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Sur le sein gauche, Essande portait le Lys d’Or d’Elayne, et elle n’en était pas peu fière. Deux femmes plus jeunes assistaient leur aînée – en livrée elles aussi, mais avec un lys bien plus petit. Sephanie et Naris, deux solides matrones, s’inclinèrent humblement, les yeux baissés. Très bien formées par Essande, elles s’autorisaient rarement une entorse au protocole.

Fragile et lente, Essande l’était sans aucune contestation. Pour compenser, elle ne perdait jamais son temps à bavasser pour enfoncer des portes ouvertes. Du coup, même si les gardes avaient dû la prévenir, elle ne fit aucun commentaire sur l’allure d’Elayne et d’Aviendha.

— Ma dame, nous allons te sécher, te réchauffer, puis te vêtir comme il convient lorsqu’on rencontre des mercenaires. La robe de soie rouge au col incrusté de pierres précieuses devrait les impressionner. Il est aussi grand temps que tu t’alimentes. Naris, va chercher une collation pour les dames Elayne et Aviendha.

Aviendha eut un grognement, mais voilà beau temps qu’elle ne regimbait plus quand on lui donnait du « ma dame ». Une bonne chose, car rien n’aurait pu en dissuader Essande. Avec les domestiques, on proposait toujours, mais il fallait parfois les laisser disposer.

Pour une raison inconnue, Naris fit la grimace et inspira à fond. Elle s’inclina pourtant devant Essande puis devant Elayne – à peine plus bas, car comme sa sœur, elle témoignait plus de vénération à la vieille dame de compagnie qu’à la future reine d’Andor –, puis gagna la sortie et fila exécuter ses ordres.

Elayne aussi y alla de sa grimace. Les gardes rapprochées avaient parlé des mercenaires à la vieille dame. Et elles avaient aussi cafté sur son repas sauté. Que c’était désagréable, ces gens qui bavassaient dans son dos !

Ou était-ce un autre symptôme de son instabilité émotionnelle ? Jusque-là, elle ne s’était jamais indignée qu’une servante sache à l’avance quelle robe lui préparer ou soit informée de l’état de son appétit. Entre elles, les domestiques parlaient beaucoup – ragotaient en permanence, plutôt –, se transmettant sans cesse des informations utiles au bien-être de leur maîtresse. Quand elles étaient compétentes, en tout cas. Dans son domaine, Essande était une des meilleures.

Pourtant, l’agacement ne s’effaçait pas – même en sachant qu’il était irrationnel, une donnée qui n’arrangeait rien.

Sephanie fermant la marche, Elayne et Aviendha suivirent Essande dans la pièce attenante au salon. Mouillée et frissonnante, furieuse parce que Birgitte s’était défilée, inquiète de s’être égarée et en rogne contre les bavardages de ses gardes rapprochées, Elayne avait connu des jours meilleurs. Des pires, ça n’était pas vraiment sûr…

Sans traîner, Essande la déshabilla puis l’enveloppa dans une grande serviette blanche bien chaude pour avoir été suspendue devant la cheminée. Aussitôt, la Fille-Héritière se sentit mieux. Ce feu-là n’ayant rien de rachitique, la pièce était agréablement chaude et les frissons ne tardèrent pas à disparaître. Pendant que Sephanie s’occupait d’Aviendha – qui ne parvenait toujours pas à s’y faire –, Essande sécha les cheveux de sa maîtresse.

Les deux sœurs d’élection se brossaient réciproquement les cheveux, le soir. Pourtant, accepter cette attention d’une servante mettait l’Aielle atrocement mal à l’aise.

Quand Sephanie ouvrit une des armoires, Aviendha soupira à pierre fendre. Une serviette autour des cheveux et une autre ceignant sa taille – si se faire coiffer l’embarrassait, la nudité ne la gênait absolument pas –, l’Aielle maugréa :

— Puisqu’on va rencontrer des mercenaires, je suis vraiment obligée de m’habiller à la mode des terres mouillées ?

Essande en sourit d’anticipation. Elle adorait vêtir la « sauvage » de soie.

Mourant d’envie de s’esclaffer, Elayne réussit à garder son sérieux. Officiellement opposée aux beaux atours, Aviendha ne ratait pas une occasion d’en porter.

— Si tu peux consentir cet effort, oui…, fit gravement la Fille-Héritière tout en ajustant la serviette qui entourait sa propre taille.

Chaque jour, Essande la voyait nue – même chose pour Sephanie –, mais ça ne devait pas devenir un événement sans importance.

— Dans l’idéal, nous devrions toutes les deux leur en mettre plein la vue. Pour toi, ce n’est pas un trop gros sacrifice, pas vrai ?

Déjà devant l’armoire, sa serviette béant sur sa poitrine, Aviendha palpait des robes en experte. Dans une autre armoire, des tenues aielles attendaient son bon vouloir. Mais avant le départ d’Ebou Dar, Tylin lui avait offert plusieurs coffres de robes de soie ou de laine – assez pour remplir la moitié des armoires.

L’amusante diversion apaisa un peu Elayne, qui n’eut plus le sentiment de devoir ronchonner sur tout et sur n’importe quoi. Du coup, sans résistance, elle laissa Essande lui passer la robe de soie rouge au col presque indécemment ornementé. À coup sûr, le col à lui tout seul suffirait à impressionner les capitaines. Pas besoin d’autres bijoux – sinon la bague au serpent, susceptible à elle seule de faire respecter une femme.

Malgré les mains de fée d’Essande, Elayne frémit quand elle commença à fermer les minuscules boutons, resserrant le corsage sur ses seins hautement sensibles, ces derniers temps. Sur la durée du phénomène, les avis divergeaient, mais tout le monde s’accordait à dire qu’il s’accentuerait.

Combien elle regrettait que Rand soit trop loin pour partager à fond tous les effets de leur lien. Ça lui apprendrait à coller des marmots comme ça à une femme ! Bon, avant de faire l’amour avec lui, elle aurait pu boire une infusion de feuille-cœur, mais… Non, elle n’allait pas culpabiliser. Tout ça, c’était la faute de Rand, point final !

Comme souvent, Aviendha choisit une robe bleue au corsage rehaussé de perles. S’il était moins profond que l’exigeait la mode d’Ebou Dar, le décolleté révélait quand même la naissance de ses seins. Peu de robes confectionnées dans cette ville échappaient à cette règle…

Tandis que Sephanie s’attaquait aux boutons, Aviendha se mit à jouer avec un petit objet qu’elle avait sorti de sa bourse un peu plus tôt. Un poignard, avec un manche en corne enveloppé de fils d’or. Accessoirement, c’était aussi un ter’angreal. Avant de devoir interrompre ses recherches pour cause de grossesse, Elayne n’avait pas réussi à savoir à quoi il servait.

Elle ne savait pas que sa sœur le portait sur elle. Tandis qu’elle le contemplait, des étoiles passèrent dans les yeux de l’Aielle.

— Qu’est-ce qui te fascine tant ? demanda Elayne.

Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait Aviendha quasiment en transe devant l’arme.

Aviendha sursauta et baissa les yeux sur le poignard. Pas plus longue que sa paume, la lame qui semblait en fer n’avait jamais été aiguisée. Même la pointe paraissait trop émoussée pour pouvoir traverser quoi que ce soit.

— Je voulais te l’offrir, mais comme tu n’as jamais rien dit à son sujet, j’ai pensé que c’était une erreur. On t’aurait crue en sécurité, vis-à-vis de certaines menaces, en tout cas, mais ça n’aurait pas été vrai. Du coup, j’ai décidé de le garder. Ainsi, si j’ai raison, je peux au moins te protéger. Et si je me trompe, ça ne fait de mal à personne.

Larguée, Elayne secoua sa tête enveloppée dans une serviette.

— Raison à propos de quoi ? Et de quoi parles-tu ?

— De ça, fit Aviendha en levant le poignard à hauteur de ses yeux. Si tu l’avais sur toi, je pense que l’Ombre ne pourrait pas te voir. Idem pour les Sans-Yeux, les Fils de l’Ombre ou même le Tueur de Feuille. Mais je me trompe peut-être, puisque tu ne sembles pas t’en apercevoir.