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D’une main, Lelaine écarta le rabat, puis elle balaya l’assistance de son regard perçant. Sheriam rougit à l’inimitable manière des rousses, puis elle sortit l’étole de sa bourse et la posa sur ses épaules.

Myrelle et Carlinya, elles, soutinrent le regard de Lelaine. Comme si elle se croyait seule sous la tente, Morvrin se tapotait pensivement le menton. Oublier son environnement à un moment pareil… L’Ajah Marron tout craché.

L’ordre d’Egwene s’était-il gravé dans le cerveau des sœurs ? Alors qu’elle reposait la carafe, Siuan préféra ne pas perdre de temps en sondant le regard de ses collègues. Quand une Aes Sedai du niveau de Lelaine suggérait quelque chose à une femme comme Siuan, c’était en réalité un ordre, et il convenait de l’exécuter vite.

Relevant l’ourlet de sa robe et de son manteau, Siuan sortit en remerciant Lelaine de consentir à lui tenir le rabat.

Fasse la Lumière que ces quatre idiotes aient vraiment prêté l’oreille à ses propos !

Dehors, quatre Champions montaient désormais la garde. Le nouveau venu, nommé Burin, appartenait à Lelaine. Le teint cuivré, il faisait les cent pas et apparaissait seulement par intermittence, à cause de sa cape-caméléon.

Un autre Champion de Myrelle, Nuhel Dromand, avait remplacé Avar. Doté d’un collier de barbe, cet Illianien grand et costaud aurait aisément pu passer pour une statue, tellement il était inexpressif.

Arinvar s’inclina devant Lelaine. Selon le protocole, mais avec une célérité suspecte.

Comme Burin, Nuhel et Jori sondaient la nuit sans relâcher un instant leur vigilance.

Pour défaire le nœud qui retenait Lys de Nuit, Siuan mit presque aussi longtemps que pour le faire. Patiente, Lelaine attendit que sa compagne brandisse fièrement la bride, puis elle s’éloigna lentement, glissant sur les passages en bois plus qu’elle ne marchait.

Le visage noyé dans les ombres lunaires, Lelaine ne s’unit pas au Pouvoir – du coup, Siuan dut s’en abstenir.

Tenant la jument par la bride, l’ancienne Chaire d’Amyrlin marcha à côté de la représentante et le Champion les suivit à deux pas de distance. C’était à Lelaine d’engager la conversation, et pas seulement à cause de son siège au Hall. Non sans peine, Siuan résista à l’envie de baisser la tête pour cesser de paraître plus grande que sa compagne. Désormais, elle ne pensait presque plus au temps où elle dirigeait la tour. Les Aes Sedai l’avaient de nouveau accueillie en leur sein, et le rôle d’une sœur, en partie, consistait à savoir instinctivement rester à sa place dans la hiérarchie.

La maudite jument lui flanquant de petits coups de museau dans la main, comme si elles étaient intimes, Siuan saisit la bride de l’autre main et essuya ses doigts et sa paume sur son manteau. Fichu canasson baveur !

Lelaine lui jetant un regard en coin, la contemptrice des équidés sentit qu’elle s’empourprait. Instinctivement, oui…

— Tu as d’étranges amies, Siuan. J’ai cru comprendre que certaines t’auraient bien renvoyée d’où tu venais, quand tu as déboulé à Salidar. Sheriam, je peux comprendre, même si sa position tellement plus élevée que la tienne, désormais, doit parfois vous gêner. C’est pour ça, essentiellement, que je t’évite. Pour esquiver la gêne.

Siuan en resta bouche bée de surprise. Lelaine était dangereusement près d’évoquer le sujet dont on ne parlait jamais. De la part d’une telle femme, une pareille transgression était stupéfiante.

Venant de Siuan, ç’aurait été imaginable. Place dans la hiérarchie ou non, elle restait ce qu’elle était. Mais de Lelaine, quelle surprise !

— Siuan, j’espère que nous pourrons redevenir amies, toi et moi. Mais si c’est impossible, je comprendrai. La réunion de cette nuit confirme ce que Faolain m’a dit. (Lelaine eut un petit rire et croisa les mains.) Ne tire pas cette tête, Siuan ! Elle ne t’a pas trahie – pas volontairement, en tout cas. Elle a gaffé une fois de trop, et j’ai décidé de la presser comme un citron. Ce n’est pas une façon de traiter une sœur, mais Faolain, en réalité, ne sera qu’une Acceptée jusqu’à ce qu’elle ait réussi l’épreuve. Elle fera une bonne Aes Sedai, j’en suis sûre. Tout ce qu’elle m’a confié, elle aurait voulu le garder pour elle. En fait, ce ne sont que des fragments et quelques noms. Mais quand je t’ai vue sous la tente, tout à l’heure, les pièces du puzzle se sont mises en place. Je devrais pouvoir lever le confinement de cette malheureuse. À coup sûr, elle n’osera plus jamais m’espionner. Tes amies et toi, vous avez été très fidèles à Egwene. Me seras-tu loyale, Siuan ?

C’était donc pour ça que Faolain semblait se cacher ? Combien de « fragments » avait-elle lâchés, pendant qu’elle était « pressée comme un citron » ? Faolain ignorait bien des choses, mais il faudrait supposer que Lelaine, elle, était au courant de tout. Tout ça en ne lui révélant rien, sauf si elle refaisait à Siuan le coup du citron.

L’ancienne Chaire d’Amyrlin s’arrêta et se redressa de toute sa hauteur. Lelaine l’imita, attendant à l’évidence qu’elle parle enfin. Même sans bien voir son visage, ça ne faisait aucun doute. Pour affronter la représentante, Siuan dut mobiliser tout son courage. Chez les Aes Sedai, certains instincts étaient programmés jusque dans la moelle des os.

— Je te suis loyale parce que tu es une des représentantes de mon Ajah. Egwene al’Vere, elle, est la Chaire d’Amyrlin.

— Exact… Elle t’a parlé en rêve ? Dis-moi tout ce que tu sais sur sa situation.

Par-dessus son épaule, Siuan jeta un coup d’œil à Burin.

— Ne t’en fais pas…, souffla Lelaine. Voilà vingt ans que je n’ai plus de secrets pour lui.

— Oui, elle m’a parlé dans mes rêves…, confirma Siuan.

Pas question de révéler que c’était pour lui donner rendez-vous dans la version onirique de Salidar, en Tel’aran’rhiod. Pour commencer, elle n’était pas censée détenir le ter’angreal qui lui donnait accès au Monde des Rêves. Si le Hall l’apprenait, on le lui confisquerait à coup sûr.

Extérieurement très calme, Siuan répéta tout ce qu’elle avait dit à Myrelle et aux autres sœurs. Elle ajouta quelques informations, mais en garda pas mal pour elle. Par exemple, elle omit d’évoquer la trahison dont avait été victime Egwene. Cette infamie venait nécessairement du Hall, parce que personne d’autre que les représentantes, à part les sœurs chargées de l’exécuter, n’était au courant du plan visant à bloquer les ports. Cela dit, la ou les coupables n’avaient pas pu savoir qui exactement elles allaient livrer à la Tour Blanche. Donc, elles visaient simplement à aider Elaida, ce qui semblait incompréhensible. Parmi les représentantes, qui aurait pu vouloir soutenir la Chaire d’Amyrlin adverse ? Depuis le début, on murmurait que des partisanes d’Elaida noyautaient la rébellion. Mais Siuan n’y croyait plus depuis longtemps.

Quoi qu’il en soit, toutes les sœurs bleues souhaitaient renverser Elaida. Mais tant que les responsabilités ne seraient pas établies, aucune représentante, même bleue, ne serait informée de l’affaire.

— Egwene a convoqué une réunion plénière pour demain… non, pour ce soir, quand sonnera la dernière cloche. Dans le Hall de la tour.

Lelaine rit de si bon cœur que des larmes perlèrent à ses paupières.

— Excellent, vraiment ! Notre Hall siégeant sous le nez d’Elaida – enfin, presque. Je donnerais cher pour pouvoir le lui dire, histoire de voir sa tête.

Sans crier gare, Lelaine se rembrunit. Elle s’esclaffait facilement, mais ce n’était qu’une façade. Au plus profond d’elle-même, elle restait d’un sérieux… mortel.

— Donc, Egwene pense que les Ajah peuvent se retourner les uns contre les autres. Ça semble presque impossible. Elle n’a vu qu’une poignée de sœurs, d’après ton récit. Cela dit, ce sera à vérifier, lors d’un prochain séjour dans le Monde des Rêves. Au lieu de se focaliser sur le bureau d’Elaida, il faudrait fouiner dans les quartiers des Ajah.