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Si Leilwin Maudite Sans-Navire lui causait quelques tracas, les Aes Sedai jouaient dans la catégorie supérieure. Normal, puisqu’elles étaient réputées pour ça. Faute de pouvoir faire autrement, Mat s’était habitué à ce qu’elles furètent dans toutes les agglomérations où ils s’arrêtaient, posant des questions et traficotant il ne savait trop quoi. Quand on ne pouvait pas s’opposer à quelque chose, mieux valait fermer les yeux. Elles prétendaient être très prudentes – Teslyn et Edesina, en tout cas, car Joline le traitait de crétin parce qu’il s’inquiétait –, mais une Aes Sedai prudente restait peu susceptible de passer inaperçue, que quelqu’un la reconnaisse ou non.

Pas assez en fonds pour s’offrir de la soie, elles avaient acheté des rouleaux de très bonne laine à Jurador. Depuis, les couturières trimaient aussi dur pour elles que pour Tuon – via l’or de Mat. Désormais vêtues comme de riches négociantes, les sœurs paradaient dans la ménagerie avec une assurance de nobles dames. Impossible de les voir faire cinq pas sans comprendre qu’elles désiraient plier le monde à leur volonté. Trois femmes de ce genre, dans une ménagerie, qui plus était, avaient vocation à susciter des rumeurs. Au moins, Joline consentait à laisser sa bague au serpent dans sa bourse. Les deux autres avaient dû remettre les leurs aux Seanchaniens.

Si Mat avait vu Joline avec le fichu anneau au doigt, il aurait sans doute éclaté en sanglots.

Sur les activités des sœurs, le jeune flambeur ne recevait plus aucun rapport de Bethamin. Joline tenait d’une main de fer l’ancienne sul’dam. Obéissant au doigt et à l’œil, la Seanchanienne n’était plus que l’ombre d’elle-même. Alors qu’Edesina s’échinait à la former, Joline semblait avoir en tête un projet plus ambitieux. Depuis le déluge de gifles, elle se montrait beaucoup moins dure – pour ce que Mat en savait –, et on eût dit qu’elle préparait Bethamin à intégrer la Tour Blanche, une démarche dont la Seanchanienne lui était reconnaissante. En d’autres termes, la loyauté de l’ancienne sul’dam n’allait plus à un certain jeune homme…

Quant à Seta, la fragile blonde, elle avait si peur des sœurs qu’elle n’osait même plus les prendre en filature. Et quand Mat le lui ordonnait, elle tremblait comme une feuille.

Si étrange que ça parût, Seta et Bethamin, trop habituées à la façon dont les Seanchaniennes capables de canaliser se voyaient elles-mêmes, avaient longtemps cru que les Aes Sedai ne pouvaient pas être différentes.

Une femme capable de manier le Pouvoir risquait d’être dangereuse, n’importe quelle sul’dam ou damane en était consciente. Mais un chien, si agressif soit-il, pouvait être dressé quand on savait comment s’y prendre. Les sul’dam étaient expertes en cette matière, certes, mais elles venaient d’apprendre que les Aes Sedai n’avaient aucun point commun avec les chiens, méchants ou non. Les sœurs, c’étaient des louves ! Si elle avait eu le choix, Seta aurait dormi ailleurs que dans la roulotte. Selon maîtresse Anan, quand Joline ou Edesina donnaient une leçon à Bethamin dans le véhicule, Seta plaquait les mains sur ses yeux.

— Je suis certaine qu’elle voit les tissages, affirma un jour Setalle. (Dans le ton de quelqu’un d’autre, Mat aurait reconnu de l’envie, mais ce n’était pas le genre de la maison.) Elle n’est pas loin de l’admettre, sinon, elle ne se cacherait pas les yeux. Tôt ou tard, elle demandera à être formée.

Là, il y avait peut-être un peu d’envie…

Mat aurait aimé que Seta se décide le plus vite possible. Avec une disciple de plus, les sœurs auraient eu moins de temps pour le harceler. Dès que la ménagerie stationnait quelque part, Joline ou Edesina se relayaient pour l’espionner. En général, la tête de renard devenait froide sur sa poitrine. Sans pouvoir prouver que ces femmes l’enveloppaient de tissages, il l’aurait juré sous la torture.

Laquelle avait trouvé une faille dans la défense dont l’avaient muni Adeleas et Vandene ? En tout cas, désormais, un objet lancé via le Pouvoir était en mesure de l’atteindre. Depuis, il suffisait qu’il quitte sa tente pour être touché par une pierre (pour commencer) puis par toutes sortes d’autres choses, dont des gerbes d’étincelles qui semblaient jaillir d’une forge et le faisaient sursauter de désagrément, tous les poils de son corps hérissés.

Joline était derrière tout ça. Pour preuve, il ne l’apercevait jamais sans que Blaeric ou Fen, voire les deux, soient à proximité pour la défendre. Et cette maudite sœur lui souriait à la façon dont un chat sourit à une musaraigne.

Mat cherchait un moyen de la voir en tête à tête – c’était ça ou passer son temps à la fuir –, quand elle eut avec Teslyn une prise de bec sonore qui incita Edesina elle-même à quitter la roulotte sur les talons de Bethamin et de Seta.

Alors que les Seanchaniennes reprenaient leur souffle, la sœur jaune, très calme, recommença à brosser ses longs cheveux noirs. Quand elle aperçut Mat, elle lui sourit sans cesser de manier sa brosse.

Alors que le médaillon refroidissait, les cris disparurent, comme si on avait mis un couvercle dessus.

Mat ne sut jamais ce qui s’était dit derrière le tissage de protection. Même si elle l’avait à la bonne – enfin, plus ou moins –, Teslyn, quand il l’interrogea, se contenta de le foudroyer du regard. C’étaient des affaires d’Aes Sedai, pas les siennes.

Quoi qu’il se fût passé, il n’y eut plus de pierres ni d’étincelles. Soulagé, Mat tenta de remercier Teslyn, mais elle se montra fermée comme une huître.

— Quand on ne doit pas parler d’un sujet, on n’en parle pas, fit-elle. Si tu es amené à fréquenter des sœurs, et je crains que ce soit ton destin, tu devrais retenir cette leçon.

Le genre de tirade qu’un type adore entendre…

Au sujet du ter’angreal de Mat, Teslyn ne s’était jamais montrée curieuse. On ne pouvait pas en dire autant de Joline et d’Edesina, même après la dispute d’anthologie.

Chaque jour, ces deux sœurs tentaient de se faire remettre l’artefact de force. Edesina en tendant seule ses embuscades, et Joline avec le soutien de ses Champions.

À dire vrai, les ter’angreal appartenaient à la Tour Blanche de manière tout à fait légitime. Pour les étudier, il fallait des personnes qualifiées, surtout quand un spécimen présentait des propriétés hors du commun. En outre, ces reliques étaient bien trop dangereuses pour qu’on les laisse entre les mains de profanes. Surtout quand il s’agissait d’un homme ! Aucune des deux sœurs ne l’exprima si franchement, mais Joline n’en passa pas très loin.

Mat commença à s’inquiéter. Et si la sœur verte ordonnait à ses Champions de lui prendre son bien ? Blaeric et Fen le soupçonnaient encore d’être pour quelque chose dans les malheurs de leur maîtresse. Aux regards noirs qu’ils lui jetaient, il n’aurait pas fallu grand-chose pour qu’ils lui fassent sa fête.

— Ce serait un vol, objecta maîtresse Anan en resserrant autour de son torse les pans de son manteau.

Au coucher du soleil, l’air devenait vite mordant. Avec Setalle, Mat se tenait devant la roulotte de Tuon, et il espérait y être admis assez vite pour jouer les pique-assiette. Noal et Olver, eux, avaient déjà investi la place.

Setalle était en chemin pour rendre une petite visite aux Aes Sedai – comme elle le faisait souvent.

— Les lois de la tour sont très claires sur ce point. Les sœurs débattraient chaudement de l’obligation de te rendre l’artefact – ce qu’elles ne feraient sans doute pas, au bout du compte –, mais ça n’empêcherait pas Joline d’écoper d’une pénitence gratinée.