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» Ensuite, parce que Lelaine et Romanda, avant de la faire nommer, s’étripaient pour s’emparer de l’étole et du sceptre. Egwene vivante, elles recommenceront à s’écharper, mais sans aucune chance de succès. Moi, je suis certaine que bien des sœurs ne tarderont pas à me suivre. Dans une ou deux semaines, Lelaine et Romanda se retrouveront seules dans les ruines de leur prétendu Hall !

— Comment sais-tu que la fille al’Vere ne sera pas jugée ? demanda Elaida. D’ailleurs, d’où tires-tu la certitude qu’elle est en vie ? Tarna, libère notre amie de ton bouclier.

La Gardienne obéit et Beonin eut un hochement de tête reconnaissant. Enfin, un peu reconnaissant. Avec ses grands yeux bleus, elle semblait en permanence surprise, mais en réalité, c’était un parangon d’équanimité. Cette sérénité combinée à une passion dévorante pour la loi – sans oublier une ambition tout aussi dévorante – avait décidé Elaida à l’envoyer à la poursuite des sœurs qui abandonnaient la tour.

Une erreur funeste, car cette ignare avait tout raté. Oui, elle avait semé un peu de zizanie, mais sans jamais rien accomplir de ce qu’Elaida attendait d’elle. Rien ! Du coup, elle serait « récompensée » à la hauteur de son fiasco.

— Mère, il suffit à Egwene de s’endormir pour avoir accès au Monde des Rêves. J’y suis allée et je l’ai vue, mais moi, j’ai besoin d’un ter’angreal. Je n’ai pas pu en voler un aux rebelles pour l’apporter ici.

» Bref, Egwene a parlé à Siuan Sanche – dans ses rêves, officiellement, mais je parie qu’elles se sont rencontrées en Tel’aran’rhiod. Egwene a dit qu’elle était prisonnière, sans révéler où, et elle a interdit toute expédition de secours. Puis-je me servir un peu d’infusion ?

Trop sonnée, Elaida ne put pas sortir un mot. D’un geste, elle désigna le guéridon. La sœur grise en approcha puis testa la température de la carafe du dos de la main.

La gamine pouvait entrer en Tel’aran’rhiod ? Et il existait des ter’angreal qui y donnaient accès ? Le Monde des Rêves, jusque-là, était quasiment une légende ! Mais il n’y avait pas que ça… Selon les bribes d’informations que les Ajah daignaient partager avec leur dirigeante suprême, Egwene avait aussi redécouvert le tissage permettant de Voyager. Et une kyrielle d’autres merveilles.

Ces données avaient joué un rôle capital dans la décision de garder Egwene en vie. Les révélations de Beonin confirmaient que c’était le bon choix.

— Mère, dit Tarna, si Egwene peut faire ça, elle est peut-être bien une Rêveuse. Sa mise en garde à Silviana…

— … est un tuyau crevé, Tarna. Les Seanchaniens sont encore en Altara, et ils approchent à peine de l’Illian.

Sur les envahisseurs, les Ajah transmettaient tout ce qu’ils savaient. Au moins, il fallait l’espérer.

— Sauf si les Seanchaniens apprennent à Voyager, quelles précautions serais-je censée prendre, en plus de tout ce que j’ai déjà mis en place ?

Aucune, bien entendu. D’autant plus que la fille al’Vere avait interdit qu’on vienne à son secours. C’était une nouvelle plutôt bonne, mais il y avait un sacré revers à la médaille : Egwene se prenait toujours pour la Chaire d’Amyrlin.

Si les formatrices n’y parvenaient pas, Silviana lui enlèverait cette idée folle de la tête.

— Peut-on lui donner assez de potion pour la couper du Monde des Rêves ?

Tarna eut un rictus. Personne n’aimait cette décoction, même pas les sœurs marron qui s’étaient sacrifiées pour l’essayer.

— On peut la faire dormir toute la nuit, Mère, mais le jour suivant, elle ne sera bonne à rien. À force, ça peut aussi affecter ses considérables talents.

— Puis-je vous servir, Mère ? demanda Beonin, une tasse blanche en équilibre sur la pointe des doigts. Tarna, tu en veux ? Les nouvelles les plus importantes que je…

— Je n’ai aucune envie d’infusion, grogna Elaida. As-tu quelque chose en réserve pour sauver ta misérable peau ? Vas-tu nous révéler le tissage qui permet de Voyager, ou celui qui rend possible de Planer, ou encore… ?

Tellement de merveilles… Peut-être s’agissait-il exclusivement d’anciennes compétences redécouvertes, mais pour l’instant, la plupart n’avaient pas de nom.

Toujours très calme, Beonin regarda Elaida par-dessus le rebord de sa tasse.

— Oui, répondit-elle, je viens les mains pleines. Si je ne peux pas fabriquer du cuendillar, je connais les nouveaux tissages de guérison, et je les maîtrise aussi bien que la plupart des sœurs. Mais la merveille des merveilles, c’est le Voyage.

Sans demander la permission, Beonin s’unit à la Source et réalisa un tissage d’Esprit. Apparaissant devant un mur, une ligne verticale argentée forma ensuite un portail qui donnait sur des chênes couverts de neige. Une bise s’engouffra dans le bureau, faisant vaciller les flammes de la cheminée.

— C’est un portail, Mère. Une chance que je sois déjà venue ici, car on peut les générer uniquement à partir d’endroits qu’on connaît bien. Pour aller dans un lieu inconnu, on doit plutôt Planer…

Beonin modifia son tissage. Le portail redevint une fine ligne, puis il s’élargit de nouveau pour montrer une barge peinte en gris sur un fond noir.

— Cesse de canaliser, ordonna Elaida.

Si elle avançait jusqu’à cette barge, aurait-elle juré, l’obscurité risquait de s’étendre aussi loin qu’elle pouvait voir dans chaque direction. Alors, elle risquerait de s’y perdre à jamais. Une idée qui lui glaçait les sangs.

Le portail disparut, mais le souvenir des ténèbres demeura.

Elaida se rassit à son bureau, ouvrit le plus grand de ses coffrets laqués – celui orné de roses et de runes dorées. Dans le tiroir supérieur, elle prit une statuette d’ivoire jaunie par le temps. Observant l’hirondelle miniature, elle passa un pouce sur ses ailes.

— Tu n’enseigneras ces tissages à personne sans avoir eu ma permission.

— Mais… Pourquoi, Mère ?

— Certains Ajah, ici, expliqua Tarna, s’opposent à notre Mère presque aussi radicalement que les renégates.

Elaida foudroya sa Gardienne du regard. Mais celle-ci ne broncha pas.

— Je déciderai qui est ou n’est pas assez fiable pour apprendre, Beonin. Je veux que tu promettes de… Non, tu vas prêter serment !

— Dans les couloirs, j’ai vu des sœurs d’Ajah différents se défier du regard – voire se foudroyer. Que s’est-il passé à la tour, Mère ?

— J’attends ton serment, Beonin !

Voyant la sœur grise sonder sa tasse une petite éternité durant, Elaida se demanda si elle n’allait pas refuser tout net. Mais l’ambition l’emporta. Si Beonin était dans le camp de la tour, c’était par intérêt. Changer d’avis maintenant aurait été de la folie.

— Sur la Lumière et sur mon espoir de salut et de résurrection, je jure de ne pas enseigner les tissages appris auprès des renégates sans avoir reçu la permission de la Chaire d’Amyrlin.

Beonin marqua une pause et but une gorgée d’infusion.