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— Ne vous souciez de rien. En cas de besoin, l'équipe du poste de garde est là.

— Comme vous voudrez.

— Bonne soirée, Donna. Inutile de faire monter Ralph, je le verrai demain matin.

Lorsque l'employée de maison et le garde du corps quittèrent la résidence, Kuolong réalisa que c'était sans doute la première fois qu'il s'y trouvait seul. Cela lui convenait. Il ne quitta son poste d'observation que lorsqu'un minuscule point lumineux fit son apparition dans le ciel. L'hélicoptère approchait.

Il descendit rapidement l'escalier et sortit accueillir son invité sans même prendre le temps d'enfiler un manteau. D'un pas volontaire, il longea la façade de son imposante maison d'architecte pour rallier les jardins de derrière. Décidément, ce soir, il se surprenait lui-même : lui qui n'aspirait qu'au silence se réjouissait du vacarme de son hélico.

En soulevant une tempête de feuilles mortes, l'engin effectua un dernier virage d'approche avant de se poser. Kuolong se protégea le visage mais ne recula pas. À peine les patins eurent-ils touché le sol que Nathan Derings ouvrit la portière et descendit. Pour un professeur d'histoire de l'art, il semblait très à l'aise en bondissant de l'appareil.

Kuolong lui tendit la main avec chaleur. Cherchant à se faire entendre malgré le bruit du rotor, il hurla :

— Bienvenue, monsieur Derings ! Merci d'avoir accepté mon invitation !

— C'est à moi de vous remercier. Vous êtes forcément très occupé. Et en plus, vous m'envoyez votre hélico !

Rapidement, les deux hommes gagnèrent la résidence. Derings rectifia sa coiffure d'un geste en découvrant le grand hall. Il remarqua immédiatement les antiquités et les tableaux.

— Vous avez réussi à faire de l'architecture l'écrin de votre goût pour l'art… C'est très impressionnant.

— Merci, monsieur Derings.

— Nathan, si vous le voulez bien.

— À condition que vous m'appeliez Wang. Je vous sers un verre ?

Le visiteur regardait avec attention une lunette astronomique ancienne exposée dans une niche spécialement aménagée. Le maître des lieux s'approcha.

— J'ai également un faible pour les outils scientifiques historiques. Je possède quelques pièces assez remarquables, dont cette lunette. C'est sans doute grâce à elle que nous connaissons aujourd'hui notre système solaire. Savoir que Johannes Kepler a peut-être compris le déplacement des planètes autour du soleil en regardant à travers elle me bouleverse. Pas vous ?

— Effectivement…

Les deux hommes montèrent au salon. Derings fut attiré par des dessins originaux de Vinci et deux sanguines de Picasso.

— Vous vivez au milieu d'œuvres aussi éclectiques qu'inestimables.

— J'en profite quelque temps, puis je les confie à des musées. J'en conserve certaines, cependant.

Kuolong passa derrière le bar et jaugea l'alignement de bouteilles qui recouvrait deux étagères. Il se retourna vers son invité, désemparé.

— J'avoue que je n'ai pas l'habitude de faire le service… J'ai donné congé à tout le monde pour que nous soyons tranquilles. Un simple bourbon vous conviendrait-il ?

— Ne vous en faites pas. Épargnons-nous les conventions inutiles. De quoi vouliez-vous donc discuter ?

Kuolong apprécia d'éviter les manœuvres d'approche. Face à son interlocuteur, il sentait qu'il pouvait — et qu'il devait — être direct, agir comme avec un homme d'affaires et non un universitaire.

— J'ai fait préparer un repas léger. Désirez-vous passer à table ?

— À vous de décider. Je suis impatient de vous entendre, monsieur Kuolong.

— Wang, s'il vous plaît.

Ils prirent place, mais aucun des deux ne souleva la cloche qui recouvrait son assiette.

— Vous l'avez compris, je consacre une bonne partie de mon temps et de mes moyens à la sauvegarde des œuvres les plus variées. À travers ma fondation, j'achète, j'expose, je prête et je finance. Je ne me considère pas comme le propriétaire de ces manifestations du génie humain, mais comme un spectateur privilégié.

— Votre collection est assurément très belle…

— Vous n'en voyez ici qu'une infime partie.

— Qu'attendez-vous de moi ?

— Je souhaiterais que nous puissions travailler ensemble. J'aimerais vous confier la direction opérationnelle de ma fondation. Nous pourrions choisir les acquisitions et organiser les expositions. J'ai les moyens de vous rémunérer à la hauteur de l'estime que je vous porte. Qu'en dites-vous ?

Alors que Kuolong s'attendait à déclencher l'enthousiasme chez son interlocuteur, il eut la désagréable surprise de ne détecter aucune réaction. Sans ciller, Derings posait simplement sur lui ce regard intense et calme qui l'avait impressionné dès le premier soir.

— C'est une très belle offre. J'en suis honoré.

— Elle ne semble cependant pas vous tenter autant que je l'espérais…

— Soyez assuré que votre proposition me touche. J'en mesure toute la générosité mais…

— Je peux vous convaincre.

— Je ne sais pas. L'argent n'a jamais été…

— Il n'est pas question d'argent. Suivez-moi.

La soirée prenait un tour inattendu, mais Kuolong savait s'adapter. Il entraîna son invité jusque dans son bureau, un beau volume à la décoration nettement plus asiatique agrémentée de peintures sur soie anciennes. Ému mais déterminé, il déclara :

— Seuls ma femme et mes enfants ont déjà vu ce que je vais vous montrer. Personne ne sait, et personne ne doit savoir. Quelle que soit votre décision, promettez-moi de garder le secret.

— Vous avez ma parole.

— J'ai confiance en vous, Nathan, et je suis convaincu que nous finirons par travailler ensemble. Si je n'en étais pas certain, je ne prendrais pas le risque de vous dévoiler cela.

Il s'approcha d'une statuette de jade représentant un dragon. Il s'inclina devant en joignant les mains puis, comme s'il lui confiait un secret, récita quelques phrases en taïwanais. Tout proche, un pan de mur s'écarta dans un glissement feutré. Un ascenseur apparut, et Kuolong invita son visiteur à y entrer avec lui. La porte se referma sur eux et la cabine se mit en mouvement.

— Je ne suis pas un amateur, Nathan, et je devine que vous non plus.

Derings ne disait pas un mot.

— Ce que vous avez vu de ma collection n'est que la partie émergée de l'iceberg. J'ai conçu l'endroit vers lequel nous descendons pour abriter ma passion. Ma réussite m'a donné les moyens d'être libre. Mais rien de ce que j'ai pu accomplir ou amasser n'approche la valeur d'un seul des prodiges que j'ai la chance de détenir. Certains hommes dépassent les autres, et ce qu'ils offrent à ce monde nous élève tous.

L'ascenseur s'immobilisa et la porte s'ouvrit sur un large couloir taillé dans la roche.

— J'ai choisi d'installer ma résidence dans cette région parce que c'est l'une des zones sismiques les plus stables du monde, et la seule située dans un pays libre. Ici, mes trésors sont à l'abri de la folie des hommes comme des colères de la nature.

Kuolong remonta le couloir jusqu'à une porte métallique massive à côté de laquelle se trouvaient un clavier et un scanner biométrique. Il composa un code d'au moins huit chiffres et posa sa main sur la surface plane.

Lentement, lourdement, le battant pivota, révélant une salle de béton brut basse de plafond qui s'étendait si loin qu'il était difficile d'en distinguer le fond. De chaque côté, sur les murs, s'étiraient des alignements de toiles dont chacune était mise en valeur par un éclairage précis.

Cette fois, Kuolong nota avec satisfaction que la maîtrise dont faisait preuve son invité ne lui avait pas suffi pour rester impassible face au spectacle qui s'étendait devant eux. D'un geste, il l'incita à pénétrer dans son sanctuaire.