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Bain et Chiad désapprouvaient aussi les Promises qui participaient à cette mascarade. Diriger une tribu – ou remplacer le chef pour un temps – ne conférait pas les pouvoirs dont bénéficiaient les nobles dans d’autres cultures.

En grande conversation, les Promises agitaient fébrilement les mains. Les dépassant, Faile reconnut deux ou trois fois les gestes qui composaient le mot Car’a’carn. Hélas, impossible de savoir de quoi elles parlaient, ni même si elles évoquaient al’Thor ou Couladin.

S’arrêter pour « écouter », si elle était capable de tout saisir, s’avérait hélas hors de question. Alors que ses compagnons s’éloignaient déjà dans les rues boueuses, les Promises auraient eu très vite des soupçons. Dans ce cas, elles risquaient de la rosser voire, pire encore, de la fouetter avec les lacets de ses bottes.

Des « regards insolents » lui ayant plusieurs fois valu ce châtiment – chez les Shaido, les Promises ne rigolaient pas –, Faile n’avait aucune envie de recommencer, surtout quand ça impliquait de se déshabiller en public. Être une gai’shain de Sevanna ne protégeait de rien. Face à un larbin indiscipliné, n’importe quel Shaido avait le droit de sévir. Y compris un enfant, si on l’avait désigné pour surveiller une corvée. Ultime considération, si Faile s’attardait, sa robe blanche serait vite trempée. Très désagréable quand on avait quatre ou cinq cents pas à faire pour regagner sa tente. De quoi se tremper aussi, mais un peu moins, si personne ne la forçait à s’arrêter.

Bâillant à s’en décrocher la mâchoire, Faile se détourna de la grande tente rouge. Pour retrouver ses couvertures et dormir deux heures de plus, elle aurait tout donné. Dans l’après-midi, d’autres corvées l’attendraient. Lesquelles, elle n’aurait su le dire, car Sevanna les distribuait au hasard. Un peu d’organisation aurait facilité la vie des gai’shain, mais, justement, ce n’était pas le but recherché. Quand tout se décidait à la dernière minute, planifier quoi que ce fût – y compris une tentative d’évasion – devenait hautement compliqué.

Autour du fief de Sevanna, dans les traverses boueuses, on trouvait toutes sortes de tentes. Des basses de couleur sombre, selon la coutume aielle, mais aussi des pointues, des carrées et une infinité d’autres modèles de taille et de couleur différentes. Manquant de matériel, les Shaido « réquisitionnaient » toutes les tentes qui leur tombaient sous la main. Autour de Malden, quatorze clans étaient désormais cantonnés, soit cent mille Shaido et au moins autant de gai’shain. Selon les rumeurs, deux autres clans – celui de la Falaise Blanche et celui des Morai – arriveraient bientôt.

À part les enfants qui pataugeaient dans la boue avec des chiens facétieux, tous les gens que Faile croisa portaient une tenue blanche souillée de boue et ployaient sous le poids de gros sacs ou d’énormes paniers. Parmi ces malheureux, les femmes ne se hâtaient pas, elles couraient carrément derrière leurs chaussures.

À part dans les métiers de la forge, les Shaido travaillaient rarement, et en général pour tromper leur ennui. Avec tant de gai’shain, trouver en permanence des corvées devenait une sorte de… corvée. Du coup, Sevanna n’était plus la seule Shaido à s’asseoir dans sa baignoire avec un gai’shain pour lui frotter le dos. Pour l’instant, les Matriarches n’étaient pas tombées si bas, mais beaucoup de Shaido refusaient désormais de se baisser pour ramasser quelque chose quand un larbin pouvait le faire à leur place.

Faile approchait du secteur réservé aux gai’shain, au pied des murs de Malden, quand elle vit la Matriarche qui courait vers elle, son fichu sombre enroulé autour de la tête pour se protéger de la pluie.

Sans s’arrêter, la femme de Perrin plia vaguement un genou.

Moins terrifiante que Thevara, Meira n’avait rien d’un parangon de bonté. Plus petite que Faile, elle détestait sa taille et pinçait toujours les lèvres quand elle devait lever la tête pour parler à quelqu’un. Selon Faile, savoir que le clan de la Falaise Blanche – le sien – serait bientôt là aurait dû l’amadouer. Mais ça ne changeait rien du tout à ses mauvaises dispositions naturelles.

— À ce que je vois, tu traînasses, grogna Meira quand elle fut assez près de Faile. J’ai laissé Rhiale écouter le rapport de tes compagnons, parce que je craignais qu’un crétin t’ait tirée de force sous sa tente.

Elle regarda autour d’elle, à l’affût d’un ivrogne susceptible d’avoir cette intention.

— Personne ne m’a abordée, Matriarche, dit très vite Faile.

Depuis sa capture, plusieurs rustres avaient essayé, mais Rolan s’était toujours montré au bon moment. Par deux fois, le grand Mera’din avait dû se battre pour la sauver, et un agresseur y avait laissé sa peau. Faile avait redouté que l’affaire fasse du bruit, mais le combat étant loyal, les Matriarches avaient voté pour un non-lieu. Et selon Rolan, le nom de Faile n’avait jamais été mentionné.

Même si ça allait contre toutes les coutumes, selon Bain et Chiad, les gai’shain féminins étaient constamment en danger dans le camp. Alliandre avait d’ailleurs dû être agressée une fois, avant que Maighdin et elle soient également dotées d’un Mera’din protecteur.

Rolan prétendait n’avoir demandé à personne de défendre les amies de Faile. À l’en croire, certains hommes désœuvrés se cherchaient simplement une occupation.

— Matriarche, je suis navrée d’avoir été si lente…

— Ne rampe pas devant moi, je ne suis pas Thevara. Tu crois que je te frapperais simplement pour le plaisir ?

Ces mots rassurants dits sur le ton d’un bourreau qui vous invite à poser la tête sur le billot…

Meira n’était peut-être pas sadique, mais un fouet en main, elle ne ménageait pas sa peine.

— Bien, décris-moi ce qu’a fait Sevanna, et répète tout ce qu’elle a dit. L’eau qui tombe du ciel est un miracle, c’est vrai, mais elle n’en mouille pas moins quand on se balade dessous…

Obéir à Meira fut un jeu d’enfant. Sevanna ne s’était pas réveillée pendant la nuit. Au matin, elle avait parlé des habits et des bijoux qu’elle porterait. Des seconds, surtout…

À l’origine prévu pour des vêtements, son coffre débordait de trésors qu’une reine aurait aimé posséder. Avant même de se vêtir, Sevanna avait essayé dix combinaisons de colliers et de bagues. Devant son miroir, elle s’était admirée pendant une éternité. Un moment très embarrassant – pour Faile.

Le récit en était à l’arrivée de Thevara avec Galina quand tout sembla onduler devant les yeux de Faile. Y compris ses propres mains, constata-t-elle en baissant la tête.

Un tour de son imagination ? Non, les yeux bleus de Meira, ronds comme des soucoupes, prouvaient qu’elle vivait la même expérience.

De nouveau, tout ondula, plus fort que la première fois. Sonnée, Faile se redressa et lâcha l’ourlet de sa tunique blanche. Une troisième fois, le monde ondula, toujours plus violemment, et ce qui semblait être une onde de choc traversa le corps de Faile. À cet instant, elle crut qu’elle allait exploser pour devenir une brise légère – ou se dissiper tel un banc de brouillard.

Le souffle court, elle attendit la quatrième vague, celle qui la détruirait et mettrait un terme à l’existence du monde. Comprenant que ce coup de grâce ne viendrait pas, elle soupira de soulagement, ce qui expulsa tout l’air de ses poumons.

— Qu’est-il arrivé, Matriarche ? C’était quoi ?

Meira toucha son propre bras gauche et parut surprise que sa main droite ne le traverse pas comme de la brume.

— Je… Je ne sais pas…, avoua-t-elle.

Au prix d’un gros effort, elle se ressaisit :