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Oui, Galina aimait ses longues promenades solitaires – mais jusqu’à un certain point. Parce que ce « privilège », quand on creusait bien, indiquait combien elle appartenait à Thevara – au même titre que sa robe de soie, sa ceinture incrustée de pierres précieuses et son collier.

Le sourire vira à la grimace. Les privilèges et les ornements étaient un hochet pour un gentil toutou autorisé à s’amuser quand il n’était pas en train de divertir son maître. Des ornements, d’ailleurs, dont elle ne pouvait pas se défaire, même à l’extérieur du camp, parce qu’on risquerait toujours de la voir. Si elle s’éclipsait, c’était pour échapper aux Aiels, mais rien n’interdisait d’en rencontrer dans la forêt. Et si Thevara apprenait qu’elle se permettait des transgressions…

Si difficile que ce fût à admettre, Galina crevait de peur face à la Matriarche aux yeux de faucon. Thevara hantait ses nuits, désormais peuplées de cauchemars. Fréquemment, elle se réveillait en larmes et lustrée de sueur. Qu’elle se rendorme ou pas, cependant, échapper à ces ignobles songes était toujours un immense soulagement.

Il n’y avait jamais eu d’ordre lui interdisant de s’évader pendant les promenades – une consigne qu’elle aurait été obligée de respecter, bien entendu. Une raison de plus pour mijoter dans l’amertume. Thevara savait que sa prisonnière reviendrait en dépit de tous les mauvais traitements qu’elle subissait. Parce qu’elle gardait l’espoir qu’un jour la Matriarche la libérerait du maudit serment d’obéissance. Si ça arrivait, Galina serait de nouveau en mesure de canaliser à volonté, et non sur commande.

Très rarement, Sevanna la contraignait à utiliser le Pouvoir pour des tâches subalternes – une façon d’asseoir son emprise sur une Aes Sedai, sans doute. C’était si peu fréquent que Galina guettait avec impatience ces occasions de s’unir au saidar.

Thevara, elle, lui refusait de simplement toucher la Source. Quand Galina l’implorait, s’abaissant toujours plus, il lui arrivait de céder, mais en interdisant à sa captive de tisser ne serait-ce qu’un fil de Pouvoir.

Pour ces miettes de plénitude, Galina s’était bel et bien humiliée, ne reculant devant aucune vilenie. S’avisant qu’elle grinçait des dents, elle se força à arrêter.

Le Bâton des Serments, pour l’instant hors de portée à la tour, pourrait peut-être la libérer de son fardeau – comme l’aurait pu l’artefact quasiment identique de Thevara –, mais ça restait sujet à caution. Les deux objets n’étaient pas rigoureusement authentiques. La différence concernait les signes apposés sur les deux artefacts, mais comment savoir si ça ne permettait pas de distinguer sur lequel on avait prêté tel ou tel serment ? Faute de connaître la réponse à cette question, Galina refusait de s’enfuir sans emporter le bâton de Thevara.

L’Aielle le laissait souvent sous sa tente, à la vue de toutes. Mais Galina, avait-elle déclaré, ne réussirait jamais à le soulever.

De fait, elle pouvait toucher le bâton blanc au diamètre équivalent à celui de son poignet, et rien ne l’empêchait de passer les doigts sur sa surface dure et lisse. En revanche, impossible de refermer la main dessus ! (En tout cas, sans que quelqu’un lui ait tendu le bâton.) Avec un peu de chance, ces transgressions mineures ne seraient pas tenues pour une tentative de s’emparer de l’artefact. Il fallait qu’il en soit ainsi. Parce que s’il en allait autrement, la punition serait dévastatrice…

Quand Galina regardait le bâton, l’avidité qui brillait dans ses yeux arrachait à Thevara un de ses rares sourires.

« Ma petite Lina voudrait être libérée de son serment ? raillait-elle. Pour ça, il faut qu’elle soit un très gentil caniche. Si elle veut que je la délivre un jour, elle doit me convaincre qu’elle restera mon toutou, même après avoir recouvré son libre arbitre. »

Toute une vie à être la chose de Thevara et son souffre-douleur ? Un bouc émissaire sur lequel cogner chaque fois que Sevanna lui marchait sur les pieds ? « Calvaire » n’était pas un mot assez fort pour décrire un tel destin. « Horreur » convenait mieux, même si ça restait trop faible. En y pensant, Galina redoutait de sombrer dans la folie, si ça arrivait.

Mais la folie, face à un tel enfer, ne serait même pas un moyen de s’enfuir…

Sa relative bonne humeur envolée, Galina mit une main en visière puis leva les yeux pour vérifier la position du soleil. Alors que Thevara avait émis le « souhait » qu’elle revienne avant la nuit, il restait deux bonnes heures de jour. Pourtant, avec un soupir accablé, la sœur captive fit volter Rapide et prit le chemin du camp.

Les Matriarches adoraient renforcer l’obéissance de leurs esclaves sans passer par des ordres directs. Ainsi, quand elle désirait contraindre « Lina » à ramper, Thevara disposait d’une kyrielle de moyens. Si on ne voulait pas prendre de risques, la moindre suggestion de cette femme devait être entendue comme un ordre. Quelques minutes de retard, par exemple, impliquaient des châtiments que Galina ne pouvait pas évoquer sans frissonner.

Les sangs glacés, elle talonna sa monture. Thevara n’acceptait aucune excuse.

Jaillissant de derrière un arbre, un Aiel se campa sur le chemin de l’Aes Sedai. Très grand, ce guerrier en cadin’sor avait glissé ses lances dans le harnais qui tenait l’étui de son arc, dans son dos, et son voile était abaissé. Sans un mot, il saisit la bride de Rapide.

Un instant, Galina en resta bouche bée. Puis elle se redressa sur sa selle et rugit d’indignation :

— Imbécile ! À force, tu devrais me reconnaître ! Laisse-moi passer, sinon, Sevanna et Thevara t’écorcheront vif.

En règle générale, les Aiels n’étaient pas expressifs. Pourtant, celui-là écarquilla ses yeux verts. Puis il saisit à pleine main le devant de la robe de Galina et la fit basculer de sa selle.

— Silence, gai’shain ! lança-t-il quand sa proie cria à pleins poumons.

En réalité, il semblait se moquer comme d’une guigne qu’elle obéisse ou non.

Au début de sa captivité, Galina avait dû se soumettre. Trop d’Aiels s’étant aperçus qu’elle ne pouvait rien refuser, certains, par pure cruauté, la chargeaient de corvées loufoques qui l’empêchaient de répondre « présent » lorsque Thevara ou Sevanna avaient besoin d’elle.

Désormais, elle ne devait plus obéissance qu’à certaines Matriarches et à Sevanna. En conséquence, elle se débattit et cria avec l’espoir d’attirer l’attention d’une personne informée qu’elle appartenait à Thevara.

Au moins, si on lui avait permis de porter un couteau. Dans le cas présent, ç’aurait été utile… Mais comment ce guerrier pouvait-il ignorer son identité ? Ou au moins, ne pas reconnaître sa ceinture et son collier, dont la signification était limpide.

Si grand que fût le camp – aussi peuplé que bien des grosses villes –, tout le monde connaissait la gai’shain originaire des Terres Mouillées dont Thevara revendiquait la propriété. Dans un avenir très proche, la Matriarche ferait écorcher vif ce sale type, et Galina se jura de ne pas manquer une minute du spectacle.

Très vite, il devint évident qu’un couteau n’aurait servi à rien. Malgré la fureur de Galina, son ravisseur la maintenait sans effort. Lui relevant la capuche, il tira ensuite dessus pour qu’elle recouvre les yeux de sa proie.

La prisonnière bâillonnée, il la jeta au sol, la fit rouler sur le ventre et lui saucissonna les poignets et les chevilles. Sans le moindre effort, comme s’il était en train de jouer à la poupée. Galina lutta encore, mais c’était perdu d’avance.