Benjamin regarde les pétales s'éloigner sur les flots. Comme à chaque fois qu'une femme lui manque, il murmure :
— Je suis revenu pour toi. Repose en paix, Ânkhti. Ton secret est désormais le mien. Te voilà libre de retrouver tes ancêtres, relevée de ta mission. Merci de m'avoir sauvé. Merci pour Karen. Depuis mon retour, je ne rêve plus de toi, mais je ne t'oublierai jamais. À bientôt, dans ton monde ou le mien…
Il demeure immobile, recueilli. Un courant d'air l'enveloppe tout à coup, le vent semble l'enlacer puis disparaît, emportant avec lui les pétales comme une main invisible. Benjamin sourit. Il regagne la berge, pressé de retrouver Karen. Il marche vers elle, et ses pieds déchaussés se blessent sur les cailloux à chaque pas, lui donnant la démarche malhabile d'un enfant. Pour lui laisser tout le temps dont il a besoin, elle s'abstient d'aller à sa rencontre. Elle doit attendre qu'il vienne à elle.
Après avoir grogné et pesté contre l'inconfort du chemin, il l'embrasse.
— Encore en train de te plaindre.
— C'est une torture…
— De loin, ça donnait l'impression que tu avais bu.
— Tu ne t'es pas vue après l'explosion… West se fera un plaisir de te décrire.
Elle rit. Il finit par enfiler ses chaussures, respire à fond et demande :
— Que dirais-tu d'aller promener tes enfants au parc ?
Elle le regarde, interloquée.
— Ce serait sans doute très agréable, mais je n'ai pas d'enfants.
— Il y a peut-être une solution pour y remédier…
Et pour finir…
Merci de m'avoir suivi jusqu'à ces pages. Heureux de vous y retrouver. Même si le rideau tombe sur cette aventure-là, ce n'est pas encore la fin puisque le moment de notre rendez-vous dans les coulisses est venu. Je ne sais pas quelle heure il est chez vous mais là où je me trouve, c'est la pleine nuit.
Vous êtes très nombreux à me faire savoir à quel point vous appréciez ce chapitre en plus, caractéristique de mes livres. Vous n'imaginez pas combien cet espace est important. D'autant que cette fois, vous y rejoindre, au calme, constitue à mes yeux un bonheur particulier. Comme si l'on revenait ensemble d'une expédition mouvementée vers des savoirs et des paysages inédits qui m'auraient ouvert d'autres horizons. J'espère que vous avez passé un bon moment. Je n'ai pas d'autre ambition.
Cette histoire, je la porte depuis huit ans. Elle est née un petit matin de juillet 2008, sous un ciel gris ardoise, alors que j'escaladais une paroi rocheuse escarpée surplombant la mer froide, le long d'une côte perdue. Rien de vertigineux, mais bien assez impressionnant pour moi. Je courais après une image pour tenter de fixer une atmosphère précise. Cueillir ce genre d'instant n'est jamais simple. Même si les miens n'étaient pas loin, j'étais seul, coincé entre l'eau et la roche. L'odorat réveillé, la vue débordée, l'ouïe aiguisée, cramponné à la roche brute dont mes doigts agrippaient la matière râpeuse, je cherchais l'angle. C'est alors que, comme souvent, la situation vous dépasse soudain. La soif de découvrir, l'énergie du lieu, le vent et l'eau salée se sont mélangés en moi pour donner naissance à une étincelle. Je me suis trouvé arraché au présent par une idée, presque foudroyé par une scène qui s'est imposée à mon esprit. Je l'ai littéralement sentie. Une sorte de coup de foudre qui vous fait bouillir la tête, immédiatement associé au désir de vous la raconter. Ce fut un moment extraordinaire. Je l'ignorais encore à cet instant-là, mais l'intrigue allait se construire lentement autour, jusqu'à la dépasser et la digérer — paradoxalement, la situation qui m'a donné envie d'écrire ce roman n'y figure pas. Dès lors, la conjonction formée dans mon imagination m'a littéralement obsédé. Je me suis lancé dans cette histoire, avec l'espoir de vous emmener sur des sujets et dans des endroits différents, en compagnie de gens ordinaires affrontant des situations qui ne le sont pas. Tant de choses me fascinent, tant de mystères dont notre époque accaparée par le commerce parle si peu. L'avenir du monde se joue souvent sur les réactions ou les décisions de gens comme vous et moi confrontés à des choix dont l'impact prend une ampleur inattendue. La vie nous entraîne toujours plus loin que ce que l'on a imaginé. Les photos que j'ai réalisées ce jour-là ne sont pas aussi extraordinaires que ce que j'espérais, mais j'ai ramené bien mieux : une idée qui n'aurait jamais pu naître ailleurs.
Mes livres ne parlent finalement que d'individus qui se rencontrent dans l'épreuve et apprennent à s'accepter en aimant. Le plus souvent, ils le font dans un décor quotidien, face à ces péripéties que nous connaissons tous un jour ou l'autre. Mais cette fois, j'ai souhaité les placer face à d'autres enjeux. On pense souvent que pour être à la hauteur des rendez-vous de l'histoire, il faut être prédestiné, formé, ou extrêmement doué. C'est une erreur. Chacun peut se trouver un jour désigné comme le porteur du destin de ses semblables. Notre mémoire collective nous le rappelle à chaque drame, à chaque catastrophe, mais aussi à chaque victoire, à chaque espoir et à chaque découverte. N'abandonnons pas les grandes décisions à ceux qui tentent de nous faire croire — avec plus ou moins de talent ! — qu'ils sont plus compétents que nous pour les prendre. La conscience de notre espèce habite en chacun de nous. Ne laissons personne décider contre nos meilleures valeurs et s'approprier notre futur. C'est souvent ce que mes personnages découvrent, aussi bien dans leur vie de tous les jours que face à des échéances plus conséquentes. Même un roman sans prétention peut reposer sur des sentiments essentiels.
Je pensais écrire ce livre après Demain j'arrête !, mais vous m'avez plébiscité en comédie et je n'ai pas voulu perturber notre relation naissante. Alors il m'a fallu attendre, patienter en gardant pour moi-même cette envie de galoper dans ce récit-là. Avec le recul, ce fut une chance, un vrai mieux, car durant ces années, non seulement vous m'avez offert ce lien exceptionnel que je savoure chaque jour, mais j'ai aussi appris à donner une autre profondeur aux personnages en me libérant du carcan des genres. C'est ainsi qu'entre deux comédies, ce roman m'a permis de conjuguer tout ce que j'aime écrire et vivre.
Pour mener à bien l'écriture de ce Premier Miracle, j'ai effectué énormément de recherches, de voyages et rencontré des experts. C'est un aspect du travail que j'apprécie énormément parce qu'il me permet de côtoyer des passionnés et d'apprendre à leur contact. C'est un immense privilège. Pour nourrir mon texte, je me suis plongé dans de l'eau encore plus froide que celle qui m'avait inspiré, mais aussi dans des archives de toutes sortes. Plus j'avançais dans l'intrigue, plus j'étais troublé par la façon dont les éléments réels se combinaient avec ce que j'avais imaginé. À chaque étape, j'aspirais de plus en plus à partager mon enthousiasme avec vous.
Mais avant de vous en parler, je souhaite vous conter une histoire autour de l'histoire, qui vous concerne de très près…
Tout au long des années écoulées, j'ai reçu énormément de courrier de votre part. Vous m'avez spontanément écrit des lettres, vous m'avez envoyé des cartes postales pour que je puisse décorer les murs de mon antre. J'ai reçu de tout, du spectaculaire, du poétique, du bouleversant, vous m'avez fait rire, vous m'avez impressionné. Chacun de vos envois m'a ému, j'ai mis des mois à tout lire. J'en ai reçu tellement que je n'ai pas pu tout mettre en place ! L'année dernière, vous m'avez à nouveau massivement écrit pour le concours, et ce sont au total des dizaines de milliers de cartes qui me sont parvenues. Chaque message représente un élan, un signe de vous, avec votre écriture, vos mots qui vous font exister dans ma vie et me touchent. Ces gestes envers moi sont sacrés, ils sont un peu mon premier miracle ! Je n'en tire aucune fierté, seulement du bonheur et une motivation supplémentaire à donner tout ce que je peux de mieux.