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— Frondeurs ! cria Mandevwin. Tir à volonté. Premier rang, ouest !

Les hommes à l’ouest du premier rang déplacèrent leur tube lanceur pour que le fusible qui sortait du petit cylindre touche la mèche allumée qu’ils tenaient entre leurs dents. Comme une volée de flèches, ils balancèrent le lanceur d’arrière en avant. Les cylindres atterrirent à plus de cent toises sur la charge de cavalerie. Les frondeurs mettaient déjà d’autres cylindres dans leurs lanceurs avant que les premiers ne tombent. Aludra avait marqué chaque fusible avec des fils de couleurs différentes pour indiquer le temps qu’il mettrait à brûler. Chaque cylindre explosa dans un bruit de tonnerre et de gerbes de flammes, certains au niveau du sol, d’autres à hauteur de tête d’un cavalier. L’explosion n’était pas l’arme principale, quoi qu’un homme frappé au visage se retrouvât soudain sans tête. Il restait en selle le temps de trois foulées avant de tomber à terre. Aludra avait ajouté des cailloux à la poudre de chaque cylindre, qui perçaient les chairs à l’impact. Les chevaux tombaient, hennissant et se débattant. Les cavaliers chutaient et ne bougeaient plus.

Une flèche effleura la manche gauche de Mat, une autre déchira la droite, seul l’empennage l’empêchant de pénétrer plus profondément, et une troisième lui ouvrit l’épaule droite. Il passa un doigt sous son écharpe noire et tira. Tout d’un coup, ce maudit foulard lui semblait affreusement serré. Peut-être devrait-il envisager de porter une armure en des moments pareils. Les flancs ennemis commençaient à se rabattre vers l’intérieur en un mouvement tournant destiné à cerner les arbalétriers derrière le mur. Les hommes de Talmanes continuaient à les cribler de flèches par-derrière, mais plusieurs centaines d’hommes avaient été forcés de jeter leur arc pour se défendre à l’épée. Il était peu probable que tous les chevaux sans cavalier aient appartenu aux Tarabonais ou aux Amadiciens. Il avait laissé un vide au centre de sa ligne, pour que puissent passer ceux qui décideraient de fuir, mais aucun n’en profita. Ils flairaient l’odeur de ces cent mille couronnes d’or.

— Je crois, dit lentement Joline, oui, je crois que je me sens en danger maintenant.

Teslyn lança une boule de feu plus grosse que la tête d’un cheval. L’explosion projeta en l’air des gerbes de terre et des membres d’hommes et de chevaux. Pas trop tôt, bon sang !

Les Aes Sedai se mirent à lancer des boules de feu aussi vite qu’elles pouvaient, provoquant des ravages qui ne ralentirent pas pour autant la charge. Ces hommes auraient dû voir qu’il n’y avait aucune femme correspondant à la description de Tuon à l’intérieur du carré, mais ils avaient le feu dans le sang, l’odeur de l’or dans les narines. Un homme pouvait vivre comme un noble le restant de ses jours avec une somme pareille. Le carré était encerclé, et ils luttaient pour s’en approcher, luttaient et mouraient sous les volées que lâchaient les arbalétriers et les frondeurs. Un autre mur de cadavres et de blessés commençait à s’ériger. De nombreux hommes démontèrent pour l’escalader. Les carreaux d’arbalètes les forcèrent à reculer. De si près, les projectiles perçaient les plastrons comme des couteaux chauds s’enfoncent dans du beurre. Ils allaient toujours de l’avant et mouraient.

Le silence sembla se faire soudain. On entendait pourtant des halètements des gémissements des blessés. Un cheval hennissait quelque part. Mais Mat ne vit plus un homme debout entre le mur de corps enchevêtrés et Talmanes, pas un en selle, à part des hommes en casque et plastron vert, qui avaient abaissé leurs armes. Les Aes Sedai croisèrent les mains sur le pommeau de leur selle. Elles haletaient, elles aussi.

— C’est fait, Mat ! cria Talmanes. Ceux qui ne sont pas morts sont mourants. Aucun de ces crétins n’a cherché à fuir.

Mat branla du chef. Il avait imaginé que l’or les aurait rendus à moitié fous. Il les avait rendus totalement fous.

Il serait nécessaire de déplacer les cadavres pour que Mat et les autres puissent sortir. Talmanes mit des hommes au travail, attachant des cordes aux chevaux pour traîner les carcasses. Personne ne voulait enjamber ce mur. Personne, sauf les Ogiers.

— Je veux voir si je peux trouver le traître, dit Hartha. Avec les autres Jardiniers, leur hache sur l’épaule, il grimpa sur le mur comme s’il avait été en terre.

— Eh bien, nous avons au moins réglé ça, fit Joline, se tamponnant le visage d’un mouchoir en dentelle. Vous avez une dette envers moi, Mat. En règle générale, les Aes Sedai ne participent pas à une guerre privée. Il faudra que j’y réfléchisse.

Mat avait une assez bonne idée de ce qu’elle avait en tête. Elle était folle si elle croyait qu’il accepterait.

— Ce sont les arbalètes qui ont été les plus efficaces, marath’damane, déclara Musenge.

Il avait ôté son casque, son plastron et sa tunique. La manche gauche de sa chemise avait été arrachée pour qu’un des gardes panse son bras percé d’une flèche. Il avait un corbeau tatoué sur l’épaule.

— Les arbalètes et les hommes de cœur. Vous n’en avez jamais eu davantage, n’est-ce pas. Altesse.

Ce n’était pas une question.

— Ceux-là, plus les pertes subies auparavant.

— Je vous l’avais dit, confirma Mat. Il y avait assez d’hommes.

Il n’allait pas révéler à ce Seanchan plus qu’il n’en fallait.

Musenge hocha la tête comme s’il avait confirmé ses paroles.

Le temps de faire une brèche dans le mur, assez large pour que Mat et les autres puissent sortir, Hartha et les Jardiniers étaient de retour.

— J’ai trouvé le traître, déclara Hartha, levant dans sa main une tête qu’il tenait par les cheveux.

Musenge haussa les sourcils à la vue de ce visage noir au nez busqué.

— Elle sera très intéressée de le voir, dit-il doucement.

Doucement, comme l’épée qu’on tire au fourreau.

— Nous devons la lui apporter.

— Vous le connaissez ? demanda Mat.

— Nous le connaissons, Altesse.

Le visage de Musenge, soudain comme taillé dans la pierre, annonçait qu’il n’en dirait pas plus.

— Écoutez, voulez-vous cesser de m’appeler Altesse ? Je m’appelle Mat. Après ce qui s’est passé aujourd’hui, vous avez le droit de m’appeler par mon nom, dit Mat, qui s’étonna lui-même en lui tendant la main.

Musenge parut comme frappé par la foudre, et son masque de pierre se désintégra sous le choc.

— Je ne peux pas faire ça, Altesse, répondit-il d’un ton outré. Quand elle vous a épousé, vous êtes devenu Prince des Corbeaux. Vous appeler par votre nom m’obligerait à baisser les yeux jusqu’à la fin de mes jours.

Mat ôta son chapeau et se passa la main dans les cheveux. Il avait toujours dit à qui voulait l’entendre qu’il n’aimait pas les nobles, qu’il ne voulait pas être anobli, et il le pensait. Il le pensait toujours. Et maintenant, il était un de ces foutus nobles ! Alors, il éclata de rire à s’en faire mal aux côtes.

Épilogue

Rappelez-vous le vieux dicton

La salle aux murs rouges, avec son plafond peint d’oiseaux et de poissons dansant dans les airs et les vagues, bourdonnait d’activité. Des clercs en tunique brune détalaient le long des murs entre les longues tables. Aucun ne semblait prêter l’oreille – la plupart avaient l’air frappés par la foudre –, mais Suroth n’appréciait pas leur présence. Ils avaient entendu une partie de ce qui se disait, et les nouvelles étaient potentiellement graves. Pourtant, Galgan avait insisté. Il fallait qu’ils travaillent pour les empêcher de ruminer les nouvelles désastreuses du pays, et c’étaient tous des hommes et des femmes de confiance. Il avait insisté ! Au moins, le vieil homme n’était pas en uniforme militaire ce matin. Ses courtes braies bleues volumineuses, sa tunique rouge à haut col avec ses rangées de boutons dorés marqués de son sceau, étaient à la dernière mode de Seandar, autant dire à la dernière mode de l’Empire.