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Tour à tour, elle enflamma le message chiffré puis la feuille où elle l’avait retranscrit, et les laissa se consumer jusqu’à ce que la flamme atteigne ses doigts. Enfin, elle les lâcha sur les cendres contenues dans le bol. À l’aide d’une pierre noire et lisse qui lui servait de presse-papiers, elle écrasa et remua le tout. Elle doutait que quiconque pût reconstituer les mots, pourtant…

Ensuite, debout, elle déchiffra les deux autres messages, qui lui apprirent que Yukiri et Doesine logeaient dans un appartement surveillé par des gardes. Cela n’avait rien d’étonnant – presque aucune sœur ne se passait de gardes ces temps-ci –, mais cela signifiait aussi que leur enlèvement serait difficile. C’était toujours plus facile quand ç’avait lieu en plein cœur de la nuit, par des sœurs appartenant à la même Ajah que celle de la victime. Leurs regards pouvaient-ils être le fruit du hasard ou de son imagination ? Elle devait considérer cette possibilité.

En soupirant, elle prit dans son coffre d’autres livrets, puis s’assit précautionneusement sur le coussin en duvet d’oie du fauteuil posé devant la petite table. Elle grimaça pourtant quand son poids pesa sur le coussin. Elle réprima un gémissement. Au début, elle trouvait que l’humiliation des flagellations de Silviana était pire que la souffrance physique, mais maintenant, les douleurs ne se calmaient jamais. Son postérieur était recouvert d’ecchymoses. Et demain, la Maîtresse des Novices en ajouterait d’autres. Et le lendemain, et le surlendemain… Elle entrevoyait la sinistre perspective de ses hurlements sous le fouet de Silviana, luttant pour soutenir le regard des sœurs au courant de ses visites au bureau de la Maîtresse des Novices.

S’efforçant de chasser ces pensées, elle trempa dans l’encre une plume à pointe d’acier et écrivit des ordres codés sur de minces feuilles de papier. Talene devait être retrouvée et ramenée, pour être punie et exécutée, si elle avait simplement paniqué, et si non, si elle avait d’une façon ou d’une autre trouvé le moyen de trahir ses serments… Alviarin se raccrochait à cet espoir tout en donnant l’ordre de surveiller étroitement Yukiri et Doesine. Il fallait trouver le moyen de les arrêter. On pourrait sans doute fabriquer quelque chose à partir de ce qu’elles diraient. Elle guiderait le flux dans le cercle. Elle pourrait fabriquer quelque chose.

Elle écrivit furieusement, sans remarquer qu’elle avait machinalement porté sa main libre à son front.

Le soleil de l’après-midi filtrait à travers les grands arbres sur la crête dominant le vaste camp des Shaidos, et les oiseaux gazouillaient dans les branches. Cardinaux et geais bleus filaient tels des éclairs de couleurs. Galina sourit. Il avait beaucoup plu le matin, et l’air conservait une certaine fraîcheur sous quelques nuages blancs dérivant lentement dans le ciel. Sa jument grise au cou gracieusement arqué et au pas vif avait sans doute appartenu à une dame noble, ou au moins à une riche marchande. À part une sœur, personne d’autre n’aurait eu les moyens de se payer un tel animal. Elle aimait les promenades sur cette jument qu’elle avait baptisée Preste, parce qu’un jour, elle l’emporterait prestement vers la liberté ; comme elle aimait ces moments de solitude où elle pouvait rêver à ce qu’elle ferait quand elle serait libre. Elle avait échafaudé des plans pour se venger des gens qui l’avaient persécutée, à commencer par Elaida. Leur élaboration lui semblait très jouissive.

Elle profitait de ces promenades quand elle parvenait à oublier que ce privilège était aussi la preuve qu’elle appartenait totalement à Therava, de même que son épaisse robe de soie blanche, sa ceinture et son col cloutés de gouttes de feu. Son sourire se transforma en grimace. Elle chevauchait pour s’éloigner des Aiels, mais des rencontres étaient toujours possibles dans la forêt. Therava pouvait l’apprendre. Pour difficile que ce fût de se l’avouer, elle avait une peur bleue de la Sagette aux yeux de faucon. Therava hantait ses rêves. Elle se réveillait souvent, couverte de sueur et en larmes. S’éloigner de ces cauchemars était toujours un soulagement, qu’elle parvienne ou non à se rendormir.

Elle n’avait jamais reçu l’ordre de ne pas s’évader au cours de ses promenades, et cette absence suscitait sa propre amertume. Therava savait qu’elle reviendrait, quels que fussent les mauvais traitements auxquels elle était soumise, dans l’espoir qu’un jour la Sagette la délierait de ce maudit serment d’obéissance. Elle pourrait de nouveau canaliser, quand et comme elle le souhaitait. Parfois, Sevanna l’obligeait à canaliser pour accomplir de petites tâches, ou juste pour lui montrer son ascendant sur elle, mais cela arrivait si rarement qu’elle mourait d’envie de cette petite chance d’embrasser la saidar. Therava refusait de lui laisser toucher le Pouvoir, à moins qu’elle ne supplie et rampe devant elle, et lui interdisait de canaliser un fil. Elle avait rampé, s’était avilie complètement, juste pour y être autorisée. Elle réalisa qu’elle grinçait des dents et se força à arrêter.

Peut-être la Baguette aux Serments de la Tour pourrait-elle la délier de ce serment comme celle presque identique de Therava, mais elle ne pouvait pas en être certaine. Les deux n’étaient pas identiques. Les marques étaient différentes. Elle n’osait pas partir sans la baguette de Therava. La Sagette la laissait souvent traîner dans la tente. « Vous ne la tiendrez jamais à la main », lui avait-elle dit.

Galina pouvait bien toucher cette baguette blanche de la taille de son poignet, en caresser la surface lisse, pourtant, malgré ses efforts, elle ne pouvait pas se résoudre à refermer la main dessus. À moins que quelqu’un la lui tende. Elle espérait que cela n’équivaudrait pas à la prendre elle-même. L’avidité qui brillait dans ses yeux quand elle regardait la baguette suscitait les rares sourires de Therava.

« Ma petite Lina désire-t-elle être déliée de son serment ? disait-elle d’un ton moqueur. Alors, Lina devra être un très gentil toutou, parce que la seule façon dont je pourrais considérer votre libération, ce sera de me convaincre que vous resterez toujours mon toutou. »

Toute une vie à rester le jouet de Therava et la cible de ses humeurs ? Elle craignait de devenir folle si cela se produisait, tout comme de ne pouvoir s’évader dans la folie.

Totalement dégrisée, elle mit sa main en visière sur ses yeux pour vérifier la hauteur du soleil dans le ciel. Therava lui avait dit simplement qu’elle aimerait qu’elle revienne avant la nuit. Or il lui restait deux bonnes heures avant le crépuscule. Elle soupira de regret et fit pivoter Preste vers la pente descendant jusqu’au camp à travers les arbres. La Sagette savait comment la contraindre à l’obéissance sans ordre direct. Mille façons de la faire ramper. Sa moindre suggestion devait être interprétée comme un ordre. Un retard de quelques minutes provoquait une punition dont le simple souvenir faisait grimacer Galina. Elle talonna sa jument pour accélérer son allure. Therava n’acceptait aucune excuse.

Tout à coup, un Aiel surgit de derrière un arbre et se planta devant elle. Il était très grand en cadin’sor avec ses lances passées dans le harnais attachant son arc dans son dos, le voile pendant sur la poitrine. Sans un mot, il saisit la bride de sa monture.

Un instant, elle le regarda, bouche bée, puis elle se redressa avec indignation.

— Imbécile ! s’écria-t-elle. Vous devez me connaître depuis le temps ! Lâchez mon cheval, sinon Sevanna et Therava se relaieront pour vous écorcher vif !

Le plus souvent, ces Aiels restaient totalement impassibles, pourtant elle crut discerner que ses yeux verts s’étaient légèrement écarquillés. Puis elle hurla quand il tira sur le corsage de sa robe et, d’une secousse, la fit tomber de sa selle.