différent qu’avec le fonctionnaire… Pas péremptoire du tout.

— À vos ordres, répondit le jeune homme avec, semblait-il, un accent de l’Amadicia.

En tout cas, si c’était un Seanchanien, il parlait à la bonne vitesse et sans avaler ses mots.

Après une autre révérence, il courut vers un endroit où six stalles avaient été dotées d’un mur de devant et tapa à une porte. Plein de déférence, il attendit qu’on lui ait répondu pour entrer.

Quand il se remontra, il fila vers le fond du bâtiment, sans un regard pour Tylee et Perrin. Après quelques minutes, le jeune seigneur voulut parler, mais sa compagne secoua la tête et fit la grimace. Il se mura donc dans son silence et attendit.

Un quart d’heure s’écoula. De plus en plus énervé, Perrin s’étonna du calme souverain de la Seanchanienne.

Une femme en robe jaune consentit enfin à sortir de ce qui devait être un bureau. Là, elle étudia ce qui se passait au fond du bâtiment – sans paraître remarquer la présence des visiteurs.

La moitié du crâne rasée, l’inconnue portait le reste de ses cheveux en une longue tresse qui pendait sur son épaule. Hochant la tête de satisfaction, elle se retourna et avança enfin vers Perrin et Tylee – sans hâte, néanmoins. Sur sa poitrine, dans un ovale bleu, on remarquait trois mains brodées de fil d’or.

Tylee s’inclina aussi humblement que Faloun, un peu plus tôt. Se souvenant des consignes, Perrin l’imita.

La femme hocha à peine la tête. Dans son odeur, la fierté dominait.

— Tu veux me parler, générale de bannière ?

Une voix lisse, un peu à son image passe-partout. Et pas accueillante du tout. Celle d’une femme occupée qu’on dérangeait et qui avait pleine conscience de son importance.

— Oui, Honorable, fit Tylee, très respectueuse.

Un rien d’irritation s’ajouta à son odeur, mais ça ne dura pas, et rien ne se vit sur son visage.

— Pouvez-vous me dire combien de fourche-racine préparée vous avez en réserve ?

— Une étrange question, fit la femme, comme si elle envisageait de ne pas y répondre. (Mais elle en décida autrement.) Au comptage de ce matin, je disposai de quatre mille huit cent soixante-treize livres et neuf onces… Un stock remarquable, si j’ose le dire moi-même, considérant le volume récent de mes ventes et la difficulté de trouver la plante dans la nature sans envoyer mon personnel à l’autre bout du monde.

Si impossible que ça parût, l’odeur de fierté devint plus forte.

— J’ai résolu ce problème en incitant les fermiers du coin à cultiver de la fourche-racine. Avant l’été, je devrai trouver de plus grands locaux pour ma fabrique. De vous à moi, je ne serais pas surprise qu’on me récompense en m’offrant un nouveau nom. Un honneur que je n’accepterai peut-être pas…

Avec un sourire inexpressif, elle toucha le panneau ovale de sa robe – presque une caresse, en réalité.

— Honorable, la Lumière t’accordera sans doute ses faveurs, souffla Tylee. Seigneur, veux-tu bien montrer ton précieux document à notre hôtesse ?