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— Pas autant d’hommes, et de loin, que tu en as déjà, reconnut Perrin, parfaitement honnête. Mais j’ai des Asha’man, des Aes Sedai et des Matriarches capables de canaliser. Tu auras besoin de cette force de frappe. (Tylee voulut parler, mais il leva une main.) Tu devras jurer de ne pas leur mettre un collier !

Perrin regarda ostensiblement la sul’dam et sa damane. La sul’dam ne quittait pas Tylee des yeux, attendant ses ordres. En même temps, elle caressait les cheveux de sa compagne comme on le fait pour apaiser un chat nerveux. De fait, Norie semblait sur le point de ronronner. Par la Lumière, quelle bande de fous !

— Je veux ta parole que ces gens n’auront rien à craindre de toi. Même chose pour tous ceux, dans le camp ennemi, qui portent une tenue blanche. La plupart ne sont pas des Shaido, de toute façon, et parmi eux, à ce que je sais, les rares Aiels dont des amis à moi.

Tylee secoua la tête.

— Tu as d’étranges amis, seigneur… Sache que nous avons trouvé des Cairhieniens et des Amadiciens avec des bandes de Shaido, et que nous les avons toujours laissés partir. Cela dit, les Cairhieniens, le plus souvent, étaient trop désorientés pour savoir que faire de leur peau. Les seuls porteurs de blanc que nous gardons, ce sont des Aiels. Contrairement aux autres, ces gai’shain-là font de merveilleux da’covale. Pourtant, je consens à épargner tes amis. Même chose pour les Aes Sedai et les Asha’man.

» Mettre un terme à ce rassemblement de Shaido est très important. Dis-moi où est leur camp, et je commencerai à te faire une place dans mon plan.

Perrin se gratta pensivement un côté du nez. Il semblait très peu probable que beaucoup de ces gai’shain soient des Shaido, mais il n’allait certainement pas le dire. Qu’ils aient donc une chance de recouvrer la liberté quand leurs un an et un jour de servitude seront terminés.

— Il faudra que ce soit mon plan, j’en ai peur. Sevanna sera une épine difficile à extraire, mais j’ai imaginé une stratégie. Tout d’abord, elle a avec elle près de cent mille Shaido, et d’autres continuent à arriver. Tous ne sont pas des algai’d’siswai, mais chaque adulte sait se servir d’une lance.

— Sevanna…, fit Tylee avec un sourire ravi. Ce nom, nous l’avons déjà entendu. J’adorerais livrer Sevanna des Jumai Shaido à notre capitaine général. (Le sourire disparut.) Cent mille, c’est plus que j’attendais, mais pas de quoi me dépasser. En Amadicia, nous avons combattu ces Aiels. Pas vrai, Mishima ?

S’en revenant avec son casque, l’officier éclata d’un rire sans joie.

— Pour sûr, générale de bannière ! Ce sont des guerriers féroces, disciplinés et compétents, mais pas invincibles. Il nous a suffi d’encercler une de leurs bandes, avec seulement deux ou trois damane dans nos rangs, et de la harceler jusqu’à ce qu’elle capitule. Comme les guerriers ont leur famille avec eux, ce n’est pas très beau à voir. Mais ce point faible les condamne…

— Si j’ai bien compris, dit Perrin à Tylee, tu disposes d’une dizaine de damane. Tu crois que ça suffira contre trois ou quatre cents Matriarches capables de canaliser ?

Tylee plissa le front.

— Des Matriarches qui canalisent ? Tu as évoqué ce sujet, je crois… Toutes les bandes que nous avons écrasées comprenaient des Matriarches, mais aucune ne maniait le Pouvoir.

— Toutes les Shaido qui le peuvent sont avec Sevanna, expliqua Perrin. Trois cents femmes, et plus probablement quatre cents. Les Matriarches qui me soutiennent sont sûres de cette fourchette.

Tylee et Mishima se consultèrent du regard. Puis l’officier se rembrunit tandis que sa supérieure soupirait.

— Eh bien, fit Tylee, quels que soient nos ordres, n’espérons plus en finir pacifiquement. Si je dois m’excuser devant l’Impératrice – puisse-t-elle vivre éternellement ! –, la Fille des Neuf Lunes en sera perturbée. Et plus que probablement, il sera obligatoire que je m’excuse…

La Fille des Neuf Lunes ? Une Seanchanienne très haut placée dans la hiérarchie, sans doute. Mais en quoi cette affaire risquait-elle de la perturber ?

Mishima fit la grimace, un spectacle à glacer les sangs à cause des multitudes de cicatrices qui se plissaient sur son visage.

— À la bataille de Semmalaren, dit-il, selon les historiens, il y avait quatre cents damane dans chaque camp, et ce fut une boucherie. La moitié des forces impériales tombées au champ d’honneur, et trois rebelles sur quatre allongés pour l’éternité…

— Quoi qu’il en soit, Mishima, il faut le faire ! Sinon, quelqu’un d’autre s’en chargera. Tu ne seras peut-être pas obligé de t’excuser, mais pour moi, c’est joué d’avance.

Au nom de la Lumière, qu’y avait-il de si extraordinaire à s’excuser ? Dans l’odeur de Tylee, la résignation dominait.

— Hélas, il faudra des semaines, voire des mois, pour réunir assez de soldats et de damane en vue de régler cette histoire. Merci de m’avoir proposé ton aide, seigneur Perrin. Je n’oublierai pas. (Tylee leva l’étendard enroulé.) Puisque je ne peux pas participer à ton plan, tu voudras sans doute récupérer ton bien. Permets-moi un conseil, jeune seigneur. L’Armée Toujours Victorieuse a peut-être d’autres chats à fouetter pour le moment, mais elle ne laissera personne en profiter pour essayer de ceindre une couronne. Nous entendons conquérir ce continent, pas le diviser en parcelles de plus en plus petites.

— Ce que nous voulons, intervint Berelain, c’est garder nos nations.

Elle fit avancer sa monture en direction des Seanchaniens. Éprouvée par la tempête de sable, la jument renâcla, forçant sa cavalière à la reprendre en main sans douceur. Dans le parfum de Berelain, Perrin crut reconnaître les effluves puissants d’une louve qui se bat pour défendre son compagnon blessé.

— Moi, fit Perrin, j’ai entendu dire que ton Armée Toujours Victorieuse porte très mal son nom. On raconte que le Dragon Réincarné vous a flanqué une belle correction, dans le sud du continent. Ne va surtout pas croire que Perrin Aybara soit incapable de l’imiter.

Lumière ! se morigéna intérieurement Perrin. Dire que je redoutais le franc-parler d’Aram…

— Le seul ennemi que je veux vaincre, c’est Sevanna et ses Shaido, affirma-t-il en luttant contre l’image qui tentait de se former dans son esprit.

Pour se détendre, il croisa les mains sur le pommeau de sa selle. Trotteur semblait calmé. S’il sursautait encore de temps en temps, il ne roulait plus de gros yeux.

— Il y a une façon de procéder qui ne provoquera pas de désordre et te dispensera sans doute de t’excuser. (Puisque cette idée obsédait Tylee, pourquoi ne pas en tirer parti ?) La Fille des Neuf Lunes pourra dormir sur ses deux oreilles. Comme je l’ai déjà dit, j’ai tout prévu. Selon Tallanvor, vous disposez d’une potion qui détruit la résistance physique et mentale des femmes capables de canaliser.

Un long moment, Tylee dévisagea Perrin. Puis elle posa l’étendard enroulé sur ses genoux.

— Pas seulement des femmes, précisa-t-elle. Plusieurs hommes, à ce qu’on dit, ont été soumis ainsi. Mais comment proposes-tu d’en faire boire à quatre cents femmes défendues par cent mille guerriers ?

— En leur en donnant sans qu’elles sachent ce que c’est. Pour ça, il me faudra d’énormes quantités de feuilles. Des chariots pleins de caisses. Comme on ne pourra pas faire chauffer le volume d’eau correspondant, ce sera une infusion légère…

Tylee s’autorisa un petit rire.

— Un plan audacieux, seigneur. L’herboristerie qui vend cette plante doit avoir de très gros stocks, mais elle est très loin d’ici en Amadicia – presque au Tarabon, en réalité. Pour en avoir plus que quelques livres, je devrai dire pourquoi à un très haut gradé. Aussitôt, c’en sera fini de la discrétion.