Passé le mur qui faisait écran, Ben découvrit la salle dans son ensemble. Le caveau était circulaire, et ses murs peints montaient pour former une voûte à la forme pure. Il se tenait au cœur du gigantesque kofun, à l'endroit le plus sacré constituant à lui seul sa raison d'être. Devant le spectacle de ce lieu interdit depuis plus d'un millénaire, il éprouva une émotion que ni le chercheur ni l'homme qu'il était n'avait jamais connue. Dans la douce lumière des innombrables lampes, il embrassa du regard les trésors répartis autour de l'imposant sarcophage de l'empereur Nintoku. Devant le réceptacle de la dépouille qui y reposait toujours, les deux moines s'inclinaient régulièrement en récitant. Autour d'eux, tout était disposé comme aux derniers instants de la vie terrestre du dignitaire. Des collections entières d'objets précieux, de bijoux, trophées, armes de fer, statues de bronze et œuvres d'art. Des vases de jade sculptés, des ornements ciselés exposés sur des présentoirs comme si le défunt devait pouvoir les choisir pour s'en parer. Aucun visiteur n'était attendu dans ce lieu, ni même souhaité, mais tout y était mis en place pour que l'empereur puisse profiter de chaque bien depuis sa couche. S'y accumulaient des objets minuscules comme des bagues, et d'autres plus grands comme une paire d'épées gravées, ou même des boiseries peintes avec une incroyable finesse. La logique de mise en place n'était pas évidente, mais Ben finit par comprendre que chaque élément trouvait sa position en fonction du domaine d'activité dont il relevait — la guerre, l'intimité, le savoir, les honneurs. Leur seul point commun était une réelle perfection de réalisation.
Fasciné, Horwood s'avança sans que les moines lui prêtent la moindre attention. Il étudia l'armure de bronze doré évoquée par Nishimura. Jamais de sa carrière, même dans les plus grands musées du monde, il n'avait vu pareille pièce. La maîtrise des arrondis, la précision de l'assemblage ainsi que sa finition en faisaient un chef-d'œuvre aussi bien de conception que de réalisation.
Karen s'approcha de leur guide et souffla :
— Ce ne sont pas de simples voleurs qui ont forcé votre sanctuaire. Des pillards n'auraient jamais laissé de telles merveilles derrière eux.
— C'est également ce que je pense, lâcha l'homme. Mais quels qu'ils soient, tôt ou tard, ils paieront pour leur sacrilège.
— Connaître les raisons de leur acte ne vous intéresse pas ?
— Bien moins que de les châtier comme ils le méritent.
À chaque pas qu'il faisait dans la salle, Ben regrettait un peu plus de ne pas pouvoir prendre de photos pour son collègue en charge du Japon au British Museum. Sans être un spécialiste de l'art asiatique, il identifiait la nature de la plupart des objets exposés. Soudain, sur l'un des présentoirs, il remarqua trois empreintes laissées dans la poussière, attestant de la présence d'objets retirés. Une forme triangulaire et deux autres, fines et longues.
— C'est ici que se trouvaient les artéfacts dérobés ?
— Une structure pyramidale de bronze enserrant une sphère de quartz poli, et deux rouleaux liés à l'empereur.
À l'évocation du souverain, l'homme s'inclina en direction du sarcophage en signe de respect.
— Une boule de cristal maintenue dans une pyramide ?
— D'environ quinze centimètres d'arête. Ce cristal enserré n'était pas le bien le plus précieux qu'ait recelé ce lieu, mais il était sans nul doute le plus énigmatique. Les moines ayant réalisé l'inventaire en 1872 n'ont pas réussi à lui attribuer d'usage ou même de provenance. C'est le seul objet dans ce cas. Ils l'ont décrit comme d'une grande pureté et pouvant être admiré sous des angles différents. Ils ont également signalé l'extrême finesse des motifs ornant le support de métal, les présentant comme un étonnant mélange de symboles venus de différents horizons.
Karen observa l'empreinte laissée dans la poussière.
— En ont-ils réalisé un croquis lors de l'inventaire ? demanda-t-elle.
Nishimura réfléchit un instant avant de répondre d'une voix peu assurée :
— Pas à ma connaissance.
— Concernant les rouleaux, enchaîna Ben, les moines les ont-ils lus ?
Le représentant de l'Agence impériale semblait en proie à un conflit intérieur. Karen comprit qu'il hésitait à parler et se fit plus persuasive. Elle se redressa imperceptiblement, inclina légèrement la tête et releva les yeux pour les river à son adversaire, comme si elle se préparait à charger.
— Nous sommes ici pour vous aider, monsieur Nishimura. Nous avons fait un long chemin pour cela. Nous poursuivons le même but. Comme vous, sur tous les continents, nous sommes confrontés à des vols du même type. Si vous refusez de nous faire confiance, nous ne pourrons pas vous apporter notre concours et cela ne profitera qu'à ceux qui ont profané ce lieu.
Malgré la douceur de la voix, le ton était ferme. Ben approuva le propos d'un mouvement de tête. Il ne quittait pas Karen des yeux. Nishimura fut sans doute touché par l'argumentation, mais surtout séduit par la conviction de la jeune femme. Il hésita, puis, en se tordant les mains — un geste bien peu maîtrisé pour lui qui ne laissait paraître aucune émotion —, commença :
— Ce que je vais vous confier est de la plus haute confidentialité. Personne ne sait au juste ce que cette sépulture renferme, et cela ne doit jamais changer. C'est l'unique moyen d'éviter que ces trésors ne soient convoités.
Cette fois, Nishimura regarda chacun de ses interlocuteurs droit dans les yeux avant de poursuivre :
— Personne n'a jamais étudié les rouleaux, à part un moine lors de l'effondrement. Son commentaire est consigné dans les relevés de l'époque et se résume à peu de chose. Le premier des documents était en fait une carte représentant les contours « d'un monde qui s'étendait bien au-delà des limites de l'Empire », sur laquelle des lieux souvent étrangers à notre culture étaient matérialisés, symbolisés par de minuscules dessins figuratifs lorsqu'ils n'étaient pas nommés. La présentation qu'il en a faite fut d'abord considérée comme extravagante, mais quelques années plus tard, au tout début du XXe siècle, ce moine devenu vieux commença à montrer des troubles qui furent d'abord perçus comme des symptômes de démence. De plus en plus fréquemment, il évoquait cette carte en affirmant qu'elle situait et décrivait avec beaucoup de détails des monuments qui n'avaient pas encore été officiellement découverts sous le règne de Nintoku.
Karen et Ben se regardèrent. Nishimura ajouta :
— Autre fait troublant, ce moine s'est éteint le 11 avril 1904, le jour même où l'Américain Theodore Monroe Davis annonçait avoir découvert la tombe du seul savant qui ait jamais été inhumé avec les honneurs habituellement réservés aux pharaons, dans la vallée des Rois, en Égypte. Quelques jours plus tard, l'explorateur y a trouvé un cristal sphérique contenu dans une structure pyramidale ressemblant exactement à celui qui se trouvait ici.
Karen réagit :
— Cet objet était exposé au musée du Caire, il a été dérobé l'année dernière !
— Je l'ignorais. Les deux artéfacts jumeaux ont donc été volés.
— Nous avons des photos de celui découvert dans la vallée des Rois, nous vous les fournirons. Vous pourrez comparer avec vos croquis.
Nishimura marqua un temps avant de répondre :
— Je vous ai assuré qu'à ma connaissance, aucun n'en a été réalisé.
Karen se contenta de le fixer en souriant. Sans ambiguïté, elle lui faisait comprendre qu'elle n'était pas dupe. Ben était heureux que le regard de la jeune femme ne lui soit pas destiné. Pour mettre fin au malaise qui s'installait, il changea de sujet :