PETITS MEMOIRES SECRETS DU XIXe SIECLE
TIRÉS DES
Archives Privées
DES CONTEMPORAINS ET CONTEMPORAINES
Eu nous faisant un peu indiscrètement peut-être l'éditeur de cette collection de petits mémoires absolument secrets, personnels et intimes, nous avons la prétention, d'abord, de combler une lacune et ensuite de jeter les bases de la véritable histoire nationale. La'véritable histoire, on l'a déjà dit, ce n'est pas celle des changements de ministère et des bris de gouvernements, — c'est 1 "étude des changements que ces laits ou simplement le temps peuvent apporter dans les mœurs et dans la vie sociale!
D'iui autre côté, nous avons encore pour nous encourager dans notre entreprise le sentiment que nous répondons à un besoin. On collectionne tout, n'est-ce pas? les tableaux, les tabatières, les faïences, les gravures, les armes, les affiches, tout, jusqu'aux prospectus et aux boutons ; on ne sait plus quoi collectionner, tout est pris! l-^h bien! nous inventons pour les amateurs une nouvelle spccialiLé, nous créons la Collection de documents intimes pour servir à l'histoire pritée des contemporains et contem-po/'ciùies. La littérature moderne, en quête de vérité et de précision, ne donne-t-elle pas une importance de plus en plus grande au document vrai ?
Nous fouillerons partout, au fond des secrétaires, dans les cartons poudreux jetés sur les antiques armoires, dans les petites boîtes oubliées au plus profond des commodes, dans les chiffonniers élégants des dames de jadis et d'aujourd'hui, dans les cartons des artistes et^lans ceux des avoués. Que de découvertes à faire dans les placards parmi les souvenirs des oncles et des tantes du temps passé, de ces chères vieilles cousines et de ces antiques mauvais sujets de parrains! Et les petits coffrets et les portefeuilles au cuir moisi, où se retrouvent des lettres d'amour, des rubans décolorés, des portraits et des mèches de cheveux! Nous irons jusque dans les greniers sonder les meubles au rebut et arracher de vive force aux souris les paquets de lettres qu'elles grignotent dans les coins. Quelles mines que ces greniers! Artistes ou bourgeois, séducteurs ou séduits, trompeurs ou trompés, vieux garçons, anciennes beautés, bourgeoises tendres ou revêches, danseuses, actrices ainiées jadis ou encore adorées, vos ARCHIVES PRIVÉES, avec leurs secrets petits ou gros, sont à nous !
EN PRÉPAHATIOX :
La Confession d'une ancienne jeune actrice. Croquis d'amour et de paysage du peintre Alfred
Gulistan. Rapports confidentiels (Tricoche and C").
AVANT-PROPOS TESTAMENTAIRE
Moi, AuOespiii de SN Amour (183o).
A celles qui m^ontftroinpè, loin de fjarder le moindre sen-iiiaent de rancune, je donne el lèijue le pardon le plus com-plel, — ainsi quà leurs complices !
Cesl acec joie — fai dans Vidée que ce ne sont pas les moins jolies — que je les recer-railà-haul, sans les complices; les belles volages pourront me raconter les tours cju'elle s m,'ont joués, et nous rirons encore ensemble. A celles et aussi à ceux que j'ai trompés, je fais humblement les plus complètes excuses. — Je reconnais mes torts, je déplore mes erreurs l... Hélas! c'est le passé!... Oui, j'ai péché, j'ai terriblement péché! Ali! si c'était à refaire, ah! si l'on pouvail recommencer sa vie !... Comme ce serait agréable! Mais non, Jiélas, imiiossible !
A celles et à ceux que j'ai trompés, je déclare.^ si ra peut leur faire p^ii-si?' maintenant, qu'ils ont été bien vengés. Je les ai expiées cruellement les Iieures folles, les journées d'agrément escamotées autrefois! La punilion a élé exemplaire: Babet Taupin, ma gouvernante pendaiit plus de trente-cinq ans^ a été pour ceci l'instrument de la Providence vengeresse. J'en serais arricé à l'épouser, cette Babet, sans Taupin, le bon et excellent Taupin, son mari, qui vivait encore, — loin d'elle, le vieux malin, — cl ù qui je faisais des rentes, pour lui per]aeltre d'entretenir f<a santé et de se conserver dans mon intérêt.
It a vécu, le brave et digne homme, et il n'est descendu au tombeau, victime d'une vocation irrésistible pour Vinlenxpèrance, qu'après la fin de Bahet. Honneur à lui !
Moi aussi j'ai vécu, et si je suis arrivé à l'âge de cent un ans, c'est bien, je puis le dire, par la force de la volonté, par une héroïque obstination ! C'est à cause de Babet ! Je n'ai pas voulu partir avant elle, je n'ai pas voulu lui permettre de jouir des avantages testamentaires qu'en trente-cinq années d'obsessions elle m'avait arrachés peu à peu. Je lui ai survécu ; maintenant qu'elle n'est plus, je jouis partir à mon tour !
Mes comptes sont donc réglés. Ceux et celles ciue j'ai trompés ont été vengés, j'ai pardonné à celles et même à ceux qui m'ont trompé, je suis quitte et peut-être même, en comptant bien, aurais-je droit à du retour ! Je verrai bientôt là-haut si l'on ne me redoit pas ciuelque chose, quelques félicités compensatrices que je recevrais avec reconnaissance.
Pour achever de les mériter, je charge mon notaire et exécuteur testamentaire de publier leprésent Portefeuille de Souvenirs: les personnes représentées ci-inclus — s'il en existe encore du moins — par quelque portrait ou relique, y verront que ce sentiment si fragile et si volatile qu'on appelle l'amour ne s'est pas tout à fait évaporé en tant d'années, alors (jue tant de c/ioses soi-disant solides^ d'institutions réputées éternelles, de gouvernements indéracinables et incassables ont dii<paru, balayés par les aquilons.
Les personnes qui m'ont trompé y trouveront l'absolution.
Et celles que j'ai trahies — ou leurs héritiers, — les excuses que je viens de formuler humblement.
Aimables folies à la hussarde
Apparaissez, ô mes jeunes années ! Où es-tu, mon cheval de bataille, fier coursier que j'ai vendu quinze louis de vingt-quatre francs en l'an VI? A moi, mon sabre do hussard ! A moi, ma hussarde adorée, mais
Mon portrait par Aurélie.
infidèle, ma première adorée, ma première irfidèle, mon aimable et unique Aurélie Verteleuille !
Oui, la première en date do toutes celles que j'ai aimées était hussarde! Simple cavalière aux hussards volontaires de la Nation, comme j'étais simple cavalier. Deux jolis, fiers et fringants hussards tous les deux, en cette année de soleil et de jeunesse où nous nous échappâmes ensemble du sein de nos familles, ])our courir les aventures de i^uerre et d'amour, au
Auralio.
galop de charge, rœnr flamliant. âme embrasée, sabrctachc et plumet au vent, à travers les coups do sal)re, les mousquetades, les pis-toletades et les canonnades des champs de bataille de la haute Italie.
Mon Dieu ! c'est bien simple, du moins c'était tout simple en ce temps-là. J'avais dix-sept ans et Aurélie tout autant, dix-sept printemps, trente-quatre à nous deux ' Nous étions voisins de campagne, j'habitais la maison des champs d'un oncle, homme de robe, censeur ennuyeux de ma fougueuse Jeunesse. Aurélie, que je voyais chaque soir sous les charmilles de ses parents, s'ennuyait aussi. Xc voulait-on pas lui faire épouser quelque procureur! Nous nous aimâmes et un beau jour, sur les chevaux de mon oncle, nous nous enfuîmes. Je lui avais prêté fies habits masculins; ce furent deux jeunes muscadins qui se présentèrent, après une course de cent lieues et trois semaines d'un vagabondage poétique, au bureau de recrutement de Lyon, oîi se formait une brigade de hussards destinée à voler de l'autre côté des Alpes, dans les champs do l^ellonc.