Un grand blond debout près de l’estrade eut un rictus méprisant.
— Pourquoi permettrions-nous à des Aes Sedai de… ?
Une massue invisible frappa l’homme à la tête, si fort qu’il décolla du sol, plana sur deux ou trois pas puis s’écrasa sur les dalles, les yeux clos et du sang coulant de ses narines.
Un type mince au crâne grisonnant et dégarni, la barbe taillée en fourche, approcha de l’insolent, se pencha et plaqua deux doigts sur son cou.
— Il est vivant, annonça-t-il. Mais il a une fracture du crâne et la mâchoire brisée.
Tout ça dit sur le ton d’une conversation de salon. Dans les rangs, personne n’approcha pour tenter une guérison. Personne !
Melare releva l’ourlet de sa jupe et se dirigea vers le blessé.
— J’ai de maigres compétences thérapeutiques, dit-elle, mais elles devraient suffire pour ce cas. Avec ta permission, M’Hael…
Taim secoua la tête.
— Je te la refuse. Si Mishraile survit jusqu’à la tombée de la nuit, il sera guéri. La douleur lui apprendra peut-être à tenir sa langue. Vous voulez prendre des Champions ? Vous, des sœurs rouges ?
Taim prononça ce dernier mot avec un mépris que Pevara… choisit d’ignorer. En revanche, le regard de Tarna aurait pu faire givrer le soleil.
Avant de parler, Pevara lui posa une main sur le bras.
— Les sœurs rouges ont de l’expérience avec les hommes capables de canaliser.
Des murmures coururent parmi les Asha’man. Tous très hostiles, mais Pevara décida de les ignorer aussi.
— Ces hommes-là ne nous font pas peur. Les coutumes peuvent être aussi difficiles à changer que les lois – voire plus, à l’occasion –, mais nous avons décidé de modifier les nôtres. Désormais, les sœurs rouges pourront prendre un ou plusieurs Champions, mais les candidats devront savoir canaliser. Ce sera la seule limite. Si on se fie aux sœurs vertes, ce nombre ne dépassera pas trois ou quatre hommes par Aes Sedai de l’Ajah Rouge.
— Excellent, ça.
Pevara n’en crut pas ses oreilles.
— Excellent ?
Elle devait avoir mal compris. Taim ne pouvait pas céder si aisément.
Ses yeux semblant vouloir transpercer le crâne de Pevara, le M’Hael écarta les mains – un geste moqueur, incontestablement.
— Que voudrais-tu que je dise ? « Accord équitable » ? « Partage honnête » ? Accepte mon « excellent » et interroge les hommes, pour connaître ceux qui seront d’accord. Enfin, rappelle-toi le vieux dicton : « Laissons régner le Seigneur du Chaos ! »
Tous les Asha’man éclatèrent de rire.
Un vieux dicton, ça ? Première nouvelle…
Alors que les rires lui perçaient les tympans, Pevara sentit tous les poils de son corps se hérisser.
Glossaire
Le calendrier tomien (conçu par Toma dur Ahmid) fut adopté environ deux siècles après la mort du dernier Aes Sedai, et il compte les années à partir de la Dislocation du Monde (AD : Après Dislocation). Durant les guerres des Trollocs, beaucoup d’archives furent détruites, et l’ancien système calendaire fut remis en question. Tiam de Gazar en proposa un nouveau, censé célébrer la fin de la menace représentée par les Trollocs. À partir de là, on compta en Années Libres (AL). Vingt ans après la fin des conflits, le calendrier gazarien fut universellement adopté. Artur Aile-de-Faucon tenta d’en imposer un nouveau, basé sur la Fondation de son Empire (FE), mais la greffe ne prit pas, et aujourd’hui, seuls les historiens y font encore référence. Après les ravages de la guerre des Cent Années, un quatrième calendrier fut établi par Uren din Jubai Envol-Goéland, un érudit du Peuple de la Mer. La Panarch Farede du Tarabon décida de son adoption. Le calendrier farendien, qui commence à la date (arbitrairement déterminée) de fin de la guerre des Cent Années, compte les années de la Nouvelle Ère (NE) et il est toujours en vigueur.
A’dam : Composé d’un collier et d’un bracelet reliés par une chaîne de métal argenté, cet artefact peut servir à contrôler toute femme en mesure de canaliser le Pouvoir. Chez les Seanchaniens, c’est la damane qui porte le collier et la sul’dam qui porte le bracelet.
Acceptée : Une jeune femme en cours de formation (Aes Sedai) qui a atteint un certain niveau de Pouvoir et réussi des épreuves spécifiques.
Adan, Heran : Gouverneur de Baerlon.
Adelin : Une Promise de la Lance du clan Jindo des Aiels Taardad. Impliquée dans la prise de la Pierre de Tear.
Aes Sedai : Capables de canaliser le Pouvoir de l’Unique. Depuis l’Ère de la Folie, les Aes Sedai sont exclusivement des femmes. Unanimement craintes et détestées, elles sont souvent tenues pour responsables de la Dislocation du Monde et systématiquement soupçonnées d’ingérence dans les affaires des nations. Cela dit, presque tous les dirigeants ont une Aes Sedai pour conseillère, y compris dans les royaumes où il est préférable de garder la chose secrète. Utilisé comme un titre honorifique : Sheriam Sedai. Tournure encore plus honorifique : Sheriam Aes Sedai. Voir également « Ajah » et « Chaire d’Amyrlin ».
Âge des Légendes : L’Âge auquel la guerre des Ténèbres et la Dislocation du Monde mirent un terme. Une époque où les Aes Sedai accomplissaient des miracles inimaginables. Voir également « Roue du Temps ».
Agelmar, seigneur Agelmar de la maison de Jagad : Seigneur de Fal Dara. Emblème : trois renards roux courant.
Aiels : Habitants du désert des Aiels. Connus pour leur férocité et leur courage, ces guerriers se mettent un voile avant de tuer. D’où l’expression : « Agir comme un Aiel voilé de noir », qui décrit une personne faisant montre de violence. Redoutables avec une arme ou à mains nues, les Aiels n’utilisent jamais d’épée. Partant au combat au son des cornemuses, ils ont un surnom bien à eux pour la guerre, qu’ils appellent simplement « la danse ». Ils sont divisés en douze tribus. Les Chareen, les Codarra, les Daryne, les Goshien, les Miagoma, les Nakai, les Reyn, les Shaarad, les Shaido, les Shiande, les Taardad et les Tomanelle. Il leur arrive d’évoquer les Jenn, la treizième tribu, celle qui n’existe pas… et qui a pourtant bâti Rhuidean.
Aiguillon : Minuscule insecte mortellement dangereux.
Aile Jafar : Un archipel du Peuple de la Mer situé dans l’océan d’Aryth, en face du Tarabon.
Aile Somera : Un archipel du Peuple de la Mer situé dans l’océan d’Aryth, en face de la pointe de Toman.
Ajah : Les sept sous-ordres qui composent l’ordre des Aes Sedai. Ils sont identifiés par une couleur : Ajah Bleu, Ajah Rouge, Ajah Blanc, Ajah Vert, Ajah Marron, Ajah Jaune et Ajah Gris. Chaque Ajah a sa propre conception de l’usage du Pouvoir et de la mission ultime des Aes Sedai. L’Ajah Rouge, par exemple, se consacre à la recherche des hommes capables de manier le Pouvoir, afin de les contrôler et de les « apaiser ». À l’opposé, l’Ajah Marron est totalement coupé du monde et se voue à la recherche du savoir. Une rumeur (qu’il vaut mieux éviter de répéter devant une Aes Sedai) prétend qu’il existe un Ajah Noir qui sert en secret le Ténébreux.
Al Ellisande : Dans l’ancienne langue, signifie : « Pour la Rose du Soleil ».
al’Meara, Nynaeve : La Sage-Dame de Champ d’Emond.
al’Thor, Rand : Un jeune homme du territoire de Deux-Rivières. Ancien berger et désormais proclamé Dragon Réincarné.