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— Eh bien, dit Joline sans hâte, je crois que je me sens en danger, à présent.

Teslyn leva une main et propulsa sur les assaillants une boule de feu plus grosse que la tête d’un cheval. Explosant au milieu des hommes et des bêtes, le projectile fit un carnage.

Tard, c’était mieux que jamais…

Chacune couvrant une direction, les Aes Sedai bombardèrent de boules de feu les cavaliers qui fondaient sur le carré. Mais ce déchaînement de Pouvoir ne les ralentit pas.

Normalement, ces hommes auraient dû voir qu’il n’y avait pas l’ombre d’une Fille des Neuf Lunes au cœur de la formation défensive. Mais la cupidité troublait leur jugement. Avec cent mille couronnes d’or, un type pouvait mener la grande vie jusqu’à la fin de ses jours.

Ayant encerclé le carré, ils luttaient pour en approcher, crevant sous les volées de carreaux et les étranges petits cylindres sans nom d’Aludra. Bientôt, un deuxième mur apparut, composé de cadavres d’hommes et de chevaux, des moribonds tentant en vain de s’en extraire.

Quelques fous furieux tentèrent de sauter cet obstacle et vinrent s’ajouter à la muraille morbide. Sautant de selle, des entêtés essayèrent de l’escalader. Un nuage de carreaux les repoussa, en envoyant beaucoup dans l’autre monde. À cette distance, les têtes spéciales entraient dans les plastrons comme dans du beurre.

Les assaillants avançaient… et tombaient comme des mouches.

Puis le silence se fit d’un coup. Enfin, une sorte de silence… Partout, on entendait le souffle court des arbalétriers qui avaient manié leur manivelle à une vitesse inédite. Et bien entendu, il y avait les gémissements des blessés… Dans le lointain, un cheval hennissait encore.

Entre le mur de cadavres et les hommes de Talmanes, Mat ne voyait plus un seul ennemi sur ses pieds ou en selle. À perte de vue, il ne restait plus que des hommes de la Compagnie, qui avaient tous baissé leurs armes. Quant aux Aes Sedai, leurs mains reposaient sur le pommeau de leur selle. Elles aussi avaient le souffle court.

— C’est fini, Mat ! cria Talmanes. Ceux qui ne sont pas morts agonisent. Aucun de ces crétins n’a tenté de s’enfuir.

Mat secoua la tête. Des hommes rendus à demi fous par la cupidité, voilà ce qu’il avait cru devoir affronter. En réalité, ces types étaient totalement cinglés.

Pour que le jeune flambeur et son groupe puissent sortir de là, il faudrait déblayer les cadavres. Talmanes mit à l’ouvrage ses hommes, qui utilisèrent des cordes pour tirer les chevaux morts. Personne n’aurait voulu fouler un charnier pareil.

À part les Ogiers, bien entendu.

— Je veux essayer de trouver le traître, annonça Hartha.

Avec ses six Jardiniers, il enjamba les cadavres et s’éloigna, hache sur l’épaule.

— Eh bien, nous avons réglé cette affaire, dit Joline en se tamponnant le visage avec un mouchoir en dentelle. Tu nous dois une fière chandelle, Mat. Par nature, les Aes Sedai ne se mêlent pas des guerres privées. Je réfléchirai au paiement dont tu devras t’acquitter.

Mat devina aisément ce que la sœur comptait demander. Si elle croyait qu’il marcherait, elle avait perdu la tête…

— Les arbalétriers ont remporté la victoire, marath’damane, intervint Musenge.

Sans casque et sans plastron, il avait retiré sa veste et sa chemise afin qu’un de ses Gardes puisse lui bander le bras gauche, traversé par une flèche. Sur l’épaule, le capitaine arborait un tatouage – un corbeau, à l’évidence.

— Les arbalétriers et d’autres hommes courageux, continua le Seanchanien. Tu n’as jamais eu plus d’hommes, n’est-ce pas, Altesse ? Ceux-là, plus les pertes que tu as subies…

— Je t’ai dit que ça suffirait, éluda Mat.

Inutile d’en révéler trop à un futur ennemi. Mais Musenge hocha la tête comme s’il ne lui restait plus rien à découvrir.

Quand une brèche suffisante permit à Mat et à ses hommes de s’extraire du site, Hartha et ses Jardiniers se remontrèrent.

— J’ai trouvé le traître, dit le chef des Ogiers en levant la tête coupée qu’il tenait par les cheveux.

Devant ce visage à la peau noire et au nez crochu, Musenge fronça les sourcils.

— La Haute Dame voudra voir ça…, dit-il doucement. (Comme le bruit que fait une épée qu’on dégaine discrètement.) Il faudra lui apporter ce trophée.

— Tu connais ce type ? demanda Mat.

— Nous le connaissions, Altesse.

Musenge se referma comme une huître. Inutile d’espérer en apprendre plus de lui.

— Tu veux bien cesser de m’appeler comme ça ? Mon nom, c’est Mat. Après cette fichue bataille, tu as le droit de l’utiliser.

À sa grande surprise, Mat tendit la main au Seanchanien – qui en resta pétrifié de stupéfaction.

— Altesse, je ne peux pas m’autoriser ça ! En t’épousant, Tuon a fait de toi le Prince des Corbeaux. Prononcer ton nom me condamnerait à baisser les yeux pour toujours.

Mat retira son chapeau, puis il se passa une main dans les cheveux. À qui voulait l’entendre, il avait clamé sa détestation des nobles. Pas question d’en devenir un, c’était clair depuis toujours. Et parfaitement sincère. Rien n’avait changé, et pourtant, voilà qu’on l’avait bombardé prince ! Lui !

Pour encaisser le choc, il fit la seule chose possible : éclater de rire et continuer jusqu’à ce qu’il ait mal aux côtes.

Épilogue

Se souvenir du vieux dicton

Avec son plafond bizarrement décoré d’oiseaux et de poissons qui évoluaient parmi des nuages et des vagues, la salle aux murs rouges bourdonnait d’activité. Entre les nombreuses tables, des clercs en tenue marron allaient et venaient frénétiquement. Aucun ne tentait d’écouter, apparemment. Tous semblaient comme frappés par la foudre – non sans raison –, mais Suroth aurait préféré qu’ils soient ailleurs. Même involontairement, ils avaient entendu en partie ce qui se disait, et ces informations étaient gravissimes. Pourtant, Galgan avait insisté. Il fallait que ces gens continuent à travailler pour ne pas penser aux désastreuses nouvelles en provenance du pays. De plus, ces femmes et ces hommes étaient tous dignes de confiance.

Il avait insisté ! Au moins, le vieil homme aux cheveux blancs n’était pas vêtu comme un soldat, ce matin. Son pantalon bleu large et sa courte veste rouge à col montant, avec une rangée de boutons d’or ornés de ses armoiries, étaient le nec plus ultra de la mode à Seandar. Donc, le nec plus ultra de la mode dans l’Empire – point stop. Quand il arborait son plastron, ou simplement son uniforme rouge, il regardait parfois Suroth comme si elle était un de ses soldats.

Dès qu’Elbar aurait annoncé la mort de Tuon, Suroth pourrait faire exécuter Galgan. En attendant, il avait les joues maculées de cendres, comme celles de la Haute Dame. Le navire promis par Semirhage était arrivé avec la nouvelle de l’assassinat de l’Impératrice. Partout, l’Empire se déchirait. Il n’y avait plus d’Impératrice, ni de Fille des Neuf Lunes. Pour le peuple, le monde tremblait sur ses bases, à un souffle de la destruction. Et pour certains membres du Sang, il en allait de même.

Une fois Galgan et quelques autres éliminés, il n’y aurait plus personne pour s’opposer à Suroth Sabelle Meldarath quand elle se proclamerait Impératrice. Pour l’instant, elle se forçait à ne pas penser au nom qu’elle adopterait. Y réfléchir en avance portait malheur.

Le front plissé, Galgan étudiait la carte déroulée devant la Haute Dame et lui. Puis il posa un ongle laqué de rouge sur une chaîne de montagnes, sur la côte sud de l’Arad Doman.

Suroth ignorait le nom de ces monts. Sur la carte qui représentait tout le pays, on pouvait voir trois marqueurs, une flèche rouge et deux cercles blancs disposés à intervalles irréguliers le long d’une ligne qui allait du nord au sud.