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— En plus de l’expression sur son visage, murmura Neald, sa façon froide et calculatrice de tout observer m’a convaincu. On dirait qu’elle examine des vers de terre.

Le petit homme malingre en tunique noire caressa sa moustache lissée d’un air amusé, prenant grand soin de ne pas en abîmer les pointes. Il portait une épée, mais il n’avait rien d’un soldat ni d’un homme d’armes.

— Bon, venez, Aes Sedai, dit-il, la prenant par le bras. Le Seigneur Perrin voudra vous poser quelques questions.

Elle dégagea son bras d’une secousse, mais Neald raffermit sa prise.

— Pas de ça maintenant.

L’immense Aiel, Gaul, lui saisit l’autre bras, l’obligeant à marcher entre eux. Elle avança donc, tête haute, comme s’ils l’escortaient. Mais à la façon dont ils la tenaient, personne n’était dupe. Regardant droit devant, elle s’aperçut malgré tout que de nombreux garçons de fermes armés la dévisageaient pensivement. Comment pouvaient-ils se conduire de façon si désinvolte avec une Aes Sedai ? Certaines Sagettes, ignorant le serment qui la liait, avaient commencé d’exprimer des doutes sur sa condition d’Aes Sedai, parce qu’elle obéissait sans faillir à Therava et qu’elle s’abaissait devant elle ; pourtant, ces deux-là savaient qui elle était et n’en avaient cure. Elle soupçonnait que les paysans le savaient aussi, cependant aucun n’affichait la moindre surprise quant à la façon dont on la traitait. Elle en eut la chair de poule.

À proximité d’une grande tente à rayures rouges et blanches, aux rabats ouverts, elle entendit des voix venant de l’intérieur.

— …dit qu’il était prêt à venir immédiatement, disait un homme.

— Je ne suis pas en mesure de nourrir une bouche de plus pendant un temps indéterminé, répondit un autre. Sang et cendres ! Combien de temps faut-il pour organiser une rencontre avec ces gens ?

Gaul dut se baisser pour pénétrer dans la tente, mais Galina entra comme si c’était dans son appartement de la Tour. Elle avait beau être prisonnière, elle n’en était pas moins une Aes Sedai, et ce simple fait représentait un puissant atout. Et une arme. Qui voulait-il rencontrer ? Sûrement pas Sevanna !

Contrastant de façon saisissante avec le délabrement du camp, un magnifique tapis à fleurs couvrait le sol, et deux tapisseries en soie brodées de fleurs et d’oiseaux, dans le style cairhienin, étaient suspendues aux mâts. Elle se concentra sur un homme de haute taille, aux larges épaules, les manches relevées, qui lui tournait le dos, penché sur une table aux pieds délicats gravée de filigranes dorés et couverte de cartes et de papiers. Au Cairhien, elle n’avait aperçu Aybara que de loin, pourtant elle fut certaine que cet homme était le paysan du village natal de Rand al’Thor, malgré sa chemise de soie et ses bottes bien cirées, dont même les revers étincelaient. Tous avaient les yeux fixés sur lui.

Comme elle entrait dans la tente, une femme grande en robe de soie verte à haut col, avec de la dentelle à la gorge et aux poignets, ses cheveux noirs cascadant sur ses épaules, posa familièrement la main sur le bras d’Aybara. Galina la reconnut.

— Elle a l’air réservée, Perrin, dit Berelain.

— À mon avis, elle redoute un piège, Seigneur Perrin, intervint un homme grisonnant au visage endurci, portant un plastron ouvragé sur sa tunique rouge.

Un Ghealdanin, pensa Galina. Que Berelain et lui soient là expliquait la présence des soldats. Il n’y avait pas d’autre raison.

Galina se félicita de ne pas avoir rencontré cette femme au Cairhien. Cela aurait rendu la situation plus qu’embarrassante. Elle aurait voulu avoir les mains libres pour essuyer ses dernières larmes, mais les deux hommes lui tenaient fermement les bras. Il n’y avait rien à faire. Elle était une Aes Sedai. C’était tout ce qui comptait. Elle ouvrit la bouche pour prendre la parole. Soudain, Aybara la regarda par-dessus son épaule, comme s’il avait senti sa présence, et ses yeux d’or lui paralysèrent la langue. Elle n’avait jamais cru aux histoires selon lesquelles il avait des yeux de loup, mais c’était pourtant vrai. De durs yeux de loup dans un visage dur comme la pierre. Il semblait triste sous sa courte barbe. À cause de sa femme, sans aucun doute. Cela pouvait lui servir.

— Une Aes Sedai vêtue du blanc des gai’shains, dit-il tout de go, se tournant face à elle.

Il était grand, quoique pas autant que l’Aiel, et sa présence était écrasante, ses yeux d’or enregistrant tout.

— Et prisonnière, semble-t-il. Elle ne voulait pas venir ?

— Elle s’est débattue comme une truite sur la berge pendant que Gaul la ligotait, Mon Seigneur, répondit Neald. Personnellement, je me suis contenté d’attendre et de regarder.

Il avait formulé sa curieuse remarque sur un ton significatif. Qu’aurait-il pu… Brusquement, elle remarqua la présence d’un autre homme en tunique noire, trapu et hâlé, arborant une épingle d’argent en forme d’épée à son haut col. Puis elle se rappela où elle avait déjà vu des hommes en tunique noire : aux Sources de Dumai, juste avant que la situation ne tourne au désastre quand des hommes avaient surgi des ouvertures. Neald et ses portails ! Ces hommes pouvaient canaliser.

Elle dut rassembler toute sa volonté pour ne pas dégager son bras de la prise du Murandien. Le fait qu’il la touche… Elle eut envie de gémir, et cela la surprit. Elle était quand même plus solide que ça ! Elle s’efforça de garder l’apparence du calme tout en humectant sa bouche soudain sèche.

— Elle prétend être une amie de Sevanna, ajouta Gaul.

— Une amie de Sevanna, répéta Aybara, fronçant les sourcils. Mais en robe de gai’shaine. De la soie et des bijoux, mais quand même… Bien que vous ne vouliez pas venir, vous n’avez pas canalisé pour empêcher Gaul et Neald de vous amener ici. Et vous êtes terrifiée.

Il branla du chef. Comment savait-il qu’elle avait peur ?

— Je m’étonne de voir une Aes Sedai en compagnie des Shaidos après les Sources de Dumai. À moins que vous ne soyez pas au courant ? Lâchez-la, lâchez-la. Je doute qu’elle s’enfuie en courant puisqu’elle s’est laissé faire.

— Les Sources de Dumai importent peu, répondit-elle pendant que les hommes la lâchaient.

Toutefois, ils restèrent à ses côtés, tels des gardes, et elle se félicita de la fermeté de sa voix. En présence de deux hommes capables de canaliser, elle se sentait seule et incapable de canaliser un fil. Elle se tenait très droite, la tête haute. Elle était une Aes Sedai et devait, à leurs yeux, en avoir la stature jusqu’au bout des ongles. Comment pouvait-il savoir qu’elle avait peur ? Pour elle, pas une nuance de crainte ne teintait ses paroles et son visage semblait taillé dans la pierre.

— La Tour Blanche a des objectifs que seules les Aes Sedai peuvent connaître ou comprendre. Je suis là en mission pour la Tour Blanche, et vous interférez. Votre choix est malavisé.

Le Ghealdanin hocha la tête avec regret, comme s’il l’avait appris à ses dépens. Aybara se contenta de la regarder, sans expression.

— Votre nom est la seule raison pour laquelle j’ai épargné ces deux-là, poursuivit-elle.

Si le Murandien ou l’Aiel évoquait le temps qu’elle avait mis à réagir, elle se préparait à prétendre qu’elle avait d’abord été frappée de stupeur. Il n’en fut rien, et elle continua.

— Votre femme, Faile, est sous ma protection, comme la Reine Alliandre, et quand ma mission auprès de Sevanna sera terminée, je les emmènerai avec moi en lieu sûr, et je les aiderai à aller où elles voudront. Mais en attendant, votre présence ici représente un risque pour ma mission, ma mission pour la Tour, ce que je ne peux me permettre. Cela vous met également en danger, vous, votre femme et Alliandre. Il y a des milliers d’Aiels dans ce camp. Des dizaines de milliers. S’ils vous trouvent, si leurs éclaireurs ne l’ont déjà fait, ils vous effaceront de la face du monde. Ils pourraient aussi s’en prendre à votre femme et à Alliandre. Je ne pourrai peut-être pas arrêter Sevanna. C’est une femme dure. Beaucoup de ses Sagettes peuvent canaliser, près de quatre cents d’entre elles, et sont prêtes à se servir du Pouvoir de façon violente. Or je suis une Aes Sedai entravée par ses serments. Si vous souhaitez protéger votre femme et la Reine, éloignez-vous de leur camp aussi vite que possible. Ils ne vous attaqueront peut-être pas s’ils voient que vous battez en retraite. C’est votre seul espoir.