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Le jeune flambeur garda tout ça pour lui. Les femmes adoraient pousser un homme à se défendre. Dès qu’il commençait, elles avaient gagné.

— Je tâcherai de m’en souvenir, Précieuse, dit Mat en souriant.

S’asseyant à côté de Selucia, il retira son chapeau et le posa au-delà de l’autre flanc de la belle. Alors que la couverture formait un pli entre eux, et qu’ils se tenaient à un bon pied l’un de l’autre, on aurait pu croire que le jeune homme s’était collé à sa hanche. Si elle avait les yeux bleus, le regard qu’elle lança au « mufle » était plus noir que la nuit.

— J’espère qu’il y a plus d’eau que de vin dans le gobelet d’Olver, marmonna Mat.

— C’est du lait de chèvre ! s’indigna le gamin.

Oui, il était peut-être encore un peu jeune pour du vin coupé d’eau…

Tuon s’assit bien droite, ce qui ne lui permit pas de paraître plus grande que Selucia, pourtant assez petite elle-même.

— Comment m’as-tu appelée ? demanda la Fille des Neuf Lunes.

— Précieuse… Tu m’as donné un nom d’animal de compagnie, alors, j’en ai trouvé un pour toi.

Les yeux de Selucia manquèrent jaillir de leurs orbites.

— Je vois, fit Tuon avec une moue pensive.

Elle agita les doigts. Aussitôt, Selucia se leva et gagna un des placards. Non sans prendre le temps de foudroyer une nouvelle fois Mat du regard.

— Très bien, Jouet, fit enfin Tuon. Il sera intéressant de voir qui gagnera cette partie.

Le sourire de Mat s’effaça. Une partie ? Dans cette affaire, il avait seulement essayé de rétablir (un peu) l’équilibre. Mais Tuon y voyait un défi, et ça signifiait qu’il pouvait perdre. Voire qu’il perdrait à coup sûr, puisqu’il ignorait les règles du jeu. Pourquoi les femmes compliquaient-elles toujours tout ?

Selucia se rassit puis fit glisser devant Mat une tasse ébréchée et une assiette lestée d’un morceau de pain, de six petites piles d’olives différentes et de trois bouts de fromage. Cette invitation à déjeuner remonta le moral de Mat. Jusque-là, il l’avait espérée sans y croire. Une fois qu’une femme commençait à nourrir un galant, elle avait un mal de chien à l’empêcher de se réinviter à sa table.

— Le fin mot de l’histoire, reprit Noal, achevant son récit, c’est que dans ces villages des Ayyad, on voit des femmes de tous les âges mais aucun homme ayant plus de vingt ans. Pas un seul.

Olver écarquilla les yeux, ce qui n’arrangea rien, question esthétique. Le gamin s’extasiait dès que Noal évoquait les pays qu’il avait visités, y compris au-delà du désert des Aiels. Oui, Olver gobait tout, sans beurre ni confiture !

— As-tu un quelconque lien avec Jain Charin, Noal ? demanda Mat.

Il mangea une olive puis cracha discrètement le noyau dans sa paume. L’amuse-gueule n’était pas pourri, mais il s’en fallait de peu. Idem pour le suivant. Affamé, Mat avala pourtant tout puis s’attaqua à un morceau de fromage de chèvre qui semblait lui aussi battre de l’aile. Tout ça en ignorant le regard désapprobateur de Tuon.

Le visage soudain de marbre, Noal se tut assez longtemps pour que Mat se coupe un bout de pain et l’engloutisse.

— Cousins…, répondit enfin le vieil homme. Nous étions cousins.

— Tu es un parent de Jain ? s’écria Olver.

Les Voyages de Jain l’Explorateur étaient son livre de chevet, qu’il aurait volontiers lu jusqu’aux petites heures de la nuit, si Juilin et Thera l’y avaient autorisé. À l’entendre, ce fichu gosse, quand il serait grand, verrait tout ce que Jain avait vu. Sans parler de ce qu’il découvrirait.

— Qui est cet homme porteur de deux noms ? demanda Tuon. Dans l’histoire, seuls les géants ont droit à cet honneur. Et vous en parlez comme si tout le monde devait le connaître.

— C’était un idiot, grogna Noal avant que Mat ait pu ouvrir la bouche.

Olver poussa un petit cri outré.

— Il a sillonné le monde, laissant une bonne et tendre épouse mourir d’une mauvaise fièvre sans être là pour lui tenir la main. Ensuite, il s’est fait manipuler par…

Sans crier gare, le regard de Noal se voila. Fixant Mat comme s’il voyait à travers son corps, il se massa le front, comme pour forcer un souvenir à remonter.

— Jain l’Explorateur était un grand homme, dit Olver, catégorique. (Ses petits poings fermés, il semblait prêt à se battre pour son héros.) Il a affronté des Trollocs et des Myrddraals et vécu plus d’aventures que quiconque en ce monde. Même Mat ! Et après que Cowin Gemallan eut trahi le Malkier au profit des Ténèbres, il a capturé ce sale type.

Noal sortit soudain de sa transe et tapota l’épaule d’Olver.

— Il a fait ça, c’est vrai, mon garçon. Il faut le mettre à son crédit. Mais quelle aventure justifie d’abandonner une épouse agonisante ?

Terriblement triste, le vieux bonhomme semblait sur le point de rendre l’âme aussi.

Bien entendu, Olver ne sut que répondre, et il baissa la tête. Si Noal venait de le dégoûter de son livre préféré, Mat aurait deux mots à lui dire. La lecture était importante – oui, même lui, il ouvrait parfois un bouquin –, du coup, il s’échinait à trouver des ouvrages susceptibles de plaire à Olver.

Tuon se leva et se pencha pour poser une main sur l’épaule de Noal. De son agacement, il ne subsistait plus rien. Au contraire, elle n’était plus que tendresse.

Une large ceinture de cuir jaune ouvragé lui serrait la taille, mettant en valeur ses courbes. Encore un « financement Mat Cauthon » ! Pas grave… L’argent venait tout seul dans les poches du jeune homme, et s’il n’avait pas dépensé celui-là pour elle, il l’aurait gaspillé avec d’autres femmes.

— Tu as un très bon cœur, maître Charin, dit Tuon.

Bon sang ! Elle appelait tous les gens par leur nom – à part Mat, par le sang et les cendres !

— Tu crois, ma dame ? fit Noal comme s’il attendait sérieusement une réponse. Parfois, je pense que…

De quoi qu’il s’agisse, le vieil homme n’alla pas plus loin. La porte venant de s’ouvrir, Juilin passa la tête dans la roulotte. Son chapeau conique lui donnait comme d’habitude l’air très classe, mais l’inquiétude voilait son beau visage noir.

— Des Seanchaniens approchent. Je vais rejoindre Thera. Si quelqu’un d’autre le lui apprend, elle mourra de peur.

En un clin d’œil, le Tearien se volatilisa, laissant la porte se refermer toute seule.

7

Un médaillon froid

Des soldats seanchaniens ! Par le fichu sang et les fichues cendres ! Avec les dés qui roulaient dans sa tête, c’était exactement ce qu’il fallait à Mat.

— Noal, trouve Egeanin et préviens-la. Olver, avertis les trois Aes Sedai, Bethamin et Seta.

Ces cinq femmes devaient être ensemble, ou pas très loin les unes des autres. Dès que les sœurs quittaient leur roulotte commune, les deux anciennes sul’dam les suivaient comme leur ombre. Pourvu qu’aucune de ces idiotes ne soit retournée en ville ! Il n’y avait pas meilleure façon d’inciter un renard à s’introduire dans le poulailler…

— Je file jusqu’à l’entrée pour voir si nous allons avoir des problèmes.

— Elle ne répondra pas à ce nom, marmonna Noal en se levant.

Pour un type dont tous les os semblaient avoir été cassés plusieurs fois, il restait très souple.

— Elle n’y répondra pas, c’est certain…

— Tu sais très bien de qui je parle, lâcha Mat au vieil homme avec un regard courroucé pour Tuon et Selucia.