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— Oui, selon le Prophète, elle vous fera faux bond. À moins que ce soit un piège. Il est catégorique : nous ne devons pas nous fier aux Seanchaniens.

Perrin ne dit rien, mais il n’en pensa pas moins, assez remonté contre l’ancien Zingaro.

Balwer l’avait averti qu’Aram passait trop de temps avec Masema. À première vue, il avait paru inutile de lui ordonner de ne pas raconter au Prophète tout ce que faisait le seigneur Aybara. Eh bien, même s’il n’y avait jamais moyen de remettre un œuf dans sa coquille, Perrin se montrerait moins confiant, à l’avenir. Un bon forgeron devait connaître ses outils et s’efforcer de ne jamais les casser. Avec les gens, c’était pareil. Quant à Masema, il devait surtout redouter qu’on découvre ses petits arrangements en cours avec les Seanchaniens.

Même si la plupart de ses membres resteraient à couvert du bosquet, l’expédition était des plus étoffées. Derrière l’étendard de Mayene, le Faucon d’Or sur champ d’azur, cinquante Gardes Ailés paradaient dans leurs plastrons rouges. Un casque de la même couleur sur le crâne, ils tenaient à la verticale leur longue lance à pointe d’acier. À côté d’eux, cinquante lanciers du Ghealdan, reconnaissables à leur casque conique vert foncé, attendaient derrière l’étendard aux Trois Étoiles d’Argent sur fond rouge de leur patrie.

Ces guerriers avaient de quoi impressionner, il fallait l’avouer. Pourtant, à eux tous, ils étaient beaucoup moins dangereux que Jur Grady, qui semblait bien terne avec sa veste noire ordinaire au col orné d’une épée d’argent miniature.

Que les soldats en soient informés ou non, Grady, lui, avait conscience de sa force. Du coup, il se tenait près de son hongre gris avec l’assurance d’un homme qui prend un peu de repos après une rude journée de travail.

En comparaison, Leof Torfinn et Tod al’Caar, les seuls gars de Deux-Rivières présents officiellement, gigotaient d’impatience sur leur selle. Très fiers d’avoir été choisis, ils auraient peut-être déchanté en apprenant que c’était à cause de leur corpulence plus que de leurs autres qualités. En effet, les deux vestes vert foncé d’emprunt leur allaient comme du sur-mesure.

Sur des hampes un peu plus longues que les lances, Leof brandissait l’étendard à la Tête de Loup de Perrin, et Tod l’Aigle Rouge de Manetheren. Pour décider de cette répartition, ils en étaient presque venus aux mains. Pas parce que aucun n’avait envie de porter ses couleurs, espérait le jeune seigneur.

Probablement pas, puisque Leof semblait très content et Tod carrément extatique. Bien entendu, il ignorait pourquoi Perrin avait emporté le second étendard. Dans toute négociation, selon le père de Mat, il fallait faire croire aux gens d’en face qu’ils s’en tiraient avec des avantages en plus…

Comme chaque fois qu’il pensait à Mat ou à Rand, des couleurs tourbillonnèrent dans la tête de Perrin. Puis, fugitivement, il crut voir le jeune flambeur parler avec une petite femme noire.

Une image à oublier. Pour l’heure, seul le présent comptait. Et le présent, c’était Faile.

— Elle viendra, affirma rageusement Arganda en foudroyant Aram sous la visière de son casque.

À croire qu’il s’attendait à un défi…

— Et si tu te trompes ? demanda Gallenne, son œil unique brillant autant que les deux réunis d’Arganda.

Son plastron laqué de rouge n’était pas plus discret que celui d’Arganda, qui brillait au soleil comme une balise. Mais essayer de convaincre ces deux hommes de peindre en mat la pièce majeure de leur équipement aurait été du temps perdu.

— Et si c’est vraiment un piège ? grogna Arganda.

On eût dit le cri rauque d’un loup. Cet homme était à bout de patience.

Une odeur d’équidé vint titiller les narines de Perrin un peu avant qu’il entende des trilles de mésanges bleues – trop lointains pour que quiconque d’autre puisse les capter. Ces signaux montaient d’entre les arbres qui entouraient la prairie. Peut-être inamicaux, des cavaliers venaient d’y entrer en grand nombre. Peu près, d’autres trilles retentirent.

— Les voilà, annonça Perrin, ce qui lui valut des regards intrigués d’Arganda et de Gallenne.

Autant que possible, il essayait de garder le secret sur sa vision et son ouïe amplifiées. Mais à force d’impatience, les deux officiers semblaient sur le point de se sauter à la gorge…

Les trilles se firent plus proches, et tout le monde les entendit. Aussitôt, Arganda et Gallenne passèrent en mode « méfiance ».

— Si ça risque d’être un traquenard, lâcha Gallenne, je refuse d’exposer la Première Dame.

Dans l’expédition, tous savaient ce que signifiaient les signaux.

— Capitaine, intervint Berelain, brûlant la politesse à Perrin, c’est à moi de décider.

— Votre vie est sous ma responsabilité, rappela l’officier.

Agacée, Berelain prit une grande inspiration. Mais cette fois, Perrin fut plus rapide :

— Si piège il y a, j’ai déjà expliqué comment nous le désamorcerons. Vous savez à quel point les Seanchaniens sont soupçonneux. Très vraisemblablement, ils craignent que nous leur ayons tendu une embuscade.

Gallenne se racla bruyamment la gorge. Dans l’odeur de Berelain, Perrin sentit la patience faiblir, mais la jeune femme se ressaisit.

— Tu devrais l’écouter, capitaine, dit-elle avec un sourire pour Perrin. Il sait ce qu’il fait.

À l’autre bout de la prairie, des cavaliers apparurent et tirèrent sur leurs rênes. Même de loin, Tallanvor se révéla très facile à reconnaître. En veste noire, c’était le seul homme qui ne portait pas une armure rayée de rouge, de jaune et de bleu. Deux femmes le flanquaient, l’une en robe bleu rayé de rouge sur le corsage et la jupe et l’autre en gris. Entre elles, une espèce de chaîne brillait sous les assauts du soleil. Une sul’dam et sa damane, donc. Durant les négociations avec Tallanvor, il n’avait jamais été question de ça, mais Perrin s’y attendait.

— Il faut y aller, dit-il en secouant les rênes de Trotteur. Avant qu’elle pense que c’est nous qui ne viendrons pas.

Annoura réussit à approcher de nouveau de Berelain. Très vive, elle posa une main sur le bras de la Première Dame avant qu’elle ait talonné sa jument.

— Laisse-moi t’accompagner, Berelain. Tu auras besoin de mes conseils. Les négociations de ce genre sont ma spécialité.

— Les Seanchaniens ont sûrement appris à reconnaître une Aes Sedai, tu ne crois pas ? Je doute qu’ils négocieraient avec toi… En plus, très chère, tu dois rester pour aider maître Grady.

De petits points roses apparurent brièvement sur les joues de la sœur et elle pinça les lèvres. Pour qu’elle accepte d’obéir à Grady, il avait fallu une intervention des Matriarches. De quelle nature, Perrin préférait ne pas le savoir, d’autant plus qu’Annoura tentait de se défiler depuis le départ du camp.

— Tu restes aussi, dit Perrin lorsque Aram fit mine de talonner son cheval. Ces derniers temps, tu t’énerves facilement, et je ne veux pas que tu fasses une gaffe. L’enjeu, c’est la vie de Faile.

La stricte vérité. Inutile de préciser qu’il s’agissait aussi d’empêcher Masema d’avoir un rapport complet sur la rencontre.

— Tu as saisi ?

De la déception se mêla à l’odeur d’Aram, mais il hocha la tête – à contrecœur – et posa les mains sur le pommeau de sa selle. S’il idolâtrait Masema, il aurait préféré mourir cent fois plutôt que mettre Faile en danger. Délibérément, en tout cas. Ce qu’il faisait sans s’en rendre compte était une autre affaire.

Arganda sur sa droite, Berelain et Gallenne sur sa gauche, Perrin sortit du bosquet. Les porte-étendard suivirent, dix Gardes Ailés et dix lanciers leur emboîtant le pas.

Également en colonne, les Seanchaniens se mirent en mouvement, Tallanvor entre les deux chefs du détachement, l’un perché sur un cheval rouan et l’autre sur un bai. Sur le tapis d’herbe, les sabots ne faisaient presque pas de bruit. Alentour, la forêt se murait dans le silence, même pour les oreilles hors du commun de Perrin.