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— Au nom de la Lumière, que crois-tu donc faire ?

Le jeune flambeur ne put pas aller plus loin. De sa main libre, Joline lui flanqua une baffe qui fit tinter ses oreilles.

— Là, la coupe est pleine ! s’écria-t-il.

Des points lumineux dansant toujours devant ses yeux, il se laissa tomber sur une couchette, entraîna Joline avec lui et la réceptionna à cheval sur ses genoux. En un éclair, sa main droite s’abattit sur le postérieur de la sœur, qui en cria de surprise et de douleur.

Le médaillon devint encore plus froid et Edesina resta muette de surprise quand aucune riposte à base de Pouvoir ne frappa l’insolent. S’efforçant de garder à l’œil les deux autres sœurs – et de surveiller la porte au cas où les Champions débouleraient –, Mat frappa aussi fort et aussi vite qu’il en était capable. Ignorant combien de couches de vêtements la sœur portait sous sa robe de laine bleue usée, il entendait s’assurer qu’elle n’oublie jamais ce moment.

À force, il eut le sentiment que sa main battait la mesure pour les dés qui s’affolaient dans sa tête. Se tortillant plus qu’un ver, Joline se mit à jurer comme un conducteur de chariot.

Le médaillon, de plus en plus glacé, pouvait-il brûler la peau de l’implacable justicier ?

À ses insultes, Joline mêla des cris de douleur. S’il ne représentait en rien une menace pour Petra, Mat était loin d’être un gringalet. S’entraîner à l’arc et au bâton de combat faisait un bien fou aux bras.

Edesina et Teslyn semblaient aussi stupéfiées que les deux anciennes sul’dam. Même si elle paraissait aussi surprise que Seta, Bethamin souriait aux anges.

Quand Mat estima enfin que les cris de Joline étaient plus nombreux que ses imprécations, maîtresse Anan tenta de se frayer un chemin entre les Aes Sedai. Bizarrement, Teslyn lui fit signe de rester où elle était.

En ce monde, très peu de femmes – et pas plus d’hommes – auraient osé braver l’ordre d’une sœur. Avec un regard noir, Setalle Anan se glissa entre les deux Aes Sedai en marmonnant quelque chose qui leur fit arquer les sourcils de surprise.

Setalle dut encore forcer le passage entre Bethamin et Seta. Fine mouche, Mat profita de ce répit pour assener un ultime coup, puis il expulsa la sœur verte de ses genoux. De toute façon, sa main commençait à lui faire mal.

Joline atterrit lourdement sur le sol et couina de rage.

Campée devant Mat, si près qu’elle contraria les efforts de reptation de Joline, maîtresse Anan croisa les bras et se pencha afin de dévisager le rustre : une recette infaillible pour approfondir son décolleté déjà généreux. Malgré sa tenue, elle n’était pas originaire d’Ebou Dar – avec des yeux noisette pareils, c’était impossible –, pourtant elle portait un gros anneau à chaque oreille et un couteau de mariage entre les seins. Sur le manche de l’arme, des pierres précieuses rouges et blanches représentaient ses fils et ses filles. Un couteau à lame incurvée sur la hanche droite, elle arborait une robe vert foncé au côté gauche relevé pour dévoiler ses jupons rouges. Avec ses cheveux grisonnants, elle incarnait l’archétype de l’aubergiste d’Ebou Dar dans toute sa majesté. Une femme sûre d’elle-même et habituée à donner des ordres.

S’attendant à un sermon – dans l’art de la réprimande, elle était aussi bonne qu’une Aes Sedai –, Mat fut étonné quand Setalle parla d’un ton posé mais perplexe.

— Joline doit avoir essayé de t’arrêter, dit-elle, idem pour ses deux collègues, mais à l’évidence, c’était hors de leur portée. Selon moi, ça nous apprend que tu détiens un ter’angreal capable de dissiper les flux de Pouvoir. J’ai entendu parler de tels artefacts. D’après ce qu’on dit, Cadsuane Melaidhrin en détient un. Moi, je n’ai jamais vu un de ces objets. Il ne me déplairait pas que ça change. Bien entendu, je ne tenterai pas de te le voler, mais j’aimerais beaucoup le voir.

— D’où connais-tu Cadsuane ? demanda Joline en s’efforçant d’épousseter le derrière de sa robe.

Le premier contact avec sa propre main la fit grimacer. Elle insista, les yeux rivés sur Mat pour lui montrer qu’elle ne l’oubliait pas. Des larmes roulèrent sur ses joues, mais elle ne les regretta pas, car ce mufle paierait un jour pour tout ça.

— Elle a dit quelque chose sur l’épreuve, marmonna Edesina.

— Oui, confirma Teslyn. « Comment passer l’épreuve quand on est paralysée à des moments pareils ? »

Maîtresse Anan fit la moue, mais même si le coup avait porté, elle ne fut pas longue à se reprendre.

— Faut-il rappeler que je possédais une auberge ? Beaucoup de clients descendaient chez moi, et certains avaient peut-être la langue trop longue pour leur propre bien.

— Aucune sœur n’aurait bavardé…, commença Joline.

D’instinct, elle se retourna pour regarder Blaeric et Fen gravir le marchepied. Deux gaillards des Terres Frontalières… Et deux sacrés costauds. Prêt à utiliser ses couteaux, Mat se leva d’un bond. Ces gars pouvaient le rosser, ça ne faisait aucun doute, mais ils en paieraient le prix.

Bizarrement, Joline fonça vers la porte et la claqua au nez de Fen avant de la verrouiller. Le Champion n’essaya pas de l’ouvrir, mais Mat aurait parié sa chemise que son compagnon et lui seraient toujours là quand il partirait.

Lorsqu’elle se retourna, les yeux brûlants et pleins de larmes, Joline sembla avoir oublié Setalle Anan.

— Si tu espères seulement…, commença-t-elle, un index rageusement braqué sur Mat.

Le jeune flambeur avança et lui brandit également un doigt sous le nez – si vite qu’elle recula en catastrophe et percuta la porte. Rebondissant vers l’intérieur du véhicule, elle s’empourpra jusqu’à la racine des cheveux.

De colère ou d’humiliation ? Mat n’aurait su le dire, et il s’en fichait. En revanche, quand elle voulut parler, il l’en dissuada d’un regard noir.

— Sans moi, lâcha Mat, presque aussi furieux que sa victime, tu porterais un collier de damane et tes deux collègues aussi. En échange, vous essayez de m’intimider. Avec votre égoïsme, vous nous mettez tous en danger. Quelle idée de canaliser alors qu’il y a des Seanchaniens de l’autre côté de la route ! Et s’ils ont une damane avec eux ? Ou une dizaine, tant qu’on y est ?

Il doutait qu’il y en ait une, mais on pouvait toujours se tromper, et de toute façon, il n’allait pas révéler ses doutes à cette femme. Pas maintenant, en tout cas.

— Je devrais peut-être faire avec une partie de tout ça, dit-il, même si je suis presque à bout de patience. Mais je ne tolérerai plus que tu me frappes. Si tu recommences, je te chaufferai les fesses deux fois plus longtemps. Parole de Cauthon.

— Et si ça arrive, intervint maîtresse Anan, je n’essaierai plus de l’en empêcher.

— Même chose pour moi, ajouta Teslyn.

Non sans hésiter, Edesina finit par lui faire écho.

Joline semblait sonnée, comme si on lui avait flanqué un coup de marteau entre les deux yeux.

De quoi jubiler, pour Mat. S’il trouvait un moyen de ne pas se faire écrabouiller par Blaeric et Fen.

— À présent, quelqu’un veut bien me dire pourquoi vous avez décidé de canaliser comme si nous en étions à l’Ultime Bataille ? (Mat désigna Bethamin et Seta.) Edesina, vous êtes obligées de faire ça pour les contrôler ?

Ce n’était qu’une hypothèse raisonnable, mais l’Aes Sedai regarda Mat comme si son formidable ter’angreal, en sus de dissiper les flux de Pouvoir, lui permettait aussi de les voir. Quoi qu’il en soit, l’instant d’après, les deux anciennes damane reprirent une posture plus naturelle. Avec un mouchoir blanc, Bethamin entreprit de sécher ses larmes, et Seta s’assit sur une couchette. Tremblant comme une feuille, elle semblait plus ébranlée que sa compagne.