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Tout ce qu’Arymilla avait à faire, c’était introduire assez d’hommes en ville pour s’emparer d’une porte. Alors, elle pourrait livrer bataille dans les rues, faisant jouer à fond son avantage numérique.

La population se rangerait peut-être dans le camp d’Elayne, mais ça ne changerait pas grand-chose, sinon ajouter des victimes – contre des militaires entraînés, des apprentis, des palefreniers et des boutiquiers n’auraient aucune chance. Alors, quelle que soit la femme qui s’assiérait sur le trône du Lion – très probablement, ce ne serait pas Elayne Trakand –, elle l’aurait d’abord souillé de sang. Celui de Caemlyn et de son peuple…

Du coup, à part les forces affectées à la défense des portes et à la surveillance, sur les tours, Elayne avait regroupé tous ses hommes dans la Cité Intérieure, très près du palais royal où des guetteurs, en haut des flèches, sondaient les alentours avec leur longue-vue.

Dès qu’une sentinelle signalait une attaque, des membres de la Famille formant un lien ouvraient un portail pour transférer des défenseurs là où on avait besoin d’eux. Bien entendu, ces femmes ne participaient pas au combat. Si elles l’avaient voulu, Elayne ne les aurait pas autorisées à utiliser le Pouvoir comme une arme.

Jusque-là, cette tactique fonctionnait, même si on était souvent passé près de la catastrophe. Caemlyn la Basse, à l’extérieur de la muraille, était un labyrinthe de maisons, de boutiques, d’auberges et d’entrepôts idéal pour dissimuler des soldats animés de mauvaises intentions. En trois occasions, les braves d’Elayne avaient dû se battre à l’intérieur de la cité pour reprendre au moins une des tours. Chaque fois, ça s’était soldé par une boucherie.

Elayne aurait bien fait incendier Caemlyn la Basse, mais les flammes auraient risqué de se répandre dans toute la cité et la dévaster, giboulées printanières ou pas. Toutes les nuits, des incendies éclataient en ville, et les maîtriser était assez difficile comme ça. Du sabotage, bien entendu…

Enfin, mais ça passait avant tout, des gens vivaient toujours dans Caemlyn la Basse – oui, malgré le siège – et Elayne ne voulait pas entrer dans l’histoire sous les traits d’un monstre qui aurait détruit l’habitat de son peuple et tué des centaines d’innocents.

Ce qui rongeait la Fille-Héritière, c’était de ne pas avoir pensé plus tôt à utiliser les membres de la Famille pour ouvrir les portails. Dans ce cas, elle n’aurait pas eu sur les bras les femmes du Peuple de la Mer, qui lui avait en outre extorqué une demi-lieue carrée de la terre sacrée d’Andor. Par la Lumière, une demi-lieue carrée ! Pendant son règne, sa mère n’avait pas cédé un pouce carré de terre.

Morgase… Avec ce siège, Elayne n’avait même pas le temps de la pleurer convenablement. Même chose pour Lini, sa vieille nourrice. Rahvin avait tué Morgase, et sans nul doute, Lini était morte en essayant de la protéger. Même minée par l’âge, la nourrice n’aurait pas reculé, y compris face à un Rejeté.

Dans la tête d’Elayne, un des fameux proverbes de Lini retentit :

« Mon enfant, nul ne peut remettre le miel dans les rayons… »

Ce qui était fait ne pouvait être défait, et il fallait vivre avec.

— Nous y voilà, dit Caseille. Ils battent en retraite vers les échelles.

La stricte vérité. Partout, des défenseurs repoussaient en direction des échelles les soldats qui avaient pris pied sur le chemin de ronde. Par endroits, on mourait encore, mais la bataille touchait à sa fin.

À sa propre surprise, Elayne sentit qu’elle talonnait Cœur de Feu. Et cette fois, nul ne fut assez rapide pour la retenir. Alors que des cris retentissaient dans son dos, elle galopa jusqu’à l’autre côté de la rue et mit pied à terre à la base de la tour la plus proche – acrobatiquement, sans attendre que sa monture se soit complètement arrêtée.

Poussant la lourde porte, elle souleva l’ourlet de sa robe d’équitation et s’engagea dans l’escalier, qu’elle gravit sous l’œil ébahi des hommes postés dans de larges niches. Très spécifiquement, ces tours étaient conçues pour arrêter des envahisseurs arrivés par le haut et prétendant descendre pour prendre les défenseurs à revers.

Enfin, les marches donnèrent sur une grande salle où prenait naissance un autre escalier, tout au fond. En plastron et casque mal assortis, une vingtaine d’hommes – la première ligne de défense verticale – passaient le temps en jouant aux dés ou en plaisantant comme s’ils n’étaient pas une bande de morts en instance. Dès qu’ils aperçurent Elayne, ces types se pétrifièrent, les yeux ronds.

— Ma dame, à votre place, je ne ferais pas ça, dit une voix rauque alors qu’Elayne commençait à retirer la lourde barre qui bloquait la porte donnant accès aux remparts.

Ignorant ce conseil, la Fille Héritière retira la barre et ouvrit le battant. Une main voulut s’accrocher à sa jupe, mais elle se dégagea.

Sur le chemin de ronde, il ne restait plus un seul assaillant. Debout, en tout cas. Partout, des morts et des blessés gisaient, et parmi eux, il y avait nécessairement des partisans d’Arymilla. Mais le fracas des armes s’était tu et les mercenaires, pour la plupart, s’occupaient des blessés ou étaient assis sur les talons pour reprendre leur souffle.

— Secouez ces fichues échelles et remontez-les ! beugla Birgitte.

Se penchant, elle décocha une flèche sur les hommes qui tentaient de fuir dans les ruelles de Caemlyn la Basse, au pied du chemin de ronde.

— S’ils veulent revenir, ajouta-t-elle en tirant une deuxième fois, ils devront en fabriquer d’autres.

Très peu de mercenaires obéirent.

Sans cesser de tirer, l’archère s’adressa à Elayne :

— Je savais que je n’aurais pas dû te permettre de venir, aujourd’hui.

En haut des tours, les arbalétriers tiraient aussi, mais les entrepôts faisaient d’assez bons abris pour des assaillants en déroute.

Elayne eut besoin d’un moment pour enregistrer la dernière phrase de Birgitte et comprendre qu’elle s’adressait à elle.

— Et tu m’en aurais empêchée comment ? demanda-t-elle, montée sur ses ergots.

Son carquois étant vide, Birgitte baissa son arc et se retourna.

— En te ligotant et en demandant à Aviendha de s’asseoir sur toi !

L’Aielle, justement, venait de débouler sur le chemin de ronde. Même si l’aura du saidar l’enveloppait, elle serrait dans son poing son couteau à manche de corne.

Caseille et les autres gardes rapprochées la suivaient, épée au poing et mine plus que grise. Voir qu’Elayne n’avait rien n’améliora pas leur humeur. Dès qu’il s’agissait de la traiter comme un vase précieux susceptible de se briser au moindre choc, ces maudites femmes n’en rataient pas une. Après cet épisode, elles seraient pires que jamais. Et qui devrait les supporter ?

— Je t’aurais rattrapée, maugréa Aviendha en se massant la hanche, mais ce cheval de malheur m’a désarçonnée.

Avec une jument si douce, c’était très peu probable. Aviendha, à n’en pas douter, était tombée de selle toute seule. Dès qu’elle eut évalué la situation, elle rengaina son couteau et fit mine de ne l’avoir jamais tiré de son fourreau. Dans le même ordre d’idées, l’aura du saidar se dissipa.

— Je n’ai pris aucun risque, dit Elayne en tentant de supprimer toute ironie de sa voix – une mission impossible. Min affirme que je porterai mes bébés jusqu’au terme. Tant qu’ils ne sont pas nés, je n’ai rien à craindre.

Aviendha acquiesça à contrecœur, mais Birgitte lâcha :

— Tant qu’à faire, j’aimerais que tu ne mettes pas ses visions à l’épreuve. Prends trop de risques, et tu démontreras qu’elles sont fausses.

Un monceau d’âneries ! Min ne se trompait jamais. Ça, c’était garanti.