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Delovinde le guida jusqu’au milieu des arbres, où des gens étaient assis sous un grand chêne sur des tabourets ou des couvertures, autour d’un petit feu qui chauffait une bouilloire. Karede mit pied à terre, faisant signe aux gardes et à Ajimbura de démonter également. Melitene et Mylen restèrent sur leurs montures pour garder l’avantage de la hauteur. Maîtresse Anan, qui avait été propriétaire de l’auberge où il séjournait à Ebou Dar, lisait un livre, assise sur un trépied. Elle ne portait plus une de ces robes qu’il aimait tant regarder, mais à son tour-de-cou pendait toujours son couteau de mariage sur son impressionnante poitrine. Elle ferma son livre et le salua de la tête, comme s’il revenait à La Femme Errante après une absence de quelques heures. Ses yeux noisette étaient calmes. Peut-être ce complot était-il encore plus complexe que l’avait pensé le Chercheur Mor.

Grand et mince, un homme aux cheveux blancs et aux moustaches presque aussi longues que celles de Hartha, était assis en tailleur sur une couverture rayée devant un échiquier face à une jeune femme mince aux nombreuses petites tresses emperlées. L’homme haussa un sourcil à l’adresse de Karede, secoua la tête et revint à sa partie. La jeune femme foudroya Karede et les autres d’un regard haineux. Un vieil homme noueux aux longs cheveux blancs était assis sur une autre couverture avec un jeune garçon remarquablement laid, en train de jouer sur un morceau d’étoffe rouge striée de lignes noires. Ils se redressèrent, l’enfant étudiant l’Ogier avec intérêt, la main de l’homme hésitante, comme sur le point de tirer un couteau de sous sa tunique. C’était peut-être Thom Merrilin.

À son arrivée, les deux hommes et les deux femmes assis sur des tabourets étaient en conversation. Quand il démonta, une femme au visage sévère se leva et le fixa de ses yeux bleus, presque avec défi. Elle portait une épée attachée au large baudrier qui lui barrait la poitrine, comme font certains marins. Ses cheveux étaient très courts plutôt que coupés à la mode du Bas Sang. Ses ongles courts n’étaient pas vernis, mais il était certain que c’était Egeanin Tamarath. Un homme corpulent, avec la même coiffure qu’elle et au menton orné d’une de ces bizarres barbes d’Illian, se tenait debout à son côté, une main sur la poignée de sa courte épée, les yeux braqués sur Karede comme s’il voulait relever son défi. Une jolie femme aux cheveux noirs tombant jusqu’à sa taille, et à la bouche en bouton de rose comme la Tarabonaise, se leva. Un instant, il sembla qu’elle allait s’agenouiller ou se prosterner, mais elle se redressa et le regarda droit dans les yeux. Le dernier, mince avec une bizarre coiffure rouge qui semblait taillée dans du bois, rit bruyamment et lui jeta les bras autour de la taille. Le sourire dont il gratifia Karede ne pouvait être qualifié que de triomphal.

— Thom, dit Delovinde, voici Furyk Karede. Il veut parler avec un homme qui se fait appeler Thom Merrilin.

— Avec moi ? s’étonna le grand mince aux cheveux blancs, se levant gauchement.

Sa jambe droite paraissait un peu raide. Une vieille blessure, peut-être ?

— Je ne me « fais pas appeler » Tom Merrilin. C’est mon nom, quoique je sois surpris que vous le connaissiez. Que me voulez-vous ?

Karede ôta son casque. Avant qu’il ait pu ouvrir la bouche, une jolie femme aux grands yeux bruns fit irruption, poursuivie par deux autres. Toutes les trois avaient un visage d’Aes Sedai, auquel il était difficile de donner un âge. C’était très déconcertant.

— C’est Sheraine ! cria l’une, fixant Mylen. Libérez-la !

— Vous ne comprenez pas, Joline, éructa l’une des deux autres.

Les lèvres minces, avec un nez pointu, elle avait un air à mastiquer des cailloux.

— Elle n’est plus Sheraine. Elle nous aurait trahies, si elle en avait eu l’occasion.

— Teslyn a raison, Joline, dit la troisième.

Élégante plutôt que jolie, elle avait de longs cheveux noirs ondulant jusqu’à sa taille.

— Elle nous aurait trahies.

— Je ne le crois pas, Edesina, dit sèchement Joline. Vous allez la libérer immédiatement, s’adressa-t-elle à Melitene, ou je…

Soudain, elle resta bouche bée.

— Je vous l’avais dit, dit Teslyn, amère.

Un jeune homme en chapeau à large bord, monté sur un bai au large poitrail, arriva au galop et sauta à bas de sa monture.

— Qu’est-ce qui se passe ici, bon sang ? demanda-t-il, s’avançant à grands pas vers le feu.

Karede l’ignora. La Haute Dame Tuon le suivait sur un cheval noir et blanc. Selucia était à son côté, sur un bai, la tête enveloppée d’une écharpe rouge, mais il n’avait d’yeux que pour la Haute Dame. De courts cheveux noirs lui couvraient la tête, mais il était impossible de ne pas reconnaître ce visage. Elle ne lui accorda qu’un coup d’œil inexpressif avant de se remettre à étudier le jeune homme. Karede se demanda si elle l’avait reconnu. Probablement pas. Il y avait longtemps qu’il avait servi dans sa garde personnelle. Bien qu’il ne regardât pas par-dessus son épaule, il sut que les rênes d’Ajimbura étaient maintenant dans les mains d’un des gardes. Apparemment sans arme et sa tresse coupée, il ne devrait pas avoir de mal à quitter le camp. Les sentinelles ne le verraient pas. Ajimbura était un bon coureur. Bientôt, Musenge saurait que la Haute Dame était là.

— Elle nous a entourées d’un écran, Mat, dit Joline. Le jeune homme ôta brusquement son chapeau et s’avança vers le cheval de Melitene comme pour le prendre par la bride.

Il était longiligne sans être très grand, et il avait un foulard noir noué autour du cou dont les pointes retombaient sur sa poitrine. Ce qui en faisait celui que tout le monde appelait le Joujou de Tylin, comme si d’être le mignon d’une reine était son principal trait de caractère. Ce l’était sans doute. Étrange, car il ne semblait pas assez beau pour ce rôle. En revanche, il avait l’air en forme.

— Relâchez les écrans, lui ordonna-t-il.

Ça, c’était un jouet ? Melitene et Mylen inspirèrent en même temps, et le jeune homme aboya un éclat de rire.

— Vous voyez, ça ne marche pas sur moi. Maintenant, vous allez relâcher ces foutus écrans ou je vous fiche mon billet que je vous désarçonne et vous donne la fessée.

Le visage de Melitene s’assombrit. Peu de gens osaient parler ainsi à une der’sul’dam.

— Relâchez les écrans, Melitene, répéta Karede.

— La marath’damane s’apprêtait à embrasser la saidar, dit-elle, au lieu d’obéir. Impossible de savoir ce qu’elle aurait…

— Relâchez les écrans, dit Karede avec fermeté. Et relâchez le Pouvoir.

Le jeune homme eut un hochement de tête satisfait, puis pivota brusquement, pointant le doigt sur les trois Aes Sedai.

— Et maintenant, ne recommencez pas, bon sang ! Elle relâche le Pouvoir. Vous aussi. Exécution !

De nouveau, il hocha la tête comme certain qu’elles obéiraient. À la façon dont Melitene le regardait, c’était peut-être vrai. Était-il un Asha’man ? Peut-être qu’un Asha’man pouvait détecter si une damane canalisait ? Cela semblait peu probable, mais Karede ne trouva pas d’autre explication. Pourtant cela ne concordait pas avec la façon dont Tylin avait, paraît-il, traité ce jeune homme.

— Un de ces jours, Mat Cauthon, dit Joline d’un ton acide, quelqu’un vous apprendra à traiter les Aes Sedai avec le respect qui leur est dû, et j’espère être là pour le voir.