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Moridin serra les dents.

— Je ne sais pas, dit-il enfin, à regret.

Voilà un aveu qu’il détestait.

— Mais ils ont envoyé une centaine de Myrddraals et des milliers de Trollocs dans les Voies.

— Cela ressemble à Sammael, dit pensivement Demandred, faisant tourner son gobelet dans sa main et contemplant le petit tourbillon.

— Je me suis peut-être trompé.

Venant de lui, l’aveu était étonnant. Ou alors il tentait de dissimuler que c’était lui qui s’était déguisé en Sammael. Elle aurait bien voulu savoir qui avait commencé à jouer à son propre jeu. Ou si Sammael était vraiment vivant.

Moridin grogna.

— Passez la consigne à vos Amis du Ténébreux. Tout rapport concernant des Trollocs ou des Myrddraals en dehors de la Dévastation devra m’être communiqué immédiatement. Le Temps du Retour est proche. Personne n’est plus autorisé à partir seul à l’aventure.

Il les étudia tour à tour, excepté Moghedien et Cyndane. Aran’gar soutint son regard, avec un sourire plus langoureux que celui de Graendal. Mesaana baissa les yeux.

— Comme vous l’avez appris à vos dépens, dit-il à Mesaana.

Et, pour impossible que ça parût, Mesaana pâlit encore. Elle but une longue rasade, ses dents claquant contre le cristal. Semirhage et Demandred détournèrent les yeux.

Aran’gar et Graendal se regardèrent. Quelque chose avait été fait pour punir Mesaana de ne pas avoir été présente à Shadar Logoth, mais quoi ? Autrefois, un tel manquement à son devoir était puni de mort. Ils étaient trop peu nombreux pour ça, maintenant. Cyndane et Moghedien semblaient aussi curieuses qu’elle, donc elles ne savaient pas non plus.

— Nous pouvons voir les signes aussi clairement que vous, Moridin, dit Demandred avec irritation. Le Temps est proche. Nous devons trouver le reste des sceaux de la prison du Grand Seigneur. Mes partisans ont cherché partout, mais ils n’ont rien trouvé.

— Ah, oui ! Les sceaux, se rappela Moridin avec un sourire presque suffisant. Il n’en reste que trois, tous en possession de Rand al’Thor, quoique je doute qu’il les ait sur lui. Ils risqueraient de se casser. Il les aura cachés quelque part. Envoyez vos gens là où il est allé. Cherchez-les vous-mêmes.

— Le plus facile serait de kidnapper Lews Therin.

Contrastant fortement avec son apparence de vierge de glace, la voix de Cyndane était rauque et sensuelle. Ses grands yeux bleus s’étaient illuminés, d’une chaleur incandescente.

— Je peux lui faire dire où sont les sceaux.

— Non ! dit sèchement Moridin, rivant ses yeux sur elle. Vous pourriez le tuer accidentellement. C’est moi qui choisirai le moment et la façon dont mourra al’Thor. Personne d’autre.

Curieusement, il porta la main à sa poitrine, et Cyndane se troubla. Moghedien frissonna.

— Personne d’autre, répéta-t-il d’une voix dure.

— Personne d’autre, dit Cyndane.

Quand il rabaissa sa main, elle expira lentement, puis but une gorgée de vin. Son front luisait de sueur.

Aran’gar trouva cet échange révélateur. Il lui sembla qu’une fois qu’elle aurait éliminé Moridin, elle tiendrait Moghedien et Cyndane en laisse. Parfait.

Moridin se redressa dans son fauteuil, fixant les autres tour à tour.

— Cela est valable pour vous tous. Al’Thor m’appartient. Vous ne toucherez pas à lui !

Cyndane baissa la tête sur son gobelet, buvant à petites gorgées. Une haine virulente était visible dans ses yeux. Graendal avait dit qu’elle n’était pas Lanfear, qu’elle était la plus faible dans le Pouvoir Unique, mais il était certain qu’elle faisait une fixation sur al’Thor et elle lui donnait le même nom que Lanfear avait toujours utilisé.

— Si vous voulez vous en prendre à quelqu’un, poursuivit-il, tuez ces deux-là.

Soudain, l’image de deux jeunes hommes en vêtements de paysans se dressa au centre du cercle. Ceux-ci pivotèrent pour que tous puissent bien voir leurs visages. L’un était grand et large, avec des yeux jaunes, tandis que l’autre, presque svelte, arborait un sourire insolent. Ces créations du Tel’aran’rhiod bougeaient avec raideur, avec la même expression.

— Perrin Aybara et Mat Cauthon sont des ta’verens faciles à trouver. Retrouvez-les et tuez-les.

Graendal éclata d’un rire sans joie.

— Trouver des ta’verens n’a jamais été aussi facile que vous le prétendez, et maintenant, c’est plus difficile que jamais. Tout le Dessin est en flux, plein de changements et de pointes.

— Perrin Aybara et Mat Cauthon, murmura Semirhage, inspectant les deux silhouettes. Ainsi donc, voilà à quoi ils ressemblent. Qui sait, Moridin ? Si vous nous l’aviez dit plus tôt, ils seraient peut-être déjà morts.

Moridin abattit violemment le poing sur son accoudoir.

— Trouvez-les ! Assurez-vous que vos disciples connaissent leurs visages. Trouvez Aybara et Cauthon, et tuez-les ! Le Temps est proche, et ils doivent mourir !

Aran’gar but une gorgée de vin. Elle n’avait pas d’objection à tuer ces deux-là, mais Moridin allait être terriblement déçu par Rand al’Thor.

4

Un marché

Perrin posa la selle de Steppeur un peu à l’écart de la rangée des arbres et observa la vaste prairie où des fleurs sauvages rouges et bleues commençaient à poindre à travers l’herbe brune qui avait été aplatie par la neige. Les arbres, en majorité des lauréoles, conservaient leur feuillage tout l’hiver. L’étalon isabelle tapa du pied avec une impatience que partageait Perrin, quoiqu’il n’en laissât rien paraître. Le soleil était presque au-dessus de sa tête ; il attendait là depuis près d’une heure. Une brise régulière soufflait de l’ouest, à travers la prairie. Parfait.

De temps en temps, sa main gantée caressait une branche presque droite, qui avait été taillée à la hache dans un chêne, plus épaisse que son bras et deux fois plus longue, posée devant lui en travers de sa selle. Sur la moitié de sa longueur, il en avait arraché l’écorce pour la rendre plate et lisse. La prairie, entourée d’immenses chênes et de lauréoles, de pins gigantesques et de feuillus plus petits, avait moins de six cents pas de large, tout en étant un peu plus longue. La branche devait être assez large. Il avait prévu toutes les possibilités qu’il avait pu imaginer. La branche en satisfaisait plus d’une.

— Dame Première, vous devriez rentrer au camp, répéta pour la énième fois Gallenne, frictionnant avec irritation son couvre-œil rouge.

Son casque à plumet écarlate était pendu au pommeau de sa selle, laissant découverts ses cheveux gris qui lui arrivaient aux épaules. On l’avait entendu dire, à portée d’oreille de Berelain, que ces cheveux gris étaient un présent de sa souveraine. Comme son destrier noir tentait de mordiller Steppeur, il serra vivement la bride au hongre à large poitrail, sans détourner son attention de Berelain. D’ailleurs, il lui avait conseillé de ne pas venir.

— Grady peut vous raccompagner et revenir après, pendant que les autres et moi, nous attendrons un peu plus loin pour voir si les Seanchans apparaissent.

— Je resterai, capitaine. Je resterai.

Le ton de Berelain était ferme et calme, mais sous son odeur habituelle de patience pointait une nuance d’inquiétude. Elle n’était pas aussi tranquille qu’elle voulait le paraître. Elle portait un léger parfum floral. Parfois, Perrin se surprenait à essayer de déterminer les fleurs qui le composaient, mais aujourd’hui, il était trop concentré pour s’en préoccuper.

La contrariété pointait dans l’odeur d’Annoura, bien que son visage d’Aes Sedai à l’éternelle jeunesse, entouré de fines tresses, restât aussi lisse que jamais. Mais il faut dire que la Sœur Grise au nez en bec d’aigle émettait une odeur de contrariété depuis le désaccord survenu entre elle et Berelain. C’était sa faute, avec ses visites à Masema dans le dos de sa maîtresse. Elle aussi avait conseillé à Berelain de rester en arrière. Annoura approcha sa jument brune de la Première de Mayene, qui éloigna sa jument blanche de la même distance, sans même lui accorder un regard. La contrariété s’accrut.