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— Montrez-moi cette photo ? demanda-t-il.

Jerzy tira de son portefeuille une petite photo 6x9 jaunie et écornée et la tendit à Malko sans mot dire. Celui-ci l’examina. Elle avait été prise d’assez près et on distinguait nettement les traits de sept personnes alignées en rang d’oignons. Six hommes et une femme. Il retourna la photo. Une croix avait été tracée à l’encre, en face du troisième personnage en partant de la gauche, un homme de haute taille, au visage anguleux et aux cheveux ébouriffés. Souriant.

— C’est lui ?

— C’est lui, dit Jerzy. J’ai montré cette photo à quelqu’un qui a connu ce temps-là. Il en a reconnu trois. Dont la femme.

— Qui est la femme ?

— Maryzia Rutkiewicz, dit Jerzy. Une des fondatrices du parti ouvrier polonais.

Malko fixa de nouveau la photo. C’était étonnant de penser que ce petit rectangle de papier glacé représentait un aussi lourd secret… D’un geste naturel, il mit la photo dans sa poche. Jerzy et Wanda Michnik ne bronchèrent pas. Il toussa, la trachée-artère en feu, de nouveau. Les autres s’écartèrent de lui, comme si c’était un pestiféré. Maintenant qu’il avait cette photo dans la poche, il ne tenait plus en place.

— Quand me ramenez-vous ? demanda-t-il.

— Maintenant, fit Jerzy de mauvaise grâce.

Pour la première fois depuis que Malko était à Varsovie, le ciel était bleu.

La campagne enneigée en semblait moins sinistre. La Polski doubla un énorme camion et se rabattit brutalement. Jerzy conduisait nerveusement. Malko se trouvait à l’arrière entre Wanda et un de ses gardiens. Il avait l’impression d’avoir rêvé. Dans quelques minutes, ils seraient à Varsovie. Pas un mot n’avait été échangé depuis le départ de la cabane. Il n’avait pas voulu demander ce qu’était devenue la dépouille mortelle de Maryla Nowicka. Mais il ne pouvait pas quitter Jerzy et ses amis ainsi. Il se tourna vers Wanda Michnik qui somnolait, épuisée de fatigue.

— Qu’allez-vous faire, maintenant ?

Elle sursauta, le regarda sans comprendre.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous continuez à croire en Roman Ziolek ?

— Oui.

— Malgré la photo ? insista Malko.

Cette fois, Jerzy se retourna et faillit les envoyer dans le fossé gelé.

— Écoutez, dit-il avec agacement. Nous sommes assez grands pour savoir ce que nous voulons. Peut-être que Roman a été communiste, mais il ne l’est plus. C’est ce qui nous importe. Nous allons vous laisser à Varsovie. N’essayez plus de nous contacter, c’est inutile. Dites aux gens qui travaillent avec vous que Ziolek est notre seul espoir et qu’il ne faut pas le détruire. Ce serait une mauvaise action. Pour ma part, je continue à croire qu’il est sincère. Mais je sais que vos intentions étaient bonnes, ajouta-t-il, comme à regret.

Tacitement, personne n’avait plus mentionné « l’exécution ».

Le silence retomba. Les premières usines de la banlieue nord apparurent sur la droite. Malko se sentait amer et frustré. Tant de risques pour arriver à cela… Tant que Roman Ziolek aurait des partisans aussi aveugles, ce qu’il pourrait faire ne servirait pas à grand-chose… Et il risquait de tomber de Charybde en Scylla en arrivant à Varsovie. Le S.B. ne restait sûrement pas inactif. Même si, au départ, ses premiers contacts avec Halina étaient passés inaperçus, ils allaient se demander ce qu’il faisait.

La meilleure chance de Malko était la certitude des services polonais qu’il ne pouvait quitter le pays facilement. Donc, ils pouvaient se permettre d’agir en douceur. Mais cela ne durerait pas. À un moment, ils frapperaient… La première chose était de mettre la photo en lieu sûr. D’un œil distrait, il regarda défiler la banlieue avec ses usines et ses immenses clapiers sinistres. La circulation était plus dense, beaucoup de camions.

Jerzy se retourna.

— Où voulez-vous que l’on vous dépose ?

— Dans le centre, dit Malko.

Dix minutes plus tard, la Polski s’arrêta en face de l’hôtel Europejski, dans Krakowskie Przedmiescie. Malko ouvrit la portière et descendit. Presque heureux de retrouver les grands immeubles gris, les trams rouges et la foule en chapka. Il n’eut même pas le temps de dire au revoir. Jerzy avait déjà redémarré. L’air froid le fit tousser, lui rappelant ce qu’il venait de subir.

Forçant sa fatigue, il se mit en route vers l’ambassade américaine.

Chapitre XVII

Le coup frappé à la porte de la « cage » de verre suspendue par ses câbles d’acier dans le sous-sol de l’ambassade américaine arracha Malko à sa somnolence. Il réalisa avec incrédulité qu’il s’était endormi sur le siège inconfortable. La bouche pâteuse, les poumons en feu, les yeux gonflés de sommeil, courbatu, il se maintenait éveillé par un miracle de volonté.

Un homme en blouse blanche attendait que Cyrus Miller déclenche l’ouverture de la porte. Le chef de station de la C.I.A. appuya sur le bouton. Le spécialiste photo entra dans la cage et déposa sur la table deux tirages 4x5 pouces. Les agrandissements obtenus à partir du document remis par Malko une heure plus tôt. Cyrus Miller avait occupé le délai à fouiller dans les dossiers du parti ouvrier polonais et à faire cracher aux ordinateurs tout ce qu’ils savaient. Il étala la photo sur la table et sortit les documents de référence de son dossier. Le ronronnement des déflecteurs électroniques achevait d’engourdir Malko comme si un poids énorme pesait sur sa nuque. Le silence se prolongea plusieurs minutes. Malko en profita pour achever de vider la bouteille de Perrier qu’il s’était fait apporter.

— C’est intéressant ? demanda Malko, irrité par le silence de l’Américain. Cyrus Miller releva la tête et dit d’une voix extasiée :

— Ils sont tous là ! Marceli Novotko, le premier secrétaire du parti ouvrier polonais. Molojec, son adjoint. Finder, Starzecki, Katin et Maryzia Rutkieswisz… Le noyau du parti ouvrier polonais… Plus notre ami Roman Ziolek…

Malko eut envie de s’endormir sur place. Maintenant, plus rien ne pouvait arriver. Il resterait des traces. La C.I.A. avait tout le dossier. Y compris le nom d’Halina. Cyrus Miller envoya une grande tape dans le dos de Malko.

— Bravo ! dit-il. Je ne pensais jamais que vous réussiriez. Maintenant, comment allons-nous exploiter cet extraordinaire document ? On pourrait en faire un tract et le distribuer partout… Vous êtes sûr que la bande de Jerzy ne se laissera pas convaincre ? C’est pourtant eux les plus importants…

Malko secoua la tête.

— Pas avec ce que nous avons. Il faut confondre Roman Ziolek d’une façon plus précise, plus publique, qu’il n’y ait aucun doute dans l’esprit de ceux qui le suivent.

Les deux hommes se regardèrent, pensant tous les deux à la même chose.

— Vous pensez qu’elle accepterait ?

— J’en doute, fit Malko. D’ailleurs, je ne vois pas comment on pourrait les mettre en contact. Il faut des témoins…

— Il faut agir vite. Les autres aussi cherchent. S’ils trouvent Halina, ils vont la supprimer et notre position sera moins forte.

Malko le savait. Sans une obstination désespérée, tous ses efforts auraient été vains. Mais, avant tout, il fallait dormir, se reposer. Avoir l’esprit clair. À peine sorti de l’ambassade, il allait jouer au chat et à la souris avec les barbouzes du S.B. S’ils sortaient leurs griffes, il était perdu.

— Regardez, dit Cyrus Miller qui continuait à feuilleter son dossier.

Il lui tendit une photo. Roman Ziolek.

Le Polonais avait peu changé : pas grossi, moins de cheveux, tous blancs, mais la découpe du visage était restée la même. Malko s’attarda devant le document, le représentant encadré par des miliciens l’emmenant à la prison de Kakoviecka.