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C’était oppressant de tristesse. Au bout d’un quart d’heure la voiture ralentit à la hauteur des maisons d’une petite bourgade et d’un panneau indiquant « Palmiry ». La Fiat s’engagea à gauche de la route dans un sentier gelé. Très vite, les champs enneigés firent place à une forêt dense, aux arbres dépouillés. Il n’y avait plus un chat. La voiture parcourut environ deux kilomètres, tourna à gauche, dans un autre sentier. Cahotant de plus en plus sur le sol gelé. Cette fois, c’était une certitude : ils n’étaient pas suivis. Le nouveau sentier était bordé d’un côté de barbelés parsemés à intervalles réguliers d’écriteaux que Malko ne parvint pas à lire.

Puis il y eut un nouveau virage, sur la droite cette fois. Encore cent mètres. La Polski stoppa.

— Descendez, dit Jerzy.

Ils en firent tous autant. Le froid était abominable. À perte de vue on ne voyait qu’arbres et broussailles gelés. À gauche s’ouvrait un sentier encore plus étroit, mais carrossable pour une voiture. Pourtant Jerzy s’y engagea d’un pas ferme. Il se retourna vers Malko :

— Venez, ce n’est pas loin.

À la queue leu leu, ils s’enfoncèrent entre les arbres. Pas un bruit, à part celui de leurs pas. À gauche, Malko vit de nouveau les barbelés. Le sentier faisait un coude à gauche. Malko aperçut une voiture qui stationnait. Les glaces couvertes de buée empêchaient d’en distinguer l’intérieur. Il était transi et ne comprenait plus. À quoi rimait cette marche dans les bois ? Comme s’il avait deviné ses pensées, Jerzy qui marchait devant lui se retourna :

— Nous sommes arrivés. Maryla nous attend. Suivez-moi.

Ils contournèrent la voiture dont le moteur tournait. Jerzy s’engagea dans un nouveau sentier qui se terminait en impasse trente mètres plus loin, avec une barrière rouge et blanche. Dans le jour qui diminuait, Malko aperçut devant la barrière ce qui lui sembla être un bonhomme de neige. Il s’approcha encore et s’arrêta, pétrifié d’horreur.

Ce n’était pas un bonhomme de neige mais une femme entièrement nue, debout sur ses jambes écartées, les bras dressés au-dessus de sa tête, comme si elle les adjurait de faire demi-tour.

Gelée. Blanche avec des traces bleues tirant sur le noir. Les traits gonflés mais quand même reconnaissables. Ceux de Maryla Nowicka, la gynécologue. Les yeux étaient ouverts, exorbités, éclatés sous le froid. Malko serra les poings au fond de ses poches. Pourquoi ne lui avaient-ils rien dit !

Il se retourna. Jerzy le fixait avec une haine incroyable.

— Vous avez vu ce qu’ont fait vos amis ! dit le jeune Polonais d’une voix étranglée par la colère et la douleur. Vous avez vu !

— Mes amis… commença Malko.

Il ne put pas continuer. Une voix de femme éclata derrière lui.

— To ou ! To ou ! Dran[42].

Une femme courait vers lui maladroitement, engoncée dans un gros manteau, la tête émergeant d’une sorte de couronne blanche lui enserrant le cou. Malko ne vit que les yeux bleus, brillants de haine de Wanda Michnik. Derrière elle, un grand barbu courait aussi, serrant dans le creux de son coude un fusil de chasse de gros calibre.

Il s’approcha de Malko, les yeux fous. Pivotant de tout son corps, il lui assena un coup de crosse en plein visage. Tout explosa en une lueur éblouissante.

Chapitre XVI

Le rat enfonça ses dents aiguës dans la muqueuse fragile tapissant l’intérieur des narines de Malko. Il hurla sous la douleur insoutenable, secoua désespérément la tête pour se débarrasser du rongeur. En vain. Il voulut porter ses mains à son visage pour faire tomber l’animal, mais ses mains étaient prises dans un bloc de glace. Il essaya alors de parler gentiment au rat. Sans succès. Au contraire, le rat planta ses dents encore plus haut, vers les sinus. La douleur devint si intense que Malko poussa un hurlement dément.

— Ça y est, il se réveille, le salaud ! fit en écho une voix de femme.

Malko ouvrit les yeux. D’abord, il ne vit que des contours flous. Puis une sorte de soucoupe volante blanche surmontée d’une tignasse blonde. Il lui fallut plus d’une minute pour reconnaître les cheveux blonds de Wanda Michnik. La jeune femme avait les traits émaciés, d’énormes poches sous ses yeux bleus. La « soucoupe volante » était une minerve blanche qui disparaissait sous son chemisier. L’expression de ses yeux ne laissait aucun doute à Malko. Elle mourait d’envie de le tuer et brandissait un objet bizarre dans la main droite. La brûlure continuait dans ses narines, comme un fer rouge. Ce n’était donc pas un rêve.

Il eut une brusque nausée et vomit un jet de bile. Essayant de se dégager, il réalisa qu’il était étroitement ligoté avec du fil électrique, sur un massif fauteuil de bois. Les mains derrière le dos et les jambes aux pieds du fauteuil. Il fut pris d’une quinte de toux effroyable qui dura plusieurs minutes. Il suffoquait avec l’impression que l’intérieur de ses sinus et de sa gorge s’arrachait. Il réussit enfin à se reprendre et à voir où il se trouvait. Une pièce avec des murs en bois comme un chalet. Un poêle était allumé et une radio déversait de la musique folklorique polonaise. Une demi-douzaine d’hommes se tenaient dans la pièce. Ceux de la voiture plus des visages inconnus de Malko. Jerzy, qui avait ôté sa canadienne, vint se planter devant Malko.

— Tu sais pourquoi on t’a amené ici demanda-t-il en polonais.

— Je crois que vous faites une erreur tragique, dit Malko.

Jerzy le gifla de toutes ses forces.

— Silence ! Nous voulons savoir qui a assassiné notre camarade, Maryla. Pour châtier ses assassins…

— Comment voulez-vous que je le sache ! Il faut demander cela au S.B., dit Malko, essayant de ne pas perdre son sang-froid. Je suis votre ami, pas…

— Et Roman Ziolek est un communiste, hein ? hurla Wanda Michnik d’une voix à la limite de l’hystérie.

Malko avait l’impression que s’il avait dit « non », elle se serait calmée. Mais il ne le pouvait pas.

— Oui, dit-il. Il va tous vous entraîner à votre perte.

— Oh, l’immonde salaud, fit Wanda Michnik. Il faut lui faire cracher la vérité. Qu’il donne des noms. Laissez-moi continuer !

Il y eut un silence pesant. Malko commençait à se demander s’il n’était pas en plein cauchemar. Après avoir échappé au S.B., il était menacé de mort par ceux-là même qu’il voulait aider. Un fait lui semblait de très mauvais augure. La bande de Jerzy le prenait pour un sbire du S.B. Or, aucun n’avait pris la peine de se dissimuler le visage. Comme s’ils étaient certains qu’il ne pourrait pas les identifier par la suite…

— Nous voulons les noms des assassins de Maryla, répéta Jerzy. Tu nous les donnes ?

Comme Malko ne répondait pas, le jeune Polonais passa derrière lui, le prit par les cheveux et lui rejeta la tête en arrière.

Aussitôt Wanda Michnik se pencha vers lui, brandissant son espèce de burette dont elle enfonça brutalement l’extrémité dans sa narine gauche. Malko vit sa main se crisper sur la partie la plus renflée de la burette. Aussitôt, il sentit un liquide glacial et brûlant à la fois glisser le long de ses muqueuses, avec une odeur horriblement âcre.

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C'est lui. C'est lui, ce salaud !