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— Maintenant, dites-moi ce que Sevanna a dit et fait. Cette eau qui tombe du ciel est peut-être une chose merveilleuse, mais ce n’est pas agréable de se promener dessous.

Sevanna ne s’était pas réveillée de la nuit, et une fois debout, elle n’avait parlé que des vêtements et surtout des bijoux qu’elle porterait. Son coffre, qui avait été prévu pour des vêtements, regorgeait de gemmes. Avant même de s’habiller, Sevanna avait passé un bon moment à essayer différentes combinaisons de bagues et de colliers et à s’étudier devant la psyché. Pour Faile, cela avait été très embarrassant.

Elle en était arrivée au récit de l’entrée de Therava avec Galina quand tout se mit à onduler devant ses yeux. Elle ondulait ! Ce n’était pas son imagination. Les yeux bleus de Meira se dilatèrent ; elle aussi avait senti les ondulations. De nouveau, tout ondula, y compris elle-même, plus fort qu’avant. En état de choc, Faile se redressa et lâcha sa robe. Le monde ondula encore plus fort, et, quand le mouvement la traversa, elle eut l’impression qu’elle allait exploser dans la brise ou se dissiper sous forme de brume.

Haletante, elle attendit la quatrième ondulation, celle dont elle savait qu’elle détruirait tout. Rien ne se passa. Elle expira de soulagement.

— Qu’est-ce qui se passe, Sagette ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

Meira se toucha le bras, l’air vaguement étonné que sa main ne passe pas à travers sa chair et ses os.

— Je… je ne sais pas, répondit-elle lentement.

Elle se secoua et ajouta :

— Allez à votre travail, ma fille !

Rassemblant ses jupes, elle passa près de Faile en courant dans la boue.

Les enfants avaient déserté les rues, mais Faile les entendait geindre dans les tentes. Les chiens abandonnés frissonnaient et geignaient, la queue entre les jambes. Dans la rue, les gens se palpaient, se touchaient les uns les autres, Shaidos aussi bien que gai’shains. Faile se palpa fermement les mains. Elle était bien solide ! Elle avait juste eu l’impression de se transformer en brume. Retroussant ses robes pour éviter de trop se salir, elle se remit à marcher. Puis elle courut, sans se soucier de la boue. Elle savait qu’elle n’échapperait pas à une nouvelle ondulation, mais elle courut quand même, aussi vite que ses jambes le pouvaient.

Les tentes des gai’shains, plantées en cercle autour des murailles de Malden, étaient aussi disparates que celles des autres quartiers du camp, mais la plupart étaient petites. Sa tente pointue conçue pour deux personnes en abritait trois en plus d’elle-même : Alliandre, Maighdin et une noble cairhienine nommée Dairaine, qui cherchait à se faire bien voir de Sevanna en colportant des ragots sur les autres gai’shains. Cela leur compliquait la vie, mais il n’y avait rien à y faire, à part la tuer, et Faile ne s’y résignait pas. Pas à moins que Dairaine ne représente un sérieux danger. À l’instar d’une portée de chiots, elles dormaient blotties les unes contre les autres pour se réchauffer mutuellement.

Il faisait sombre dans la tente quand elle y pénétra. Seule Alliandre était là, à plat ventre sur sa couverture, avec un linge imbibé d’une infusion d’herbes médicinales sur son postérieur meurtri.

Alliandre, qui n’avait rien fait de mal, avait été désignée la veille parmi les cinq qui avaient le moins satisfait Sevanna. Contrairement à certaines, elle s’était assez bien comportée pendant la punition – Doirmanes s’était mise à pleurer avant même qu’on la frappe. Cependant, elle semblait faire partie de celles sélectionnées tous les trois ou quatre jours. Être reine ne vous apprend pas à servir une reine. Il faut dire que Maighdin était désignée presque aussi souvent, elle qui n’était qu’une femme de chambre. Faile elle-même n’avait été choisie qu’une seule fois.

Le fait qu’Alliandre n’avait pas fait un geste pour se couvrir montrait à quel point elle était abattue ; elle se redressa simplement sur les coudes. Elle avait quand même peigné ses longs cheveux noirs. Quand elle s’en abstiendrait, Faile saurait qu’elle était au bout du rouleau.

— Est-ce que quelque chose… d’étrange… vient de vous arriver, Ma Dame ? demanda-t-elle, d’une voix tremblante de peur.

— Oui, dit Faile, accroupie près du mât. Je ne sais pas ce que c’était. Meira ne sait pas non plus de quoi il s’agissait. Je doute qu’aucune Sagette le sache. Mais nous ne sommes pas blessées.

Bien sûr que ça ne les avait pas blessées.

— Et ça ne change rien à nos projets.

En bâillant, elle détacha sa ceinture et la jeta sur ses couvertures, puis elle saisit sa robe pour la passer par-dessus sa tête. Alliandre cacha son visage dans ses mains et se mit à pleurer doucement.

— Nous ne nous évaderons jamais. Je serai encore battue ce soir. Je le sais. On me frappera tous les jours jusqu’à la fin de ma vie.

En soupirant, Faile laissa tomber sa robe et s’agenouilla pour caresser les cheveux de sa vassale.

— De temps en temps, j’ai les mêmes craintes, dit-elle doucement. Mais je refuse de me laisser abattre. Je m’évaderai. Nous nous évaderons. Il faut conserver son courage, Alliandre. Je sais que vous êtes brave. Je sais que vous avez discuté avec Masema en gardant votre sang-froid. Vous en êtes capable, alors continuez !

Aravine passa la tête entre les rabats de la tente. Elle était quelconque et boulotte. Faile était sûre qu’elle était noble, bien qu’elle ne s’en vante jamais. Malgré la pénombre, Faile vit qu’elle rayonnait. Elle aussi portait la ceinture et le collier de Sevanna.

— Ma Dame, Alvon et son fils ont quelque chose pour vous.

— Il faudra que ça attende quelques minutes, répondit Faile.

Alliandre avait cessé de pleurer et ne bougeait plus.

— Ma Dame, vous regretterez d’avoir attendu.

La respiration de Faile s’arrêta. Était-ce possible ? Cela semblait trop beau pour être vrai.

— Je peux garder mon sang-froid, dit Alliandre, relevant la tête pour regarder Aravine. Si ce qu’apporte Alvon est ce que j’espère, je saurai garder mon sang-froid même si Sevanna me met à la torture.

Attrapant sa ceinture et son collier – être vue à l’extérieur sans collier ni ceinture valait une punition presque aussi sévère que pour une tentative d’évasion –, Faile sortit de la tente en toute hâte. Le crachin s’était transformé en brouillard. Elle releva quand même sa capuche pour se protéger du froid.

Alvon était trapu, plus petit que son fils Theril, grand garçon dégingandé. Tous deux portaient des robes blanches tachées de boue, taillées dans de la toile de tente. Theril, le fils aîné d’Alvon, âgé de quatorze ans – les Shaidos ne l’avaient pas cru à cause de sa taille –, était aussi grand que la plupart des Amadiciens. Faile avait fait confiance à Alvon depuis le début. Lui et son fils étaient presque légendaires parmi les gai’shains. Ils avaient fait trois tentatives d’évasion, et à chaque fois les Shaidos avaient mis plus de temps à les retrouver. Et malgré des punitions de plus en plus sévères, le jour où ils lui avaient juré allégeance, ils avaient prévu une quatrième tentative pour rejoindre le reste de leur famille. Faile ne les avait jamais vus sourire, mais aujourd’hui leurs visages, buriné pour Alvon et creux pour Theril, étaient rayonnants.

— Qu’avez-vous pour moi ? demanda Faile, bouclant sa ceinture en hâte.

Son cœur battait si fort qu’elle eut l’impression qu’il allait jaillir hors de sa poitrine.

— C’est mon Theril, Ma Dame, dit Alvon avec son accent de bûcheron qui rendait ses paroles quasi incompréhensibles. Il passait juste par là, vous voyez, et il n’y avait personne, alors il s’est baissé vivement et… Montre à la Dame, Theril.

Timidement, Theril passa une main dans sa manche et en tira une baguette blanche et lisse qui semblait faite d’ivoire, d’environ un pied de long et épaisse comme son poignet.