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— Évidemment, vu sous cet angle…

— Monsieur Horwood, nous nous aventurons dans des contrées où le rationnel et les acquis scientifiques ne sont pas suffisants pour y voir clair. Jouez-vous au football ?

— La question peut surprendre étant donné le postulat qui la précède. Mais pour vous répondre : non, je ne pratique pas.

— Je vais quand même utiliser une image sportive simple. Nous jouons en défense, monsieur Horwood. À notre niveau, nous sommes condamnés à attendre que nos adversaires passent à l'action pour tenter de réagir. Ils ont l'initiative. Ils décident de l'heure du coup d'envoi, du terrain d'affrontement, des règles, et même du type de joueurs impliqués. De notre côté, nous essayons de comprendre leur tactique, de parer leurs offensives dont nous ignorons le but final. Comprenez-vous ?

— Vous pensez qu'une grosse partie est en train de se jouer ?

— J'en ai bien peur.

— Je suis historien, pas avant-centre. Mon job consiste surtout à expliquer le passé.

— Cette fois, il vaudrait mieux que vous nous aidiez à comprendre le présent. Car n'oubliez jamais que ce que vous étudiez dans vos grimoires, ces faits spectaculaires et dramatiques qui ont forgé la destinée de nos civilisations, ne sont pas uniquement des abstractions intellectuelles destinées à affoler l'imagination de quidams en mal de frissons devant des téléfilms. Depuis le commencement des temps, au nom d'idéaux, des hommes ont donné leur vie pour que nous puissions finalement regarder 150 chaînes en nous demandant si nous allons manger indien ou japonais. Le jeu en valait-il la chandelle ? Il ne nous appartient pas de juger, mais de permettre qu'advienne le futur dans les meilleures conditions possibles. Les peuples oublient trop souvent que nos sociétés sont le fruit de combats remportés ou perdus. Voilà bien longtemps qu'il n'y a pas eu de vrai match. L'histoire ne s'écrit pas seulement dans les livres, monsieur Horwood, et je redoute que si nous ne décryptons pas ce qui s'écrit en ce moment, la présentation qu'en feront les manuels scolaires de nos descendants ne soit pas à notre gloire.

10

L'annonce d'une découverte sur le site de la cité de Teotihuacán retient toute mon attention et mérite d'être recoupée. Contacter Eduardo à l'Universidad Nacional Autónoma de México pour assurer suivi et précisions.

Bâtie voilà plus de deux millénaires près de Mexico, cette ville comptait près de 100 000 habitants au commencement de notre ère mais fut inexplicablement abandonnée au VIIe siècle. Peut-être les chercheurs ont-ils enfin trouvé des éléments de réponse à propos de ce déclin ? Là-bas, sous la grande pyramide de Quetzalcóatl, dite du Serpent à plumes, une équipe de l'Instituto Nacional de Antropología e Historia a mis au jour par hasard, lors d'une fouille de stabilisation, un long tunnel souterrain qui s'enfonce sous l'édifice à plus de quinze mètres de profondeur. Après avoir été gardée discrète, cette trouvaille livre ses premiers résultats. L'exploration de la galerie a été compliquée par la nécessité de franchir plus de vingt murs épais de trois mètres régulièrement répartis afin de protéger l'endroit auquel elle semble conduire. Ayant d'abord envisagé qu'il pouvait s'agir d'un accès secret vers une sépulture, les scientifiques s'interrogent sur la présence dans les premières salles atteintes d'instruments de mesure, de poteries et de verreries qui ne sont destinées ni à un usage culinaire, ni au stockage. En accédant aux salles plus profondes encore, parmi des objets rituels classiques dédiés au culte du soleil et aux divinités de l'époque, l'équipe a également détecté des quantités importantes de mercure et retrouvé six masques couverts de pierres précieuses (majoritairement des émeraudes) qui pourraient être mortuaires mais dont la présence s'explique mal étant donné l'absence de corps à proximité.

— C'est intéressant ?

Ben sursauta en portant la main à son cœur.

— Bon sang ! Est-ce que vous pourriez tous arrêter de me faire peur en surgissant dans cet appartement ?

Miss Holt se défendit :

— Je n'ai pas surgi. J'ai même frappé.

— Je n'ai rien entendu et quand bien même, je ne crois pas vous avoir permis d'entrer.

— J'ai supposé que vous dormiez. Je passais simplement vous déposer de quoi vous changer.

Elle lui tendit des habits neufs.

— Je les ai moi-même choisis pour vous. Si ça vous fait plaisir, vous pourrez le raconter à votre maman.

Il se radoucit.

— Comment connaissez-vous ma taille ?

Elle fit tourner sa main comme si elle lui jetait un sort.

— Les femmes savent ce genre de choses.

Ben prit les vêtements.

— Merci. Pas vraiment mon style, mais c'est sympa.

D'un mouvement du menton, Karen désigna les nombreuses piles de feuilles de hauteur variable qui couvraient la table.

— Vous lisez les notes du professeur ?

— Je n'en suis qu'au tri. La masse est énorme. J'y ai passé une bonne partie de la nuit. Il me faudra des jours et des jours simplement pour tout ordonner. D'autant que l'on y trouve de tout. Pas évident de se repérer dans ce fatras et de saisir pourquoi il a choisi de relever certains faits. Me voilà devant un puzzle de milliers de pièces et je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il dessine au final.

— Le professeur n'en savait rien non plus.

— Vous en parliez avec lui ?

— Parfois, mais il n'était pas très bavard. Il me considérait surtout comme son garde du corps.

Ben posa la main sur un tas de dossiers empilés à part.

— J'ai aussi commencé à jeter un œil aux rapports concernant les autres affaires. Je suis loin d'avoir tout lu, mais c'est déjà assez gratiné. Vous pensez sérieusement qu'il peut exister un lien entre des événements aussi différents survenus un peu partout dans le monde ?

— Nous n'avons pas de preuve formelle, mais beaucoup d'éléments nous poussent à les relier. Avez-vous remarqué que malgré leur nombre, jamais deux de ces exactions ne se sont produites en même temps ? Comme si ceux qui les commettent passaient méthodiquement de l'une à l'autre.

— On ne joue qu'un seul coup à la fois aux échecs… Mais quelle relation établissez-vous entre un vol d'antiquité et de toile de maître chez cet industriel taïwanais assassiné et la disparition de plans ultrasecrets dans un laboratoire de recherche sur un laser expérimental à Paris ?

— Nous comptons un peu sur vous pour nous éclairer sur le fond. Sur la forme, des similitudes troublantes dans la façon de procéder et l'importance des moyens mis en œuvre nous incitent à y voir un plan global. On observe aussi de nombreux points communs dans les techniques d'usurpation d'identité qui ont permis aux voleurs de pénétrer dans des lieux ultrasécurisés. Les coupables prennent leur temps pour s'approcher de leur but et ne laissent rien au hasard. Jusque-là, le crime n'était jamais leur objectif, mais ils n'ont pas hésité à y recourir si cela s'avérait nécessaire. Ils se servent des gens et suppriment les témoins sans hésiter. Une seule fois, ils ont ciblé un individu, un archéologue espagnol, qui a été enlevé.

— A-t-il été retrouvé ?

— Pas pour le moment. Plus le temps passe, plus nous craignons pour sa vie.

— Dans le cas de Wheelan, avez-vous envisagé qu'il ait pu être victime d'autre chose qu'un accident ? Il a peut-être été éliminé…

— Vous seriez épouvanté si vous aviez idée de tout ce que nous avons la capacité d'envisager… Nous avons bien évidemment soupçonné un assassinat déguisé. C'est pourquoi une unité de la police scientifique a planché sur sa voiture pendant plus d'une semaine pendant que les légistes autopsiaient sa dépouille. Mais les expertises n'ont rien révélé de suspect. Comme quoi même les gens menacés peuvent aussi mourir bêtement…