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Quand deux flèches s’y plantèrent presque simultanément, la branche faillit s’envoler des mains de Perrin. Très calme, il baissa les bras pour bien montrer les deux projectiles, dont la pointe avait traversé le bois. Pour une si petite cible, trois cents pas, c’était sacrément loin, mais il avait choisi Jondyn Barran et Jori Congar, ses deux meilleurs archers.

— Si nous en venons là, tes hommes ne verront même pas qui leur tire dessus. Et vos armures ne vaudront rien face aux projectiles d’un arc long de Deux-Rivières. Mon souhait, c’est que nous évitions ça.

Mobilisant toutes ses forces, Perrin propulsa la branche vers le ciel.

— Du bla-bla ! rugit Mishima.

Tout en ne quittant pas des yeux Perrin et la branche, l’officier essaya de dégainer sa lame sans perdre pour autant le contrôle de son cheval. Glissant du pommeau de sa selle, son casque tomba dans l’herbe.

En revanche, Tylee n’esquissa pas un geste vers son arme. Tirant sur ses rênes, elle aussi tentait de voir Perrin et la branche en même temps. Quand elle constata que c’était impossible, elle choisit de suivre la trajectoire de la branche, à présent à près de quatre-vingts pieds au-dessus des cavaliers.

Si brûlante que Perrin crut sentir roussir ses sourcils, une lance de flammes enveloppa la pauvre branche. Pour s’abriter les yeux, Berelain mit une main en visière. Le front plissé, Tylee paraissait de plus en plus pensive.

Quand les flammes se dissipèrent – en quelques secondes –, il ne restait plus de la branche qu’un nuage de cendres dispersé par le vent.

Une partie de ces cendres s’écrasèrent dans l’herbe en même temps que deux étincelles. Presque aussitôt, des flammes rugissantes crépitèrent au-dessus du sol. Dans l’assistance, même les destriers en grognèrent de peur. Tentant d’échapper au contrôle de sa cavalière, la jument de Berelain se débattit sauvagement.

Lâchant un juron – il aurait dû penser aux étincelles produites par les têtes de flèche –, Perrin fit mine de sauter à terre pour aller étouffer le feu. Avant qu’il ait passé la jambe gauche sur le flanc droit de Trotteur, les flammes s’éteignirent, laissant quelques fins tentacules de fumée.

— Très bien joué, souffla la sul’dam en tapotant la tête de sa compagne. Norie est une formidable damane.

La prisonnière vêtue de gris sourit timidement. Malgré ses propos triomphants, la sul’dam semblait inquiète.

— Ainsi, intervint Tylee, tu as avec toi une marath’… Enfin, une Aes Sedai. Une seule, ou plusieurs ? Qu’importe ! Celles que j’ai vues ne m’ont pas laissé d’impérissables souvenirs.

— Ce n’était pas le tissage de Feu d’une marath’damane, dit calmement la sul’dam.

Sans bouger un cil, Tylee dévisagea Perrin.

— Un Asha’man, alors ? lâcha-t-elle – et ce n’était pas une vraie question. Seigneur, tu commences à m’intéresser…

— Dans ce cas, un dernier détail te persuadera peut-être. Tod, enroule ton étendard autour de sa hampe, puis amène-toi par ici.

N’entendant aucun bruit de sabots dans son dos, Perrin regarda derrière lui. Le regard halluciné, Tod le dévisageait comme s’il avait perdu l’esprit.

— Tod !

S’ébrouant, Tod enroula l’Aigle Rouge autour de sa hampe. Puis, l’air toujours aussi malheureux, il vint au niveau de Perrin et lui remit son trésor.

Ensuite, il resta immobile, une main comiquement tendue, comme s’il espérait que l’étendard reviendrait vers lui de son propre chef.

L’étendard tendu comme un présent, Perrin avança en direction des Seanchaniens.

— Générale de bannière, le territoire de Deux-Rivières était jadis le cœur de Manetheren. Le dernier souverain de ce royaume est mort au combat à l’endroit même où Champ d’Emond, mon village natal, jaillit un jour du sol aride. Depuis, Manetheren coule dans le sang de tous les petits gars de Champ d’Emond.

» Mais les Shaido détiennent ma femme, et pour la libérer, j’abandonnerai toute prétention de ressusciter ma nation. Dans le même ordre d’idées, j’accepterai n’importe quel serment que tu voudrais me faire prêter. Si je luttais pour la renaissance de Manetheren, ce serait une épine dans le pied de l’Empire seanchanien. Imagine : tu pourrais être l’héroïne qui l’a empêchée sans verser une goutte de sang.

Derrière Perrin, quelqu’un gémit de désespoir. Tod, crut reconnaître le jeune seigneur.

Soudain, la brise changea de direction et devint une tempête de sable si puissante que Perrin dut s’accrocher de sa main libre à sa selle pour ne pas en basculer. Alors que sa veste et sa chemise semblaient devoir lui être arrachées par ces bourrasques, il se demanda d’où venait le sable. Dans la forêt, le sol était tapissé de feuilles mortes… Et ce typhon empestait le soufre – une odeur assez violente pour brûler les narines d’un homme. La bouche ouverte, les chevaux secouaient la tête, mais les rugissements du vent couvraient leurs cris de terreur.

Après quelques secondes, la tempête cessa, cédant la place à la brise qui soufflait dans la direction opposée. Toujours secoués, les chevaux hennirent et renâclèrent, les yeux ronds de terreur.

Quand Perrin flatta l’encolure de Trotteur et le rassura de la voix, ça n’eut quasiment aucun effet.

Tylee fit un étrange geste et marmonna :

— Que soient bannies les Ténèbres…

Puis elle continua sur un ton normal :

— Au nom de la Lumière, d’où venait ce vent ? Chez nous, on raconte qu’il se passe des choses bizarres sur ce continent. Ou était-ce une autre démonstration visant à nous convaincre, seigneur Perrin ?

— Pas du tout, répondit Perrin du fond du cœur.

Neald avait quelque talent en matière de climat, c’était connu. Pas Grady.

— Mais qu’importe la provenance de cette tempête ? ajouta-t-il.

Tylee dévisagea pensivement son interlocuteur, puis elle hocha la tête.

— Qu’importe ? répéta-t-elle, plus que dubitative. Nous avons entendu des récits au sujet de Manetheren. Une épine dans le pied, dis-tu ? Oui, ce serait ça, mais pour quelqu’un qui ne porte pas de bottes ! La moitié de l’Amadicia parle de cet étendard et de toi – le sauveur qui redonnera vie à Manetheren et libérera l’Amadicia de notre joug. Mishima, sonne la retraite !

Sans hésitation, l’officier blond saisit la courte corne droite qui pendait à son cou au bout d’un cordon rouge. Soufflant quatre notes, il répéta deux fois cette séquence, puis laissa retomber son instrument.

— J’ai rempli ma part du marché, dit Tylee.

Perrin renversa la tête en arrière et cria à s’en casser les cordes vocales :

— Dannil ! Tell ! Quand le dernier Seanchanien aura disparu de la forêt, rassemblez tous les hommes et allez rejoindre Grady.

Malgré son gantelet, Tylee s’enfonça le petit doigt dans l’oreille et fit mine de la déboucher.

— Tu as un organe puissant, lâcha-t-elle, railleuse.

Sur cette ultime pique, elle accepta enfin l’étendard que Perrin n’avait jamais cessé de lui tendre malgré la tempête. Si elle ne baissa pas les yeux dessus, sa main caressa un instant la relique – un réflexe inconscient, peut-être.

— À présent, seigneur Perrin, dit-elle, qu’as-tu à me proposer qui puisse être utile à mon plan ?

Jouant les acrobates, Mishima se pencha, une cheville enroulée autour du pommeau de sa selle, et réussit à ramasser son casque, que le vent avait fait rouler assez loin de lui.

De la forêt monta un chant d’alouette – quelques notes seulement – auquel plusieurs autres firent écho. Obéissants, les Seanchaniens cachés se retiraient. Avaient-ils été eux aussi malmenés par le vent ? Une question sans importance.