— Mon Dieu, murmura pour elle-même la mère de Max en calculant les tonnes de poussière qu’il faudrait enlever.
— Une merveille, s’empressa d’expliquer Maximilian Carver. Je vous l’avais bien dit.
Max croisa le regard de résignation de sa sœur Alicia. La petite Irina examinait, abasourdie, l’intérieur. Avant qu’aucun membre de la famille ait pu prononcer un mot, le chat sauta de ses bras et, avec un puissant miaulement, se lança dans l’escalier.
Une seconde plus tard, suivant son exemple, Maximilian Carver entra dans le nouveau domicile familial.
Max crut entendre murmurer Alicia :
— Au moins, il y a quelqu’un à qui ça plaît.
La première chose que la mère ordonna de faire fut d’ouvrir rituellement portes et fenêtres en grand pour ventiler la maison. Puis, cinq heures durant, toute la famille s’employa à rendre son nouveau foyer habitable. Avec la précision d’une armée de métier, chaque membre se chargea d’une tâche concrète. Alicia prépara les chambres et les lits. Irina, plumeau en main, fit sauter des bastilles de poussière hors de leurs recoins et Max, dans son sillage, s’occupa de la recueillir. Pendant ce temps, leur mère répartissait les bagages et prenait mentalement note de tous les travaux qu’il faudrait rapidement entreprendre. Maximilian Carver consacra ses efforts à la tuyauterie, la lumière et autres appareils mécaniques pour obtenir qu’ils se remettent à fonctionner après une léthargie de plusieurs années, ce qui ne s’avéra pas facile.
Finalement, la famille se réunit sous le porche et, tous assis sur les marches de leur nouvelle demeure, ils s’accordèrent un repos mérité, tout en admirant la teinte dorée que prenait l’océan avec la chute du jour.
— Ça suffit pour aujourd’hui, concéda Maximilian Carver, couvert des pieds à la tête de suie et de résidus mystérieux.
— Quelques semaines de travail, et la maison commencera à devenir habitable, ajouta la mère.
— Dans les chambres d’en haut, il y a des araignées, annonça Alicia. Énormes.
— Des araignées ? Ouah ! s’exclama Irina. Et à quoi elles ressemblent ?
— À toi, rétorqua Alicia.
— Vous n’allez pas recommencer, d’accord ? coupa leur mère en se frottant le nez. Max les tuera.
— Pas besoin de les tuer, suggéra l’horloger. Il suffit de les capturer et de les transporter dans le jardin.
— C’est toujours sur moi que tombent les missions héroïques, murmura Max. Est-ce que l’extermination ne peut pas attendre jusqu’à demain ?
— Alicia ? intercéda la mère.
— Je n’ai pas l’intention de dormir dans une chambre pleine d’araignées et de Dieu sait quelles autres bestioles en liberté.
— Pauvre idiote ! proféra Irina.
— Monstre ! répliqua Alicia.
— Max, dit Maximilian Carver d’une voix lasse, occupe-toi des araignées avant que la guerre commence.
— Est-ce que je les tue ou est-ce que je les menace seulement ? Je peux leur arracher une patte… suggéra Max.
— Max, supplia sa mère.
Il s’étira et pénétra à l’intérieur, bien décidé à en découdre avec les précédents locataires. Il emprunta l’escalier qui conduisait à l’étage où se trouvaient les chambres. Du haut de la dernière marche, les yeux brillants du chat d’Irina l’observaient fixement, sans ciller.
Max passa devant le félin qui semblait monter la garde comme une sentinelle. Dès qu’il se dirigea vers une des chambres, le chat lui emboîta le pas.
Le plancher grinçait faiblement sous ses pieds. Max commença la chasse et la capture des arachnides par les chambres qui donnaient au sud-ouest. Des fenêtres, on pouvait voir la plage et la trajectoire déclinante du soleil proche de l’horizon. Il examina le sol avec soin, à la recherche de petits êtres velus et baladeurs. Après la séance de nettoyage, le plancher était relativement propre, et il mit plusieurs minutes à dénicher le premier membre de la famille araignée. D’un coin de la pièce, il repéra une araignée d’une taille impressionnante qui avançait directement sur lui, comme s’il s’agissait de l’hercule de service envoyé par son espèce pour le faire changer d’idée. L’insecte devait mesurer près d’un centimètre et demi et avait huit pattes, avec une tache dorée sur son corps noir.
Max tendit la main vers un balai qui reposait contre le mur pour catapulter l’insecte dans une vie meilleure. « C’est parfaitement ridicule », pensa-t-il, tout en manipulant silencieusement le balai comme une arme porteuse de mort. Il était en train de calculer le coup mortel quand, soudain, le chat d’Irina se jeta sur l’insecte et, ouvrant grand sa gueule de lion miniature, avala l’araignée et la mastiqua puissamment. Max lâcha le balai et, interdit, fixa le chat, qui lui renvoya un regard dépourvu d’aménité.
— Eh bien, ça alors ! murmura-t-il. Sacré matou !
L’animal avala l’araignée et sortit de la chambre, probablement en quête de quelques parents ou alliés de son premier apéritif. Max alla à la fenêtre. Sa famille était toujours sous le porche. Alicia lui adressa un regard comminatoire.
— À ta place, je ne m’inquiéterais pas, Alicia. Je ne crois pas que tu verras d’autres araignées.
— Assure-toi bien qu’il n’en reste pas, insista Maximilian Carver.
Max acquiesça et se dirigea vers les chambres situées dans la partie postérieure de la maison et qui donnaient sur le nord-est.
Il entendit le chat miauler à proximité et supposa qu’une autre araignée était tombée dans les griffes du félin exterminateur. De ce côté, les chambres étaient plus petites que celles de la façade principale. D’une fenêtre, il contempla le panorama : la maison avait une petite cour où se dressait une remise susceptible d’abriter des meubles et même un véhicule. Un grand arbre dont la cime dominait les mansardes du grenier s’élevait au centre de la cour et, à sa taille, Max imagina qu’il devait être là depuis plus de deux cents ans.
Derrière la cour, limitée par la clôture qui entourait la maison, s’étendait un champ d’herbes folles et, cent mètres plus loin, s’étalait un petit enclos formé par un mur de pierres blanchâtres. La végétation avait envahi le lieu, le transformant en une petite jungle d’où émergeaient ce qui parut à Max être des silhouettes : des formes humaines. Les dernières lueurs du jour tombaient sur la campagne et il dut forcer sa vue. C’était un jardin abandonné. Un jardin avec des statues. Il contempla, hypnotisé, l’étrange spectacle des statues prisonnières dans cette enceinte qui rappelait un petit cimetière de village. Un portail à barreaux métalliques en forme de lances, fermé par des chaînes, permettait d’accéder à l’intérieur. En haut des barreaux, Max distingua un écusson composé d’une étoile à six branches. Au loin, au-delà du jardin des statues, la lisière d’un bois touffu semblait se prolonger sur des kilomètres.
— As-tu fait des découvertes ? – La voix de sa mère derrière lui l’arracha à cette vision. – Nous pensions que les araignées avaient eu raison de toi.
— Tu savais que, juste derrière, près du bois, il y a un jardin avec des statues ?
Max indiqua l’enceinte de pierre et sa mère se mit à la fenêtre.
— La nuit tombe. Ton père et moi, nous allons au village chercher de quoi manger, au moins jusqu’à demain, en attendant d’acheter des provisions. Vous restez seuls. Surveille Irina.
Max acquiesça. Sa mère posa un léger baiser sur sa joue et regagna l’escalier. Max fixa de nouveau les yeux sur le jardin des statues, dont les silhouettes se fondaient lentement dans la brume du crépuscule. La brise avait commencé à fraîchir. Il ferma la fenêtre et s’apprêta à faire de même dans les autres chambres. La petite Irina le rejoignit dans le couloir.