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Le streith demeurait à peine opaque, mais Graendal s’écarta de la caresse, regardant au-delà d’Aran’gar qui se retourna pour s’apercevoir que Mesaana approchait, flanquée de Demandred et Semirhage. Il avait l’air furieux, et Mesaana froidement amusée. Mesaana, toujours pâle, n’était plus maussade. Non, plus du tout. Elle murmurait coreer d’une voix pleine de venin.

— Pourquoi la laisser partir, Aran’gar ? Vous deviez la surveiller ! Étiez-vous si occupée à vos rêveries la concernant que vous en avez oublié d’apprendre ce qu’elle pensait ? La rébellion s’écroulera sans elle comme figure de proue. Tous mes plans minutieusement préparés sont ruinés parce que vous n’avez pas su garder votre emprise sur une fille ignorante !

Aran’gar réprima sa colère. Elle y arrivait, quand elle acceptait d’en faire l’effort. Elle sourit. Mesaana pouvait-elle vraiment s’être installée à la Tour Blanche ? Comme ce serait merveilleux si elle trouvait le moyen de diviser ce trio.

— J’ai écouté une session de l’Assemblée des rebelles hier soir, dans le Monde des Rêves, de sorte qu’elles ont pu se réunir à la Tour Blanche, sous la présidence d’Egwene. Elle n’est pas la figure de proue que vous croyez. J’ai tenté de vous le dire avant, mais vous n’écoutez jamais !

Comme elle s’aperçut qu’elle avait parlé trop durement, elle s’efforça de modérer son ton.

— Egwene leur a décrit la situation à l’intérieur de la Tour, les conflits entre les Ajahs. Elle est convaincue que c’est la Tour Blanche qui est sur le point de s’écrouler, et qu’elle pourrait l’aider d’où elle est. Si j’étais vous, je m’inquiéterais de savoir si la Tour peut rester unie assez longtemps pour prolonger ce conflit.

— Elles sont résolues à tenir bon ? murmura Mesaana entre ses dents, hochant la tête. Parfait. Parfait. Alors tout se passe comme prévu. Je pensais que je serais peut-être obligée d’organiser un sauvetage, mais je peux peut-être patienter jusqu’à ce qu’Elaida l’ait brisée. Son retour créera alors encore plus de confusion. Il faut que vous semiez encore plus de discorde, Aran’gar. Avant que j’en aie terminé, je veux que ses Aes Sedai se haïssent jusqu’aux moelles.

Un zomara apparut, s’inclinant avec grâce en leur présentant trois gobelets sur un plateau. Mesaana et ses compagnes prirent le vin sans accorder un regard à la créature, qui s’inclina avant de s’éclipser d’un mouvement fluide.

— Elle a toujours été habile à semer le trouble, dit Semirhage.

Demandred éclata de rire.

Aran’gar se força à réprimer sa colère. Dégustant son vin – il était excellent, capiteux, quoique sans comparaison avec les crus servis aux Jardins –, elle posa sa main libre sur l’épaule de Graendal et joua avec une de ses boucles dorées. L’intéressée ne broncha pas, et le streith resta vaporeux. Ou bien cela lui plaisait, ou bien elle se contrôlait. Le sourire amusé de Semirhage s’accusa. Elle aussi, elle prenait son plaisir où elle le trouvait, mais les plaisirs de Semirhage n’avaient jamais attiré Aran’gar.

— Si vous voulez vous caresser, grogna Demandred, faites-le en privé.

— Vous êtes jaloux ? dit Aran’gar, qui eut un rire léger en le voyant froncer les sourcils. Où cette fille est-elle enfermée, Mesaana ? Elle ne l’a pas dit.

Les grands yeux bleus de Mesaana s’étrécirent.

— Pourquoi voulez-vous le savoir ? Pour la libérer vous-même ? Je ne vous le dirai pas.

La respiration de Graendal se fit sifflante, et Aran’gar réalisa que sa main s’était refermée sur la chevelure blonde, tirant vers l’arrière la tête de Graendal.

Le visage de l’autre femme resta impassible, mais la robe rouge s’assombrit rapidement et devint plus opaque. Aran’gar relâcha sa prise. L’une des premières étapes consistait à habituer la proie au contact. Pourtant, elle ne fit rien cette fois pour réprimer la colère dans sa voix. Découvrant les dents, elle ne cachait pas son mépris.

— Je veux la fille, Mesaana. Sans elle, mes outils sont beaucoup moins puissants.

Mesaana dégusta calmement son vin avant de répondre.

— De votre propre aveu, vous n’avez pas besoin d’elle. Il s’agissait de mon plan dès le début, Aran’gar. Je l’adapterai en fonction des nécessités, mais c’est le mien. C’est moi qui déciderai quand et où elle sera libérée.

— Non, Mesaana, c’est à moi qu’appartient la décision, annonça Moridin franchissant à grands pas l’arche de pierre.

Ainsi, il avait bien des oreilles dans la place. Il était uniformément vêtu de noir cette fois, d’un noir plus sombre que celui de Semirhage. Comme de coutume, Moghedien et Cyndane le suivaient, toutes deux vêtues en rouge et noir. Quelle emprise avait-il sur elles ? Moghedien n’avait jamais volontairement suivi personne. Quant à cette belle petite poupée blonde à la poitrine opulente de Cyndane… Aran’gar l’avait approchée, et la fille l’avait menacé froidement de s’arracher le cœur s’il la touchait. Ça n’était guère le genre de déclaration de quelqu’un qui se soumet facilement.

— Il semble que Sammael ait refait surface, annonça Moridin, traversant la salle pour s’asseoir.

Bel homme, il donnait au fauteuil ouvragé l’aspect d’un trône. Moghedien et Cyndane s’assirent de chaque côté, après qu’il s’était assis lui-même. Des zomaras en blanc immaculé entrèrent pour leur servir du vin, et en offrirent à Moridin en premier. Quoi qu’il se passât dans la salle, les zomaras le sentaient.

— Cela ne semble guère possible, dit Graendal, comme elles se dirigeaient toutes vers les fauteuils.

Maintenant, sa robe gris foncé ne révélait plus rien.

— Il doit être mort.

Aucune ne se pressa, et, à part Moghedien et Cyndane, aucune ne manifesta le moindre signe de soumission. Surtout pas Aran’gar.

Elle prit place en face de Moridin, d’où elle pouvait l’observer discrètement en même temps que Moghedien et Cyndane. Moghedien se tenait si immobile qu’elle aurait pu se confondre avec le fauteuil, n’était sa robe éclatante. Cyndane avait le port d’une reine, dont le visage semblait sculpté dans la glace. Tenter de renverser le Nae’blis était dangereux, mais ces deux-là détenaient peut-être la clé de la situation. Si elle arrivait à savoir comment la tourner… Graendal s’assit près d’elle. Le fauteuil fut soudain plus proche. Aran’gar, qui aurait pu poser sa main sur le poignet de sa voisine, s’abstint de toute démonstration, à part un sourire complice. Il valait mieux rester concentrée pour le moment.

— Il n’aurait jamais pu rester caché aussi longtemps, intervint Demandred. Il se renversa dans son fauteuil entre Semirhage et Mesaana, les jambes croisées comme s’il était parfaitement à son aise. Cela semblait suspect.

— Sammael avait besoin que tous les yeux soient fixés sur lui.

— Néanmoins, Sammael, ou quelqu’un ayant pris son apparence, a donné des ordres aux Myrddraals qui lui ont obéi. C’était donc l’un des Élus.

Moridin promena son regard sur tous les fauteuils, comme s’il pouvait détecter de qui il s’agissait. Du saa noir coulait de ses yeux bleus en un flot continu. Elle ne regretta pas que le Pouvoir Unique fût limité à son usage personnel. Le prix à payer avait été trop élevé. Ishamael avait certainement été en proie à la folie, et il l’était toujours en tant que Moridin. Quand pourrait-elle l’éliminer ?

— Allez-vous nous dire quels étaient ces ordres ? demanda Semirhage, sereine.

Elle dégusta lentement son vin, observant Moridin par-dessus le rebord de son gobelet. Elle se tenait très droite, comme toujours. Elle aussi semblait parfaitement à son aise, bien qu’il soit peu probable qu’elle le fût.