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— Seulement la moitié ? dit Barasine soulagée. Alors le Port-du-Sud n’est pas bloqué.

Melare haussa les sourcils quand elle comprit les implications de cette remarque.

— Nous verrons ce qu’il en est au matin, dit-elle lentement, quand on laissera tomber l’autre moitié en fer. Le reste sort de l’eau, raide comme… comme une barre de cuendillar. Moi-même, je doute qu’aucun navire puisse entrer, à part les plus petits.

Elle branla du chef, l’air perplexe.

— Mais il s’est passé quelque chose d’étrange. Sur le moment, nous n’avons pas trouvé l’Irrégulière. Nous ne la sentions pas canaliser. Il n’y avait pas d’aura autour d’elle, et ses tissages étaient invisibles. La chaîne a simplement viré au blanc. Si le Lige d’Arebis n’avait pas repéré la barque, elle aurait pu achever son travail et s’en aller.

— Astucieuse Leane, murmura Egwene.

Un instant, elle ferma les yeux. Leane avait tout préparé à l’avance et masqué ses intentions. Si elle-même avait été aussi astucieuse, elle aurait sans doute pu s’échapper. Mais il faut dire qu’on est toujours plus lucide après coup.

— C’est le nom qu’elle nous a donné, dit Melare en fronçant ses sourcils noirs comme des chenilles. Leane Sharif. De l’Ajah Verte. Deux stupides mensonges. Desala l’a déshabillée des pieds à la tête, mais elle n’en démord pas. Je suis remontée respirer un peu. Je n’ai jamais aimé les flagellations, même pour quelqu’un comme elle. Vous connaissez son secret, mon enfant ? Comment cacher les tissages ?

Par la Lumière ! Elles croyaient que Leane était une Irrégulière qui se faisait passer pour une Aes Sedai !

— Elle dit la vérité. La neutralisation lui coûte son apparence d’éternelle jeunesse et la fait paraître plus jeune. Elle a été Guérie par Nynaeve al’Meara, et comme elle n’était plus une Bleue, elle a choisi une nouvelle Ajah. Posez-lui des questions dont seule Leane Sharif connaît les réponses…

Elle se tut quand une boule d’Air lui emplit la bouche, lui ouvrant les mâchoires à les faire craquer.

— Nous ne sommes pas obligées d’écouter ces sornettes, gronda Katerine.

Mais Melare regardait Egwene dans les yeux.

— On dirait des sornettes, certes, admit-elle au bout d’un moment, mais ça ne nuit en rien de poser quelques questions, je suppose. Quel est votre nom ? Au pire, cela adoucira l’ennui de ses réponses. Devons-nous la faire descendre aux cellules, Katerine ? Je n’ose pas laisser Desala seule trop longtemps avec l’autre. Elle méprise les Irrégulières et hait férocement les femmes qui prétendent être des Aes Sedai.

— On ne l’emmène pas tout de suite aux cellules, répondit Katerine. Elaida veut voir Silviana.

— Bien, pourvu que j’apprenne leur secret !

Remontant son châle sur ses épaules, Melare prit une profonde inspiration, et se remit en marche, sans se presser. Pourtant, elle avait donné quelque espoir à Egwene : Leane était devenue « l’autre », et non plus l’« Irrégulière ».

Katerine enfila le couloir d’un bon pas. Barasine poussa Egwene devant elle, marmonnant entre ses dents que c’était ridicule de croire qu’une Aes Sedai pouvait apprendre quelque chose d’une Irrégulière ou d’une Acceptée prétentieuse qui racontait des mensonges extravagants. Bien qu’Egwene fût poussée dans un couloir par une sœur à longues jambes, la bouche béante et le menton dégoulinant de bave, elle s’efforça d’avancer dignement. En vérité, elle y pensait à peine. Melare lui avait donné trop de sujets de réflexion.

Bientôt, les dalles bleues et blanches firent place aux dalles rouges et vertes. Elles arrivèrent devant une porte en bois anonyme encadrée de chaque côté par deux tapisseries représentant des arbres en fleurs et des oiseaux à grand bec de couleurs si vives qu’ils en étaient irréalistes. Cependant, toutes les initiées de la Tour connaissaient cette porte. Katerine frappa avec une hésitation ostentatoire. Quelqu’un répondit d’une voix forte : « Entrez ». Elle prit une profonde inspiration avant de pousser le battant. Son hésitation était-elle due à de mauvais souvenirs de novice ou d’Acceptée, ou était-ce à cause de la femme qui les attendait à l’intérieur ?

Le bureau de la Maîtresse des Novices était exactement tel que dans son souvenir : une petite pièce aux lambris sombres, avec des meubles simples et robustes. Une étroite table près de la porte était légèrement sculptée d’un motif bizarre et quelques vestiges de dorure s’accrochaient au cadre sculpté du miroir. Les torchères et les deux lampes posées sur la table étaient en cuivre, sans ornement.

L’actuelle Maîtresse des Novices – du moins à la Tour – se tenait debout. C’était une femme vigoureuse presque aussi grande que Barasine, avec un chignon noir sur la nuque et un menton carré et autoritaire. Elle dégageait une impression de franche intolérance. C’était une Rouge, en jupes sombres à discrètes taillades rouges, mais son châle était drapé sur le dos de son fauteuil, derrière la table. Ses grands yeux troublants semblaient dévisager Egwene en un seul regard, comme si Silviana connaissait toutes les pensées d’Egwene, y compris celles du lendemain.

— Laissez-moi seule avec elle et attendez dehors, dit Silviana à voix basse mais d’un ton ferme.

— La laisser ? s’étonna Katerine, incrédule.

— N’avez-vous pas compris, Katerine ? Dois-je me répéter ?

Apparemment, non. Katerine rougit mais n’ajouta rien. L’aura de la saidar entoura Silviana, et elle ôta doucement son écran à Egwene, sans lui laisser aucune ouverture pour embrasser le Pouvoir elle-même. Elle était certaine que c’était possible maintenant. Sauf que Silviana était loin d’être faible ; il n’y avait aucun espoir de briser son écran. Le bâillon d’Air disparut en même temps et elle se contenta de tirer un mouchoir de son escarcelle pour s’essuyer calmement le menton. Comme on avait fouillé son escarcelle – elle mettait toujours son mouchoir sur le dessus – elle devrait attendre pour voir si quelque chose en avait été enlevé à part son anneau du Grand Serpent. D’ailleurs, elle ne contenait rien de très utile à une prisonnière. Un peigne, un paquet d’aiguilles, de petits ciseaux, quelques babioles. L’étole d’Amyrlin. Quelle marque de dignité pourrait-elle garder pendant la flagellation, elle n’en avait aucune idée.

Silviana l’étudia, bras croisés, jusqu’à ce que la porte se referme sur les deux autres Rouges.

— Au moins, vous n’êtes pas hystérique, dit-elle alors. Cela rend les choses plus faciles. Mais justement, pourquoi n’êtes-vous pas hystérique ?

— À quoi cela servirait-il ? répondit Egwene remettant le mouchoir dans son escarcelle. À rien.

Silviana s’approcha de la table et, debout, se mit à lire un papier, lui jetant de temps en temps un coup d’œil. Son visage était un masque parfait de sérénité convenant à une Aes Sedai ; indéchiffrable. Egwene attendit patiemment, mains croisées à la taille. Même à l’envers, elle reconnaissait l’écriture distinctive d’Elaida, sans pouvoir la lire. Cette femme ne devait pas penser que l’attente la rendrait nerveuse. La patience était l’une des seules armes qui lui restaient.

— Il semble que l’Amyrlin réfléchit sur votre sort depuis pas mal de temps, dit finalement Silviana.

Si elle espérait qu’Egwene trépignerait ou se tordrait les mains, elle ne fit pas mine d’être déçue.

— Elle a un plan très élaboré. Elle ne veut pas que la Tour vous perde. Moi non plus. Elaida a décidé que d’autres vous ont dupée, et qu’on ne pouvait pas vous en tenir responsable. Ainsi, vous ne serez pas accusée de vous être fait passer pour l’Amyrlin. Elle a rayé votre nom de la liste des Acceptées, et l’a noté dans le livre des novices. Franchement, je suis d’accord avec cette décision sans précédent. Quelle que soit votre puissance dans le Pouvoir, vous ignorez pratiquement tout de ce que vous auriez dû apprendre en tant que novice. Mais ne craignez pas d’avoir à repasser l’épreuve. Je ne forcerai jamais personne à vivre cela deux fois.