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» Je l’ai dit et redit : Faile et Alliandre sont sous ma protection. Quand ma mission sera terminée, je les conduirai en sécurité. Au nom des Trois Serments, tu sais bien que je ne mens pas ! Ne va pas croire que ton lien avec Rand al’Thor te protégera si tu mets des bâtons dans les roues à la tour. Oui, je sais très exactement qui tu es. Crois-tu que ta femme me l’aurait caché ? Elle me fait confiance, et si tu veux la sauver, tu dois l’imiter.

L’abruti regarda Galina comme si sa tirade était entrée par une oreille pour ressortir par l’autre. Ses yeux étaient vraiment perturbants…

— Où dort-elle ? Et les autres femmes qui l’accompagnaient ? Montre-moi sur le plan.

— Impossible, lâcha Galina. Les gai’shain passent rarement deux nuits de suite au même endroit.

Avec ce mensonge venait de disparaître l’ultime possibilité, pour Galina, de laisser en vie Faile et les autres. À dire vrai, elle n’avait jamais eu l’intention de les aider, car seule son évasion comptait. Mais les tuer, jusque-là, n’aurait pas été indispensable. À présent, ça coulait de source, pour interdire qu’elles s’évadent et puissent dénoncer son énorme mensonge.

— Je la libérerai, grogna Aybara. Coûte que coûte.

Galina réfléchit à toute allure. Dissuader Aybara semblait impossible, mais il devait y avoir moyen de le retarder. Ça, elle devait le faire – au minimum.

— Veux-tu au moins différer ton action ? Pour ma mission, j’ai encore besoin de quelques jours.

Un délai précis stimulerait peut-être Faile. Avant, ç’aurait pu être dangereux. Une menace non exécutée perd tout son impact, et rien ne garantissait que la prisonnière était capable de voler le bâton dans les temps. À présent, prendre le risque s’avérait indispensable.

— Si je réussis à partir avec toutes les prisonnières, tu ne seras pas obligé de mourir pour rien. Quelques jours, Aybara !

Défoulant sa frustration, le jeune idiot tapa du poing sur la table.

— Tu auras ton délai, rugit-il. Peut-être même un peu plus, si…

Aybara ne finit pas sa phrase et riva ses étranges yeux dans ceux de Galina.

— Mais ce sera peut-être moins, car je ne peux rien te promettre. Si je m’écoutais, j’attaquerais sur-le-champ. Alors, ne compte pas que je laisse Faile croupir dans cet enfer en attendant que les plans d’une Aes Sedai portent leurs fruits. Elle est sous ta protection, dis-tu, mais qu’est-ce que ça signifie, venant d’une gai’shain ? Dans ce camp, on voit pas mal d’ivrognes. Parfois, même les sentinelles sont ivres. Les Matriarches boivent aussi ?

Le changement abrupt de sujet faillit déstabiliser Galina.

— Oui, mais uniquement de l’eau, donc n’espère pas les trouver en train de cuver.

La stricte vérité. Quand Galina répondait à une question, ça n’arrivait pas souvent. Cela dit, les Matriarches étaient l’exception qui confirmait la règle. Chez les Shaido, les beuveries se révélaient incessantes. De chaque raid, ils rapportaient de quoi soûler un régiment. Dans le camp, des distilleries produisaient un affreux tord-boyaux. Chaque fois que les Matriarches en détruisaient une, deux autres poussaient à la place. Mais ces informations auraient encouragé Aybara…

— Cela dit, j’ai accompagné d’autres armées, et on y boit plutôt plus que dans celle-là. Je donnerais une estimation de cent poivrots pour dix mille hommes. En quoi ça peut t’aider ? Allons, repose-toi sur moi. Quelques jours, une semaine, peut-être deux…

Aybara baissa les yeux sur le plan et serra le poing droit. Mais il parla calmement :

— Les Shaido vont-ils souvent en ville ?

Galina posa sa coupe sur la table et se redressa de toute sa hauteur. Si difficile qu’il fût de soutenir ce regard jaune, elle y parvint.

— Il est temps que tu me montres un peu de respect, Aybara. Je suis une Aes Sedai. Pas une fille de salle.

— Les Shaido vont-ils souvent en ville ? répéta Perrin – exactement sur le même ton.

Galina se retint d’exploser.

— Non ! Ils ont volé tout ce qui méritait de l’être, et même des choses sans valeur.

L’Aes Sedai regretta ces mots dès qu’ils eurent franchi ses lèvres. En temps normal, ils n’auraient pas tiré à conséquence, mais avec des hommes capables de faire des trous dans l’air…

— Cela dit, ne va pas comprendre qu’ils n’y vont jamais. En moyenne, quelques-uns y entrent chaque jour. Par lot de trente, environ, et parfois plus. Des groupes de deux ou de trois…

Le bouseux serait-il assez futé pour comprendre ce que ça voulait dire ? Méfiante, Galina lui mâcha le travail :

— Impossible de les neutraliser tous. Certains fileront prévenir le camp.

Aybara hocha la tête.

— Quand tu parleras à Faile, transmets-lui ce message. Le jour où elle verra du brouillard sur les crêtes et entendra des loups hurler au soleil, ses compagnes et elle devront gagner la forteresse de dame Cairen, dans le nord de la ville, et ne plus en sortir. Dis-lui aussi que je l’aime, et que je viendrai la sauver.

Des loups ? Ce miteux était-il fou ? Comment pouvait-il savoir que des loups… ? Les yeux jaunes sondant son âme, Galina ne fut plus très sûre de vouloir connaître la réponse.

— Je le lui dirai, mentit-elle.

Aybara comptait peut-être utiliser les hommes en veste noire pour récupérer sa femme et rien de plus. Mais pourquoi avait-il attendu si longtemps, dans ce cas ? Dans ces yeux jaunes se cachaient des secrets que Galina aurait aimé connaître. Ce garçon, qui voulait-il contacter ? Sûrement pas Sevanna. Pour ça, l’Aes Sedai aurait loué la Lumière, si elle ne s’était pas détournée de ces niaiseries depuis longtemps.

Qui arriverait bientôt ? Galina avait entendu parler d’un homme, mais ça pouvait être un roi accompagné de son armée. Ou al’Thor en personne. Celui-là, elle espérait ne jamais le revoir.

La fausse promesse de l’Aes Sedai sembla rassurer son interlocuteur, qui se détendit visiblement.

— La difficulté avec un casse-tête de forgeron, soupira-t-il en tapotant de l’index le plan de Malden, c’est de mettre en place la pièce-clé. Voilà qui est fait. Ou qui le sera bientôt.

— Alyse Sedai, resteras-tu pour le dîner ? demanda Berelain. C’est bientôt l’heure.

Dehors, la nuit tombait. En robe de laine sombre, une servante aux cheveux blancs en chignon vint allumer les lampes.

— Me promets-tu au moins une semaine ? demanda Galina. (Aybara secoua la tête.) Dans ce cas, chaque heure compte. Donc, je dois partir.

En réalité, l’Aes Sedai n’avait jamais envisagé de rester pour socialiser. À contrecœur, elle formula son ultime demande :

— Un de tes hommes pourrait-il me « raccompagner » jusqu’au camp ? Enfin, le plus près possible.

— Fais-le, Neald, ordonna Aybara. Et au moins, essaie d’être courtois.

Oser dire ça, ce mufle !

Galina inspira à fond et remonta sa capuche.

— Je veux que tu me frappes au visage, assez fort pour laisser un bleu.

Enfin, l’Aes Sedai était parvenue à ébranler son interlocuteur. Les grands yeux jaunes s’écarquillant, Aybara glissa les pouces dans sa ceinture, histoire de bloquer ses mains.

— Il n’en est pas question, lâcha-t-il.

L’officier du Ghealdan en resta bouche bée, et la servante n’en croyait pas ses oreilles. Pétrifiée, elle manqua ficher le feu à sa robe.

— Je l’exige, insista Galina. (Tout ce qui pourrait amadouer Thevara était bon à prendre.) Fais-le !

— Je doute qu’il obtempère, fit Berelain en approchant. C’est un vrai gentilhomme. Tu permets que je m’y colle ?