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— Que savez-vous à propos de l'autre document ?

— Il ne va pas être simple de vous l'expliquer. Je vous l'ai dit, l'empereur Nintoku — l'homme s'inclina respectueusement en direction de la dépouille — était curieux des sciences. Il s'intéressa au fonctionnement du corps, aux rythmes et aux forces animant les créatures vivantes, aux limites de notre monde… Il ne concevait le savoir que dans l'harmonie avec la nature et ses règles. Son ambition était de progresser sans transgresser. Cela se perçoit dans tous les récits qui ont été faits de sa vie. Ce second document était apparemment une synthèse de ses travaux et de ses conclusions. Il y était notamment question de la lumière sous toutes ses formes et de son influence sur la vie.

— Vos moines ont-ils réalisé une copie de ce texte durant l'inventaire ? voulut savoir Karen.

La question gêna Nishimura, mais il décida cette fois de jouer franc-jeu.

— Je ne vais pas vous mentir : il existe un duplicata. Mais, sans vouloir vous offenser, personne n'acceptera de vous laisser l'étudier.

Karen émit une sorte de grognement.

— Ceux qui ont profané votre sanctuaire possèdent désormais l'original. Ils vont se faire un plaisir de l'analyser et d'en tirer parti. En nous privant de cette source d'information première, vous leur garantissez de garder l'avantage.

— C'est un document exceptionnel, très sensible. Je n'ai moi-même jamais pu l'approcher.

— Hormis cette carte et ce compte rendu, intervint Ben, vous conservez sans doute des archives au sujet des recherches menées par votre empereur — il s'inclina maladroitement en direction du sarcophage. Tout son savoir n'était pas voué à être enfermé avec lui, ici.

— Il a transmis ce qu'il jugeait utile à ses descendants, qui ont fait de même vis-à-vis des leurs, l'érudition de chaque génération se confondant dans les progrès de la suivante. Dans la philosophie des dynasties, l'attribution de la découverte à un individu était sans importance, seul comptait le savoir obtenu. C'était une autre façon d'envisager la connaissance, non comme un témoignage de puissance ou de grandeur d'un individu, mais comme un moyen au service d'une lignée et de son peuple. L'approche était commune à beaucoup de nos dignitaires, au nom d'une quête qui unissait le spirituel et l'intellectuel sans jamais les dissocier. Je sais que chez vous, en Occident, cette façon de pratiquer la science a existé aussi et qu'elle porte un nom.

— Quel est-il ?

— L'alchimie.

15

Sur le vol de retour, Ben n'avait aucune envie de dormir.

— Vous vous rendez compte ?

Karen n'ouvrit même pas les yeux pour répondre :

— Plutôt bien.

Elle s'enroula un peu plus dans sa couverture avec l'espoir de pouvoir enfin s'assoupir. Horwood ne tenait pas en place et arpentait la cabine sans arriver à se poser.

— Ces types sont capables de frapper n'importe où dans le monde pour s'emparer de documents ou d'objets dont nous ignorons le plus souvent l'existence ! Pourquoi les veulent-ils ? Que comptent-ils en faire ? Qui a les moyens de telles opérations commando ? Et pour l'amour du ciel, comment arrivez-vous à somnoler alors qu'aucune de ces questions ne trouve de réponse ?

D'une voix à peine articulée, miss Holt marmonna :

— Voilà deux ans que je baigne nuit et jour dans ces histoires. Vous, ça fait à peine une semaine. J'espère que vous allez vous calmer parce que sinon, je vais encore être obligée de vous tirer dessus…

Ben se laissa tomber dans le fauteuil d'en face.

— Parlez-moi de la pyramide au cristal volée au Caire.

— Tout est dans le compte rendu qui vous attend sur votre table avec les autres. Bonne nuit.

— Vous n'allez quand même pas dormir maintenant ! C'est la fin de l'après-midi à Londres !

— Il est deux heures du matin au Japon. Foutez-moi la paix.

Ben grommela avant d'enchaîner :

— Karen, aidez-moi à y voir plus clair et promis, ensuite, je vous laisse tranquille pendant tout le reste du vol.

Espérant lui envoyer un signal évident, Karen remonta la couverture jusqu'au-dessus de sa tête, découvrant du même coup ses pieds. Ben ne s'arrêta pas pour autant.

— Notre gouvernement peut-il nous obtenir un accès au document sur les recherches de Nintoku auprès de l'Agence impériale ?

— On va faire la demande. On verra, lâcha-t-elle d'une voix étouffée par le molleton.

— Imaginez tout ce que l'on pourrait tirer de ce texte… Ma parole, on dirait que vous vous en moquez !

Miss Holt émergea de son cocon. Ses yeux étaient cette fois bien ouverts et fixaient Ben. L'historien recula au fond de son siège. Il redoutait soudain qu'elle ne lui décoche le même genre de regard qu'à Nishimura. Karen se redressa lentement, comme un cobra avant l'attaque.

— Vous ne me laisserez pas dormir, c'est ça ?

Ben fit une grimace, comme un môme coincé devant le pétard dont il a allumé la mèche et qui va lui exploser à la tête.

— Je suis désolé, ces enquêtes m'obsèdent… Je déteste ne pas comprendre.

— Cela vous fait un point commun avec le professeur Wheelan, mais lui ne m'empêchait pas de dormir pour autant.

— L'âge, sans doute.

— Le sien ou le mien ?

— Le sien bien sûr !

— Lui avait besoin de beaucoup réfléchir, seul, au calme.

— Moi, je ne suis jamais aussi efficace qu'en tandem… Mon institutrice l'avait déjà remarqué dès mes premières années d'école. Seul, je n'arrive pas à grand-chose.

Karen rejeta sa couverture en soupirant. Elle venait de se faire avoir par la mine de chien battu d'Horwood.

— Soit, je vous écoute.

— À quel propos ? Voulez-vous que je vous raconte mon enfance ? OK. Le truc qu'il faut savoir, c'est que tout petit déjà j'avais l'habitude de…

— Ben, je ne suis pas psy. Parlons plutôt de l'enquête puisque cela vous empêche de dormir — et moi aussi par la même occasion.

— Je me demande comment ces types réussissent à échapper aux services de renseignement. Vous êtes bien rattachés au Secret Intelligence Service… Sans rire, avec tous vos moyens de surveillance des données, les caméras, les contrôles, les traçages, ils arrivent quand même à passer les frontières, à s'introduire où ils veulent pour voler ce qui les intéresse et à repartir tranquillement pour aller se planquer on ne sait où préparer on ne sait quoi.

— Vous avez vu trop de films d'espionnage. Les services secrets n'ont pas la moitié des pouvoirs qu'on leur prête. Mais ça les arrange bien que tout le monde le croie.

— On ne sait vraiment rien de ceux qui organisent ces coups ? Vous devez bien avoir une idée…

— Quelques faits, tout au plus. Nous savons que pour les opérations les plus complexes, ils ont été six au maximum. Le plus souvent pourtant, les vols ne sont l'œuvre que d'un seul individu. Il est, semble-t-il, capable de convaincre et de séduire les esprits les plus affûtés. Il s'est toujours débrouillé pour que l'on ne puisse pas retrouver d'images de lui, encore moins d'empreintes digitales. Nous n'avons même pas idée de ce à quoi il peut ressembler. Petit, grand, de type caucasien ou autre, blond, brun… Nous n'en savons rien. Personne n'a survécu pour nous le décrire. On sait seulement que tous ses noms d'emprunt ont pour initiales « ND ». Nikolaï Drenko, Nathan Derings, Niels Debner, Nino Daelli… Cette nuit, nous avons fait un grand pas supplémentaire — sans jeu de mots — puisque l'on connaît désormais sa pointure.

— C'est ça l'avis de recherche ? Un fétichiste cramponné à ses initiales qui chausse du 44 ? Qui vous dit que ce n'est pas une femme ?