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Des hommes se tenaient devant ou autour des tentes éclairées. Des Champions, bien entendu. Qui d’autre aurait pu rester immobile ainsi par une nuit glaciale ? Recourant au Pouvoir, Siuan repéra d’autres Champions invisibles à l’œil nu grâce à leur cape-caméléon. Entre les sœurs assassinées et ce que ces hommes devaient capter via le lien les unissant à leur Aes Sedai, comment s’étonner que la méfiance règne ? En ce moment, plus d’une sœur devait avoir envie de s’arracher les cheveux – ou ceux de quelqu’un d’autre.

Tous les Champions suivirent Siuan du regard tandis qu’elle avançait lentement entre les ornières gelées du sol.

Le Hall devait être informé, bien entendu, mais d’autres sœurs étaient prioritaires. Parce qu’elles risquaient, selon Siuan, d’opter pour des mesures précipitées et très probablement désastreuses. Certes, leurs serments les liaient, mais elles les avaient prêtés sous la contrainte à une femme qu’elles croyaient morte.

Pour le Hall, c’était différent. En acceptant un siège de représentante, ces sœurs-là avaient en quelque sorte hissé leur drapeau au mât. À moins de savoir où elles atterriraient, elles ne feraient pas le grand bond dans le vide.

Pour que Siuan y trouve ce qu’elle cherchait, la tente de Sheriam était trop petite. De plus, aucune lumière n’en filtrait, et il était peu probable que son occupante soit en train de dormir.

Le fief de Morvrin, assez grand pour qu’on y couche à quatre, aurait convenu s’il y avait eu de la place autour des monceaux de livres que la sœur marron avait achetés pendant le voyage. De toute façon, la tente était obscure aussi.

La troisième possibilité se révélant la bonne, Siuan tira sur les rênes de Lys de Nuit.

Myrelle occupait deux tentes au toit pointu – une pour elle et l’autre pour ses trois Champions. Enfin, les trois officiels. Sa demeure étant vivement éclairée, on voyait des ombres féminines se déplacer à l’intérieur.

Trois hommes aussi différents les uns des autres que possible montaient la garde devant la tente. Les Champions, bien entendu. Pour le moment, Siuan ne s’intéressa pas à eux. De quoi parlait-on derrière la toile vivement éclairée ? Sans se faire d’illusions, l’ancienne Chaire d’Amyrlin tissa un mélange d’Air et de Feu. Dès qu’elle toucha la tente, cette sonde se heurta à un dôme de silence. Inversé, évidemment, donc invisible pour l’intruse. Bon, elle avait essayé, au cas où ses collègues se seraient montrées négligentes. Ce soir en particulier, ç’aurait été très surprenant, mais pourquoi ne pas tenter le coup ?

Derrière la toile, les ombres ne bougeaient plus – parce qu’elles avaient repéré la tentative d’intrusion.

Siuan approcha de la tente, se demandant toujours ce que pouvaient dire ces femmes.

Quand elle eut mis pied à terre – enfin, glissé de sa selle en faisant semblant d’en avoir sauté –, le Champion de Sheriam, un Cairhienien nommé Arinvar, très mince et pas beaucoup plus grand que son Aes Sedai, approcha et, tout en saluant de la tête, fit mine de s’emparer des rênes.

D’un geste, Siuan déclina son offre. Après s’être coupée de la Source, elle attacha la jument à la rampe du passage de bois – avec un nœud de marin qui aurait retenu un bateau de bonne taille malmené par le vent et un fort courant. Les boucles négligentes qu’affectionnaient les nobles, ça n’était pas pour elle. Autant qu’elle détestât l’équitation, quand elle attachait un canasson, c’était pour qu’il soit toujours là à son retour.

Pendant qu’elle faisait son nœud, Arinvar plissa le front de perplexité. Mais si la jument s’enfuyait, ce ne serait pas lui qui devrait dédommager sa propriétaire.

Un seul des deux autres Champions appartenait à Myrelle. Avar Hachami, originaire du Saldaea, arborait un nez en forme de bec et une large moustache striée de gris. Après avoir jeté un coup d’œil à Siuan, la saluant de la tête, il recommença à sonder la nuit.

Petit, chauve et quasiment aussi large que haut, Jori, le Champion de Morvrin, ne s’intéressa pas le moins du monde à la nouvelle venue. La main sur la longue poignée de son épée, lui aussi sondait la nuit, prêt à tout. D’après ce qu’on disait, parmi les Champions, il était un des meilleurs escrimeurs. Où se cachaient donc les autres ?

Siuan ne pouvait pas le demander – même chose pour les sœurs qui se trouvaient à l’intérieur. Si elle l’avait fait, les hommes en auraient été profondément choqués. En revanche, aucun d’entre eux ne voulut l’empêcher d’entrer. Un bon signe, ça. Les choses auraient pu être pires.

Sous la tente, où deux braseros diffusaient un parfum de rose tout en réchauffant l’atmosphère, Siuan découvrit presque toutes les sœurs qu’elle s’attendait à voir. Et comme de juste, les têtes se tournèrent vers elle avec un bel ensemble.

Installée sur une chaise à dossier droit des plus banales, Myrelle portait une robe de soie constellée de fleurs rouges et jaunes. Les bras croisés, son visage olivâtre d’un calme impérial, elle aurait paru sereine sans la lueur sauvage qui dansait dans ses yeux noirs.

Comme de juste, l’aura du saidar l’enveloppait. Sachant qu’on était sous sa tente, il semblait normal que ce soit elle qui tisse le dôme de silence.

Assise au bout du lit de Myrelle, le dos bien droit, Sheriam faisait mine d’ajuster sa jupe à rayures bleues. Les joues déjà aussi en feu que ses cheveux, ses yeux devinrent des braises ardentes lorsqu’elle aperçut Siuan.

Détail inquiétant, elle ne portait pas l’étole de la Gardienne.

— J’aurais dû deviner que c’était toi, lâcha froidement Carlinya, les poings sur les hanches.

Cette femme n’avait jamais rien eu de chaleureux. À présent, ses bouclettes encadraient un visage pâle comme de la glace – le pendant parfait de sa robe.

— Je ne tolérerai pas que tu espionnes mes conversations privées, Siuan.

Oui, bien sûr ! Ces femmes pensaient que tout était fini…

Pour une fois, malgré son éternelle robe froissée, Morvrin au visage rond ne paraissait ni absente ni somnolente. Pour approcher de Siuan, elle contourna la petite table où reposaient une carafe d’argent et cinq coupes du même métal précieux. Personne ne semblait d’humeur à trinquer, car les petits récipients étaient vides. De sa bourse, la sœur grisonnante sortit un peigne en corne et le tendit à Siuan.

— Tu es ébouriffée, femme ! Coiffe-toi avant qu’un gredin te prenne pour une gueuse de taverne et prétende te faire sauter sur ses genoux.

— Egwene et Leane sont vivantes et prisonnières dans la tour, annonça Siuan avec un calme qu’elle était loin d’éprouver.

Une gueuse de taverne ? Portant une main à ses cheveux, Siuan dut admettre que sa collègue avait raison. Du coup, elle se peigna à la hâte. Pour être prise au sérieux, il ne fallait pas avoir l’air de sortir d’une bagarre de rue. Son aspect physique lui posait déjà assez de problèmes comme ça. Et il continuerait quelques années de plus même quand elle aurait mis la main sur le Bâton des Serments.

— Egwene m’a tout raconté dans mes rêves. Les deux ports sont bloqués, ou presque, hélas, Leane et elle se sont fait prendre. Mais où sont Beonin et Nisao ? Une de vous doit aller les chercher. Pas question que j’écaille deux fois le même poisson.

Voilà ! Si ces sœurs se sentaient libérées de leurs serments et du devoir d’obéir à Egwene, elles allaient déchanter. Sauf qu’aucune ne manifesta l’intention de faire ce qu’on lui demandait.

— Beonin rêvait de son lit, fit Morvrin sans cesser de dévisager Siuan.

Un examen des plus minutieux. Derrière ce visage impassible se cachait un sacré cerveau.