Выбрать главу

Comment était-il possible qu’il y ait eu tant de Gardes éparpillés çà et là ?

— Je me nomme Charlz Guybon, Votre Majesté. (Il mit un genou à terre et posa sur les pavés une main gantée.) À Aringill, le capitaine Kindlin m’a autorisé à tenter de rallier Caemlyn. Après que nous eûmes appris l’évasion de dame Naean et des autres…

Elayne éclata de rire.

— Relève-toi, mon ami ! Je ne suis pas encore sur le trône.

Aringill ? Là-bas, il n’y avait jamais eu beaucoup de Gardes.

— À vos ordres, Majes… ma dame.

Une fois debout, Guybon se fendit d’une courbette plus appropriée face à une Fille-Héritière.

— On ne pourrait pas continuer à l’intérieur ? maugréa Birgitte.

En plus des bandes jaunes sur les poignets de sa veste, l’officier remarqua les nœuds qui témoignaient du grade de l’archère. Du coup, il la salua et elle lui répondit brièvement, un bras posé en diagonale sur la poitrine.

Sans doute surpris de voir une femme si haut dans la hiérarchie, Guybon eut la sagesse de ne pas le montrer.

— Je suis trempée jusqu’aux os, insista Birgitte, et toi aussi, Elayne.

Derrière la Fille-Héritière, Aviendha semblait moins chérir la pluie, maintenant que son chemisier trempé lui collait à la peau au-dessus de sa jupe gorgée d’eau qui pesait des tonnes.

À part les huit qui resteraient avec Elayne jusqu’à ce qu’on les relève, les gardes rapprochées conduisirent leurs chevaux à l’abri.

Sur ces étranges militaires, Guybon s’abstint également de commentaires. Jeune mais sage, ce gaillard…

Elayne se laissa entraîner jusqu’à la colonnade qui permettait d’entrer dans le palais. Même là, ses protectrices la couvèrent, quatre marchant devant et quatre derrière. Idéal pour se sentir prisonnière, ça…

Une fois au sec, la Fille-Héritière s’immobilisa. Elle voulait entendre les réponses de Guybon !

Avec une infime quantité de Pouvoir, songea-t-elle, sécher ses vêtements serait un jeu d’enfant. Hélas, la Source se refusa de nouveau à elle. Aviendha ne connaissant pas ce tissage, il allait falloir attendre ici, trempée comme une soupe.

Avec la pluie et les lampes pas encore allumées, l’endroit était très sombre. À tout hasard, Guybon tenta de se peigner avec les doigts.

Par la Lumière ! Ce garçon était proche de la perfection. Même avec la lassitude qui voilait ses yeux noisette, son visage semblait taillé pour sourire. Mais il semblait ne plus l’avoir fait depuis longtemps.

— Le capitaine Kindlin m’a permis de retrouver les hommes que Gaebril a démobilisés. Dès que j’ai eu commencé, ils ont accouru. Ma dame, vous seriez surprise en apprenant combien de ces gars avaient rangé leur uniforme dans un coffre, avec l’espoir de le remettre un jour. Beaucoup avaient gardé leur équipement – un délit, si on s’en tient au règlement –, mais je les en félicite. Quand j’ai eu vent du siège, j’ai craint d’avoir attendu trop longtemps. Alors que je songeais à me frayer un chemin par les armes jusqu’à une porte, maîtresse Zigane et ses compagnes m’ont trouvé. (L’officier hésita.) Quand je l’ai appelée « sœur », elle a paru troublée, mais c’est bien le Pouvoir de l’Unique qui nous a amenés ici ?

— C’est bien lui, oui, mais Zigane n’est pas une sœur, répondit Elayne, évasive. Combien d’hommes t’accompagnent ?

— Quatre mille sept cent soixante-deux Gardes, ma dame. En chemin, j’ai rencontré beaucoup de seigneurs et de dames qui tentaient aussi de rallier Caemlyn avec leurs forces. N’ayez aucune crainte, avant de les prendre avec moi, je me suis assuré qu’ils vous sont loyaux. Il n’y a aucune grande maison dans le lot, mais en tout, ça fait quand même quelque dix mille hommes.

Tout ça dit sur le ton de la conversation. Alors qu’il devait y avoir quarante chevaux en état de galoper dans les écuries, ce type déboulait avec dix mille hommes !

Elayne éclata de rire et tapa dans ses mains.

— Merveilleux, capitaine Guybon !

Arymilla avait toujours l’avantage numérique, mais la marge se resserrait.

— Lieutenant, ma dame. Je ne suis que lieutenant…

— Non. Dès cet instant, tu es le capitaine Guybon !

— Et mon second, ajouta Birgitte, au moins provisoirement. Tu t’es révélé plein de ressources, tu es assez vieux pour avoir de l’expérience, et j’ai besoin de tout ça.

Stupéfié, Guybon s’inclina quand même en balbutiant des remerciements. À dire vrai, un lieutenant si jeune aurait dû servir dix ou quinze ans de plus avant d’être promu capitaine. Quant à devenir le second du capitaine général, même à titre temporaire…

— À présent, dit Birgitte, nous devrions tous aller mettre des vêtements secs. Surtout toi, Elayne.

Dans le lien, la Fille-Héritière sentit une fermeté qui ne lui dit rien de bon. S’il le fallait, l’archère était prête à la tirer par les cheveux.

La colère montant en flèche, Elayne parvint à se contrôler. Elle venait pratiquement de doubler ses forces. Pas question que quelqu’un lui gâche sa joie.

De plus, des vêtements secs, ce ne serait pas désagréable du tout.

14

Des choses mouillées

La lumière du jour ne pénétrant jamais bien loin dans le palais, les lampes étaient allumées, leur flamme oscillant au gré des courants d’air – faute de verre protecteur. Mais les déflecteurs éclairaient plutôt bien les couloirs bondés.

Comme d’habitude, ces corridors grouillaient d’activité. Quand ils ne couraient pas dans tous les sens, les domestiques s’acharnaient à balayer, à briquer ou à cirer. Très élégants dans leur veste rouge ornée d’un Lion Blanc sur le cœur, des hommes perchés sur de très hautes échelles décrochaient les tapisseries d’hiver – des scènes estivales, avec beaucoup de fleurs –, pour les remplacer par les modèles du printemps, qui offraient souvent aux regards des paysages d’automne. Sauter en permanence une saison, pour presque toutes les tapisseries, était plus qu’une coutume. En hiver, ça soulageait un peu du froid, et en été, ça faisait oublier la chaleur. Quant au printemps, n’était-il pas judicieux de rappeler que les nouvelles pousses seraient flétries ou fanées en automne ? Un moment de l’année, avant les rigueurs de l’hiver, où il faisait bon savoir que la nature renaîtrait au bout du compte.

Parmi ces ornements, on trouvait aussi quelques scènes de batailles particulièrement glorieuses pour le royaume d’Andor. Mais Elayne aimait moins les regarder que dans son enfance… Cela dit, elles avaient parfaitement leur place dans le palais. Souvent crûment, elles montraient le vrai visage de la guerre.

La différence entre le regard d’une enfant et celui d’une femme… La gloire s’obtenait toujours au prix du sang. Cela dit, gloire ou non, il était parfois nécessaire de verser son sang et celui des autres pour défendre une juste cause.

Pour effectuer les tâches ménagères dans un temps raisonnable, il n’y avait plus assez de domestiques au palais. Obstacle supplémentaire, un grand nombre d’entre eux, revenus après avoir pris leur retraite, n’étaient plus aussi ingambes qu’avant. Même s’ils avaient tendance à se traîner, Elayne leur était reconnaissante d’avoir renoncé à leur quiétude pour former leurs successeurs et remplacer les hommes et les femmes qui avaient fui pendant le règne de Gaebril ou après la prise de Caemlyn par Rand. Sans eux, le palais aurait ressemblé à une étable. Ou pire, à une porcherie. Au moins, on avait retiré les tapis d’hiver des sols. Sur les dalles rouges et blanches, Elayne laissait des traces brillantes d’humidité. Avec les pluies printanières, les tapis auraient commencé à moisir avant la tombée de la nuit.

Alors qu’ils s’inclinaient devant Elayne, les serviteurs des deux sexes semblaient stupéfiés de la voir trempée comme une soupe. Bien entendu, ça n’améliora pas son humeur. Ces gens ne s’étonnaient pas qu’Aviendha, Birgitte et les gardes rapprochées soient dans le même état. Que la Lumière la brûle ! Si on ne cessait pas de la materner à tout bout de champ, on verrait bientôt de quel bois elle se chauffait.