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— Benjamin, j'ai une idée. Je crois que je peux neutraliser Denker. Mais pour cela, vous allez devoir m'obéir et me faire confiance une dernière fois.

83

En achevant de lire le passage écrit par son grand-père dans le carnet, Kord Denker sentit l'émotion monter en lui.

— Merci, professeur. Merci infiniment. Vous êtes l'instrument de la Providence. Il était écrit que nous trouverions la clé, et vous me l'apportez à point nommé. Nous voilà pour de bon aux portes d'un monde nouveau. Vous savez que je ne suis pas un ingrat. Je n'oublierai pas votre contribution.

L'universitaire répondit à voix basse :

— Cher Kord, l'honneur d'apporter mon modeste concours à votre œuvre vaut toutes les récompenses.

— Quand je pense que les réponses étaient sous nos yeux et que depuis tout ce temps, personne n'a su les lire ! L'heure n'était sans doute pas encore venue.

Wheelan jeta un œil aux alentours pour s'assurer que personne ne risquait d'entendre ce qu'il avait encore à confier.

— Je dois vous avouer une crainte.

— Vous n'avez plus à en avoir…

— Je me méfie d'Horwood. J'ai vu dans quel état d'esprit il a travaillé cette nuit. Il vous déteste.

— Je sais.

— Il est allé jusqu'à me menacer. Il n'attend qu'une occasion pour s'en prendre à vous et compromettre votre projet. Nous ne pouvons pas le laisser saboter votre réussite parce qu'il est incapable d'apprécier votre vision.

— Je vous rejoins tout à fait. Êtes-vous en train de me conseiller de le supprimer ?

— À vrai dire, je tirerais une satisfaction bien plus grande si vous le laissiez assister à votre triomphe. Quelle leçon pour ce freluquet ! Par contre, je vous conjure de ne pas lui permettre, à lui ou sa complice, de s'approcher de l'expérience.

— Ce ne sera plus nécessaire.

— Si vous le permettez, j'ai une idée à vous soumettre. Cette nuit, je n'ai pas seulement découvert la nature de la matière, j'ai aussi trouvé des témoignages qui attestent de l'efficacité des protections d'or et de pierres précieuses. Il est clairement stipulé dans des textes qui se recoupent que les prêtres équipés des plastrons et des masques ont survécu. Selon les mots mêmes des narrateurs, ils ont pu vieillir, auréolés de gloire.

— Comment est-ce possible ?

— La composition unique des particules émises sous le feu du bombardement solaire explique sans doute le phénomène. Cette matière fissible ne ressemble à aucune de celles existant sur notre planète. Cela justifie certainement ses caractéristiques physiques atypiques. Vous le répétez vous-même souvent à juste titre : il nous reste beaucoup à découvrir. Souvenez-vous que l'analyse des rayonnements reçus par le miroir d'Arrapha avait laissé perplexes vos plus brillants physiciens…

Denker était presque convaincu, mais Wheelan ne voulait prendre aucun risque. Pour balayer les derniers doutes de son interlocuteur, il joua sa carte maîtresse.

— À mon sens, l'expérience aurait encore plus de portée si vous occupiez vous-même la place des savants sumériens, fit-il avec toute la conviction dont il était capable. Vous êtes l'artisan de cette résurrection. N'abandonnez à personne la gloire de son aboutissement. Si vous m'autorisez cette audace, je sollicite le privilège d'être à vos côtés. Au regard de l'histoire, je serai ainsi le premier témoin de votre Premier Miracle.

L'idée d'accomplir le rituel par lui-même séduisit aussitôt Denker. En outre, que Wheelan veuille y assister le flattait tout en le rassurant, car sa présence garantissait qu'il ne courait aucun risque.

— Kord, tout sera filmé. En portant vous-même la météorite sur son autel de lumière, vous posez la première pierre d'un empire. Plus personne ne pourra vous contester la maîtrise de ce pouvoir.

84

Dans la salle de contrôle, alors que les ingénieurs achevaient les préparatifs, Ben et Karen étaient aux premières loges, encadrés par trois hommes qui ne cachaient plus leurs armes et avaient reçu l'ordre de les abattre au premier geste suspect. Ben soutenait la jeune femme, affaiblie par ses brûlures et les épreuves psychologiques qu'elle avait endurées. En rejoignant la salle de lumière, Denker était passé devant eux mais n'avait pas daigné leur adresser la parole. Son petit sourire ironique n'avait pas échappé à Benjamin.

Sur les écrans, Karen observait Kord et Wheelan, revêtus pour l'événement de la robe traditionnelle sur laquelle brillait leur chasuble d'or. Chacun d'eux tenait un masque à la main.

— Je leur laisse ma place sans hésiter…, grimaça-t-elle.

L'absence de réaction à sa remarque l'étonna. Elle regarda son complice.

— Qu'avez-vous ? Vous semblez ému.

Ben ne devait pas répondre. Il se contenta de la serrer un peu plus contre lui. Il ne pouvait pas lui expliquer ce que le professeur était en train d'accomplir. S'ils avaient vu juste concernant les météorites, le vieil homme signait sa perte en accompagnant Denker. Sans doute avait-il jugé son sacrifice nécessaire pour convaincre cet homme méfiant d'y aller en personne.

Ben dévisageait son ancien professeur. Il le voyait jouer la comédie, mais au-delà, l'universitaire dégageait autre chose. Une prestance, une conviction. Il semblait avoir retrouvé sa dignité. Il avait mobilisé son talent d'orateur hors pair et sa crédibilité au service de sa duperie. Cette fois, ce n'était pas Denker qui l'avait abusé par ses beaux discours, mais l'inverse. Juste retour des choses. Certains mensonges ont de la noblesse.

Un souvenir s'imposa à l'esprit de Ben. Il se revit en troisième année, lors d'une séance d'études comparées. Il était assis à côté de Fanny, et Wheelan faisait travailler leur groupe autour des pires décisions de l'histoire et de ce qui avait poussé leurs auteurs à les prendre. Hannibal déclenchant l'avalanche qui allait lui coûter la moitié de son armée et son rêve d'empire ; Moctezuma confondant un conquistador espagnol avec un dieu et lui ouvrant les portes de la cité que celui-ci venait piller ; Johan de Witt bradant ce qui allait devenir l'île de Manhattan pour lui préférer le commerce de la noix de muscade ; Lord Frederick North privant la Grande-Bretagne de ses colonies américaines pour avoir tenté de les voler ; la confiance placée dans la ligne Maginot française… Les exemples étaient légion. Au terme de l'atelier, tous avaient conclu que dans la quasi-totalité des cas, ceux qui avaient fait ces choix désastreux s'étaient soit surestimés, soit avaient décidé par pur orgueil.

À l'époque, par une ironie qui trouvait tout son sens à présent, Wheelan avait cité Hitler, refusant l'hypothèse d'un débarquement massif sur les côtes françaises pourtant annoncé par ses services de renseignement. Le Führer avait écarté ce scénario décrété impossible au prétexte que personne n'oserait se lancer dans une telle opération, surtout face à sa ligne d'artillerie couvrant la totalité du littoral normand. Wheelan connaissait assez les rouages de l'âme des conquérants pour les faire jouer à son avantage.

Sur les écrans, Denker paraissait fier de figurer si près du prodige, associant sans doute à la fois l'orgueil et la surestimation de lui-même. Le professeur tenait parfaitement son rôle. Horwood regretta de ne pas avoir pu lui dire adieu autrement que d'un regard.

L'opérateur à la console annonça au micro :

— Verrouillage de la salle de lumière.

Lentement, les boucliers et les épaisses portes antiradiation se mirent en place, confinant l'enceinte. Sur les écrans, tel un champion exultant après sa médaille d'or, Denker présenta la météorite aux caméras comme un trophée. Il la déposa sur le socle central et s'inclina devant en joignant les mains.