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Cet incident ouvrit des perspectives à Aran’gar. Une fois Moridin éliminé, Moghedien et Cyndane seraient sous son emprise. Une très bonne surprise.

Moridin se redressa sur son siège et balaya l’assistance du regard.

— Ça vaut pour vous tous. Al’Thor, c’est mon affaire ! Interdit de toucher à un de ses cheveux.

Cyndane baissa la tête pour boire, mais Aran’gar vit de la haine briller dans ses yeux. Selon Graendal, plus faible dans le Pouvoir, elle n’était pas l’équivalent de Lanfear. Mais elle était obsédée par al’Thor et, comme Lanfear, continuait à l’appeler « Lews Therin ».

— Si vous avez envie de tuer, continua Moridin, ne vous gênez pas avec ces deux-là.

En un clin d’œil, les silhouettes de deux jeunes paysans apparurent au milieu du cercle de sièges, tournant sur elles-mêmes comme des mannequins pour que tout le monde voie bien leur visage. Un des gaillards, les yeux jaunes, était grand et large d’épaules. L’autre, svelte mais pas maigre, affichait un sourire joufflu. Créées en Tel’aran’rhiod, ces représentations étaient affligées d’une certaine raideur et leur expression ne changeait jamais.

— Perrin Aybara et Mat Cauthon sont des ta’veren. Les trouver sera un jeu d’enfant. Quand ce sera fait, tuez-les !

Graendal eut un rire de gorge.

— Trouver des ta’veren n’a jamais été aussi facile que tu le dis. Aujourd’hui, c’est plus compliqué que jamais. La Trame fluctue sans cesse, avec toutes sortes d’altérations et de changements.

— Perrin Aybara et Mat Cauthon, répéta Semirhage en étudiant les deux images en trois dimensions. Ainsi, c’est à ça qu’ils ressemblent. Moridin, si tu nous les avais montrés plus tôt, ils seraient sans doute déjà morts.

Le poing de Moridin s’abattit sur l’accoudoir de son fauteuil.

— Trouvez-les ! Pour ce faire, assurez-vous que tous vos partisans connaissent leur visage. Oui, débusquez Aybara et Cauthon, et tuez-les. Le Temps du Retour est proche, et ils doivent mourir !

Aran’gar but un peu de vin. Si elle les croisait, elle ne voyait pas d’objections à estourbir les deux garçons. Mais au sujet d’al’Thor, Moridin allait être terriblement déçu.

4

Un marché

Perrin fit reculer Trotteur pour qu’il soit sous le couvert des arbres, puis il observa la vaste prairie où des fleurs sauvages rouges et bleues pointaient leur corolle au milieu de l’herbe que le manteau de neige désormais disparu avait aplanie jusqu’à en faire un tapis jaunâtre. Dans le bosquet, derrière lui, les lauréoles avaient conservé leur feuillage. Les copalmes, en revanche, aborderaient le printemps avec des branches quasiment dénudées.

Trotteur racla le sol de ses sabots avec une impatience que Perrin partageait, même s’il n’en laissait rien paraître. Depuis près d’une heure, il attendait, et le soleil était à présent juste au-dessus de sa tête. Soufflant de l’ouest, une brise balayait la prairie et venait lui caresser le visage. Une sensation agréable…

Régulièrement, la main gantée du jeune seigneur caressait une branche presque droite coupée sur un chêne. Plus épaisse que son avant-bras et au moins deux fois plus longue, elle reposait en travers de la selle, juste devant lui. Sur une moitié, il avait retiré l’écorce pour obtenir une surface dure et lisse.

Entourée de chênes, de lauréoles et de pins géants, sans oublier quelques copalmes plus petits, la prairie faisait à peine six cents pieds de large et un peu plus de long. La taille de la branche devrait convenir. Pour toutes les possibilités qu’il avait envisagées, elle ferait l’affaire dans une majorité de cas.

— Première Dame, dit Gallenne pour la énième fois, vous devriez retourner au camp.

Agacé, l’officier frotta nerveusement le bandeau rouge qui lui cachait un œil. Accroché au pommeau de sa selle, son casque à plumet rouge le laissait pour une fois tête nue, sa crinière grisonnante venant mourir sur ses épaules. Devant Berelain, racontait-on, il lui était arrivé d’affirmer qu’il lui devait chacun de ses cheveux blancs. S’avisant que son destrier noir essayait de mordre Trotteur en douce, il tira sur ses rênes sans détourner un instant le regard de sa protégée. Dès le début, il lui avait déconseillé de venir.

— Grady pourrait vous raccompagner puis nous rejoindre. Quant à nous, nous attendrons de voir si les Seanchaniens daignent se montrer.

— Capitaine, je ne bougerai pas d’ici.

Comme toujours, le ton de Berelain combinait la fermeté et le calme. Mais sous son odeur coutumière de patience, Perrin captait un rien d’inquiétude. En d’autres termes, elle n’était pas aussi sûre de son fait qu’elle voulait le faire croire.

Pour cette expédition, elle avait choisi de porter un parfum léger aux arômes floraux. En d’autres circonstances, Perrin aurait tenté de déterminer sa composition. Aujourd’hui, il était trop concentré pour s’amuser à ça.

Si son visage sans âge d’Aes Sedai restait aussi impassible que d’habitude, de la vexation perçait dans l’odeur d’Annoura. Mais ça n’avait rien de nouveau. Cette aigreur était présente chez elle depuis sa querelle avec Berelain – entièrement sa faute, puisqu’elle avait rendu visite à Masema sans en informer la souveraine. À part ça, elle avait également conseillé à Berelain de ne pas venir.

La monture d’Annoura approchant de sa jument blanche, Berelain lui fit faire quelques pas de côté sans daigner accorder un coup d’œil à sa conseillère.

La vexation monta en flèche…

La robe de soie rouge richement brodée de Berelain dévoilait plus sa poitrine que d’habitude, du moins ces derniers temps. Cela dit, un large collier de pierres de lune et d’opales évitait ce qui aurait été sinon un attentat à la pudeur. À la taille, la jeune beauté portait un large ceinturon incrusté de pierreries où pendait une dague au manche ornementé.

La couronne de Mayene, fine et étroite, était placée de telle façon que le Faucon d’Or aux ailes déployées soit juste au milieu du front de la dirigeante. Comparé au collier et au ceinturon, ce bijou paraissait presque… ordinaire.

Une jeune beauté, assurément. Plus belle encore aux yeux de Perrin depuis qu’elle ne le harcelait plus. Mais très loin du niveau de Faile, bien entendu.

Si Annoura portait une robe d’équitation grise très ordinaire, presque tous les autres membres de l’expédition étaient sur leur trente et un. Pour Perrin, ça se traduisait par une veste vert sombre rehaussée de broderies d’argent sur les manches et les épaules. Par nature, il n’aimait pas les vêtements trop chics. Ceux qu’il avait, c’était Faile qui l’avait enquiquiné – gentiment, quand même – pour qu’il les achète. Aujourd’hui, il l’en remerciait, car il aurait besoin d’en imposer. Et si son ceinturon banal gâchait l’effet, eh bien, il faudrait faire avec.

— Il faut qu’elle vienne, grommela Arganda.

Petit et trapu, le premier capitaine d’Alliandre avait gardé son casque argenté orné de trois plumes blanches. Perché sur sa monture, il tirait sans cesse sur son épée, la faisant jaillir un peu du fourreau, comme s’il s’attendait à devoir conduire une charge. Avec son plastron lui aussi argenté, il devait être visible à des lieues à la ronde.

— Il le faut !

— Le Prophète affirme qu’elle ne viendra pas, maugréa Aram.

Il talonna son cheval gris et se mit à hauteur de Trotteur. Jaillissant de sous sa veste rayée de vert, le pommeau en forme de tête de loup de son épée saillait entre ses omoplates. Par le passé, Aram était presque trop beau pour un mâle. À présent, ses traits se durcissaient de jour en jour. Les yeux enfoncés dans leurs orbites et les lèvres pincées, il semblait en permanence… irrité et hagard.