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Alicia se retourna et, d’un air moqueur, détailla leur équipement de scaphandriers.

— Si vous voyiez vos têtes ! leur dit-elle sans pouvoir réprimer un éclat de rire.

Max et Roland se regardèrent à travers leurs lunettes de plongée.

— Une dernière chose, précisa Max. Je n’ai encore jamais fait ça. Je veux dire plonger. J’ai nagé dans des piscines, mais je ne suis pas sûr que je saurai…

Roland leva les yeux au ciel.

— … que tu sauras respirer sous l’eau ?

— J’ai dit que je ne savais pas plonger, pas que j’étais idiot.

— Si tu sais retenir ta respiration, tu sais plonger.

— Vas-y prudemment, lui demanda Alicia. Dis-moi, Max, tu es sûr que c’est une bonne idée ?

— Tout ira bien, assura Roland, et il se tourna vers Max pour lui taper sur l’épaule. À vous l’honneur, capitaine Nemo.

Max plongea pour la première fois de sa vie sous la surface de la mer et découvrit, ébloui, un univers de lumière et d’ombre qui dépassait tout ce qu’il avait pu imaginer. Sous l’eau, les rayons de soleil formaient des rideaux de brouillard lumineux qui ondoyaient lentement, et la surface était devenue un miroir opaque et dansant. Il retint sa respiration plusieurs secondes, puis ressortit la tête à l’air libre. Roland, à quelques mètres de lui, le surveillait attentivement.

— Tout va bien ?

Max, enthousiasmé, fit signe que oui.

— Tu vois ? C’est facile. Nage à côté de moi, recommanda Roland en replongeant.

Max jeta un dernier regard sur le rivage et vit Alicia le saluer en souriant. Il lui rendit son salut et s’empressa de nager près de son camarade, en se dirigeant vers le large. Roland le guida jusqu’à un point d’où le rivage semblait déjà lointain, même si Max savait qu’il n’était qu’à une trentaine de mètres. Au ras de l’eau, les distances s’allongeaient. Roland lui toucha le bras et désigna le fond. Max fit provision d’air et enfonça la tête dans l’eau, en ajustant les élastiques de ses lunettes. Ses yeux mirent quelques secondes à s’habituer à la faible lumière sous-marine. Alors seulement il put admirer le spectacle de la coque engloutie, couchée sur le côté et nimbée d’une clarté magique et spectrale. Le navire devait mesurer environ cinquante mètres, peut-être plus. Une profonde brèche béait de la proue à la cale arrière. La voie d’eau ouverte dans la coque ressemblait à une blessure noire et sans fond infligée par des griffes de pierre aiguisées. Sur la proue, sous une couche cuivrée de rouille et d’algues, on pouvait lire le nom du bateau : Orpheus.

À bien l’examiner, l’Orpheus semblait avoir été en son temps un vieux cargo et non un transport de passagers. L’acier fissuré de la coque était semé de petites algues, mais, comme l’avait annoncé Roland, on ne voyait aucun poisson. Depuis la surface, les deux amis parcoururent la coque, en s’arrêtant tous les six ou sept mètres pour inspecter en détail les restes du naufrage. Roland avait précisé que le bateau se trouvait à environ dix mètres de profondeur, pourtant, d’en haut, cette distance parut infinie à Max. Il se demanda comment Roland s’était débrouillé pour récupérer tous ces objets qu’ils avaient aperçus dans la cabane. Comme s’il avait lu dans ses pensées, son ami lui fit signe de l’attendre à la surface avant de s’enfoncer avec de puissants battements de palmes.

Max observa Roland qui descendait jusqu’à toucher du doigt la coque de l’Orpheus. Une fois là, en s’accrochant soigneusement aux aspérités du bateau, son ami rampa jusqu’à la plate-forme qui, en son temps, avait dû être la passerelle de commandement. De là où il était, Max pouvait distinguer, à l’intérieur, la roue de la barre et d’autres instruments. Roland nagea jusqu’à la porte de la passerelle qui était enfoncée. Max éprouva une bouffée d’inquiétude quand son ami disparut dans le bateau naufragé. Tandis que Roland nageait à l’intérieur du poste de commandement, il ne quittait pas la porte des yeux, tout en se demandant ce qu’il pourrait faire s’il arrivait quoi que ce soit Quelques secondes plus tard, Roland ressortit et remonta rapidement vers lui, semant sous ses palmes une guirlande de bulles. Max sortit la tête de l’eau et respira profondément. Le visage de Roland émergea à un mètre du sien, avec un sourire qui allait d’une oreille à l’autre.

— Une surprise ! s’exclama-t-il.

Max constata qu’il tenait quelque chose à la main.

— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit-il en désignant l’étrange objet métallique que Roland avait rapporté de la passerelle.

— Un sextant.

Max écarquilla les yeux. Il n’avait pas la moindre idée de ce dont parlait son ami.

— Un sextant est un machin dont on se sert en mer pour calculer sa position, expliqua ce dernier, d’une voix entrecoupée après l’effort qu’il avait dû faire pour retenir sa respiration durant presque une minute. Je vais redescendre. Garde-le en attendant.

Max voulut articuler une protestation, mais Roland avait déjà replongé sans même lui donner le temps d’ouvrir la bouche. Il inspira profondément et remit sa tête sous l’eau pour suivre des yeux la descente de son ami. Cette fois, celui-ci nagea le long de la coque pour atteindre la poupe du bateau. Max battit des palmes pour accompagner sa trajectoire. Il vit Roland s’approcher d’un hublot et tenter de regarder à l’intérieur. Il contint sa respiration jusqu’à ce que ses poumons le brûlent puis expulsa tout l’air, prêt à ressortir la tête pour respirer.

Pourtant, dans cette dernière seconde, ses yeux découvrirent une vision qui lui glaça les sangs. Dans les ténèbres sous-marines, un vieux pavillon pourri et déchiqueté ondoyait, accroché à un mât à l’arrière de l’Orpheus. Il l’observa intensément et reconnut le symbole presque effacé que l’on pouvait encore y distinguer : une étoile à six branches dans un cercle. Un frisson parcourut tout son corps. Il avait vu cette étoile sur la grille du jardin des statues.

Le sextant de Roland lui échappa des mains et s’enfonça dans l’obscurité. En proie à une peur indéfinissable, Max nagea de toutes ses forces vers le rivage.

Une demi-heure plus tard, assis à l’ombre de l’auvent de la cabane, Roland et Max observaient Alicia qui ramassait des coquillages parmi les galets du rivage.

— Max, tu es sûr d’avoir déjà vu ce symbole ?

Max confirma.

— Parfois, sous l’eau, les choses prennent l’aspect de ce qu’elles ne sont pas, commença Roland.

— Je sais que je l’ai vu. Tu me crois ?

— Je te crois. Tu as vu un symbole qui, d’après toi, se trouve aussi dans une espèce de cimetière situé derrière votre maison. Et alors ?

Max se leva et fit face à son ami.

— Et alors ? Tu veux que je te répète encore toute l’histoire ?

Il avait employé les vingt-cinq dernières minutes à expliquer à Roland tout ce qu’il avait vu dans le jardin des statues, ainsi que sur le film de Jacob Fleischmann.

— Ce n’est pas nécessaire, rétorqua sèchement Roland.

— Alors, comment peux-tu ne pas me croire ? Tu penses que j’ai tout inventé ?

— Je n’ai pas dit que je ne te croyais pas, Max, dit Roland en adressant un léger sourire à Alicia qui revenait du rivage avec un petit sac plein de coquillages. Tu es contente de ta cueillette ?

— Cette plage est un musée, répondit Alicia en faisant tinter le contenu du sac.

Max, impatient, prit un air exaspéré.

— Donc, tu me crois ? coupa-t-il en plantant son regard dans celui de Roland.

Son ami lui rendit non regard et resta quelques instants silencieux.

— Je te crois, Max, murmura-t-il en reportant les yeux sur l’horizon, sans pouvoir dissimuler l’ombre de tristesse qui passait sur sa figure.

Alicia perçut ce changement d’expression.