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— Elle était trop fatiguée pour parler davantage. Et pourquoi aurions-nous demandé à Nisao de se joindre à nous ?

Très liée avec Nisao, Myrelle plissa sombrement le front. Les deux autres sœurs, en revanche, approuvèrent du chef. Comme Beonin, elles tenaient Nisao pour une pièce rapportée. Tant pis pour les serments de loyauté qu’elles avaient en commun.

Selon Siuan, ces femmes n’avaient jamais cessé de se croire en train de tirer les ficelles dans l’ombre. Alors qu’elles avaient perdu toute réelle influence depuis longtemps, elles se berçaient d’illusions.

Sheriam se leva et tira sur l’ourlet de sa robe, prête à filer en douce, mais sans que la suggestion de Siuan y soit pour quelque chose.

— Nous n’avons pas besoin de ces deux sœurs en ce moment… « Prisonnières », ça veut dire que les coupables croupiront dans une cellule jusqu’à ce que le Hall ait fixé la date du procès. Un Voyage rapide, et nous les aurons délivrées avant qu’Elaida ait crié « ouf ».

Myrelle hocha la tête, se leva et entreprit de dénouer la ceinture de sa robe.

— Je crois qu’il vaut mieux laisser les Champions en arrière. Pour cette opération, ils seront inutiles.

Anticipant le défi, elle puisa plus intensément dans la Source.

— Non ! s’écria Siuan – avant de faire la grimace parce que le peigne s’était coincé dans ses cheveux.

Parfois, en bon esprit pratique, elle envisageait de les couper très court, comme Carlinya. Mais Gareth l’avait complimentée sur la façon dont ses mèches ondulaient sur ses épaules.

Ne pouvait-elle donc jamais oublier cet homme, même ici ?

— Egwene ne sera pas jugée, et on ne l’enfermera pas dans les sous-sols. Elle ne m’a pas précisé où on la détient, seulement qu’on la surveille nuit et jour. Enfin, elle a ordonné qu’il n’y ait aucune tentative de la libérer impliquant des sœurs.

Les yeux ronds, les autres Aes Sedai dévisagèrent Siuan en silence. À dire vrai, l’ancienne Chaire d’Amyrlin elle-même avait tenté de discutailler avec Egwene. Sans succès. C’était un ordre pur et simple, donné par la Chaire d’Amyrlin en titre.

— Ce que tu nous racontes est absurde, lâcha finalement Carlinya.

D’un ton aussi serein que son visage, mais en lissant nerveusement le devant de sa robe blanche brodée.

— Si nous capturons un jour Elaida, nous la calmerons puis nous l’exécuterons.

« Si ». L’heure n’était plus aux certitudes triomphantes.

— Puisqu’elle détient Egwene, Elaida agira sûrement de même. Pour savoir ce que nos lois disent sur le sujet, je n’ai pas besoin de consulter Beonin.

— Ordre ou pas ordre, s’écria Sheriam, nous devons la libérer ! Très certainement, elle ne mesure pas le danger. Qui sait ? Elle est peut-être en état de choc. Ne t’a-t-elle vraiment soufflé aucun indice sur l’endroit où on la détient ?

— N’essaie pas de nous cacher des choses, Siuan, siffla Myrelle. (Les yeux lançant des éclairs, elle agita le bout de sa ceinture de soie pour ponctuer ses propos.) Pourquoi ne t’aurait-elle pas dit où elle est ?

— Pour vous empêcher, Sheriam et toi, de forcer les choses…

Renonçant à démêler ses cheveux, Siuan posa le peigne sur la table. Si elle voulait qu’on l’écoute, elle ne pouvait pas continuer à se coiffer. Hirsute elle était, hirsute elle resterait.

— Elle est surveillée et placée sous un bouclier, Myrelle. Des sœurs la gardent à l’œil, et elles ne la laisseront pas filer. Si nous tentons quelque chose, des Aes Sedai tueront des Aes Sedai – c’est aussi sûr que la présence d’un banc de brochets au milieu de roseaux. Ce drame s’est déjà produit une fois, et il ne doit pas recommencer si nous voulons avoir une chance de réunifier pacifiquement la tour. Nous devons empêcher un massacre. Donc, il n’y aura pas d’expédition de secours.

» Quant à savoir pourquoi Elaida n’a pas prévu de procès, vous m’en demandez trop…

Egwene avait évité le sujet, comme si elle ne comprenait pas non plus. Mais elle s’était montrée catégorique sur le fond de l’affaire, et elle n’aurait pas extrapolé sur une question si brûlante.

— Réunifier la tour…, marmonna Sheriam. Pacifiquement, en plus ? (Elle se laissa retomber sur le lit.) Tu crois que c’est possible ? Elaida a dissous l’Ajah Bleu ! Après une exaction pareille, comment faire la paix ?

— Elaida n’a pas le pouvoir d’abolir un Ajah, grogna Morvrin.

Comme si on en était encore là… C’était fait, et on n’y changerait plus rien.

Myrelle voulut tapoter l’épaule de la Gardienne, qui chassa sa main sans aménité.

— Il y a toujours une chance, affirma Carlinya. Les ports bloqués sont un avantage pour nous. Les négociatrices se réunissent tous les matins, et…

Sans achever sa phrase, mais avec de l’incertitude dans le regard, elle alla se servir une tasse d’infusion et la vida à moitié sans même ajouter de miel. Le blocus des ports, en réalité, mettrait sans doute un terme à des pourparlers qui ne menaient nulle part. Egwene entre ses mains, Elaida serait-elle encore d’humeur à négocier ?

— Je ne comprends pas pourquoi Elaida ne traduit pas Egwene en justice, dit Morvrin. La sentence serait acquise d’avance… Cela dit, notre Chaire d’Amyrlin est prisonnière…

Loin de l’impétuosité de Sheriam ou de Myrelle, elle restait beaucoup moins glaciale que Carlinya. Exposant simplement des faits, elle se contentait de pincer les lèvres pour manifester sa perplexité.

— Si Egwene ne passe pas devant une cour, elle sera brisée, ça ne fait aucun doute. À son poste, elle s’est révélée bien plus coriace que je l’aurais cru, mais aucune femme ne peut résister à la Tour Blanche, quand elle décide de lui casser les reins. Si on ne la libère pas très vite, les conséquences seront terribles pour elle.

Siuan secoua la tête.

— Morvrin, aucune flagellation n’est prévue. Je ne comprends pas plus que toi, mais si elle pensait être torturée, Egwene ne nous aurait pas défendu d’intervenir, et…

Siuan s’interrompit, car le rabat venait de s’écarter pour laisser passer Lelaine Akashi, un châle à franges bleues jeté sur ses épaules.

Sheriam se leva alors que rien ne l’y obligeait. Sur une représentante, la Gardienne avait la haute main. Cela dit, Lelaine en imposait vraiment dans sa tenue rayée de bleu. Bien que très mince, elle était l’incarnation même de la dignité, et une aura d’autorité l’enveloppait. Ce soir, aucune sœur ne lui arrivait à la cheville. Sa coiffure impeccable, elle aurait pu être en train d’entrer dans le Hall après une bonne nuit de sommeil.

Siuan gagna la table et saisit la carafe. En une telle compagnie, son rôle aurait dû se limiter à ça : servir à boire et parler quand on lui posait une question. Si elle se faisait oublier, Lelaine réglerait ses affaires avec les autres puis elle s’en irait sans la gratifier d’un second regard. Un seul, c’était déjà beaucoup…

— Dehors, j’ai cru reconnaître le cheval que tu montais, Siuan… (Lelaine balaya du regard les autres sœurs, purement et simplement pétrifiées.) Je vous dérange ?

— Siuan vient de nous apprendre qu’Egwene est vivante, annonça Sheriam, détachée comme si elle annonçait le prix de la perche sur un marché aux poissons. Même chose pour Leane. En rêve, notre Chaire d’Amyrlin a parlé à Siuan. Elle refuse qu’on tente de la secourir.

Myrelle coula un regard en biais à la Gardienne. Siuan, elle, lui aurait bien chauffé les oreilles. Lelaine était la suivante sur la liste des sœurs qu’elle voulait avertir, mais en y mettant les formes, pas en agissant comme une vulgaire poissonnière. Ces derniers temps, Sheriam se montrait souvent aussi gaffeuse qu’une novice.

Une moue sur les lèvres, Lelaine riva des yeux assassins sur Siuan.

— Elle refuse, vraiment ? Sheriam, tu devrais porter ton étole. N’es-tu pas la Gardienne, si bizarre que ce soit ? Siuan, tu me raccompagnes ? Il y a trop longtemps que nous n’avons pas parlé en privé.