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Halina se raidit imperceptiblement en apercevant Malko. Elle était habillée exactement de la même façon que la première fois. Le pantalon gris, le même pull noir. Malko attendit que l’acheteuse de babas se soit éloignée. Une lueur de soulagement passa dans les yeux marron de Halina.

— Ils vous ont relâché ?

— Oui, dit Malko. Sans vous, ils me tuaient. Pendant que nous parlons, donnez-moi du caviar. Je suis sûrement suivi.

Sans se troubler, Halina ouvrit le réfrigérateur où elle gardait son caviar et en sortit plusieurs petites boîtes. Elle avait les mains rouges et les ongles très courts. Sans regarder Malko, elle lui demanda :

— Pourquoi êtes-vous revenu ? C’est dangereux.

— Je sais, dit Malko. Mais je suis confronté à un problème inattendu. Ce que vous avez fait ne sert à rien. Ils ne veulent pas me croire.

Halina hocha la tête.

— Oui, c’est vrai, ils me l’ont dit. Ils sont très naïfs. Ils ne savent pas comment fonctionne le système. Moi aussi, j’ai du mal à le croire, mais j’ai eu du mal aussi quand j’ai vu la liste, il y a trente ans…

Elle enveloppait les pots de caviar lentement, pour se donner le temps de parler. Malko se jeta à l’eau :

— Dans quatre jours, Roman Ziolek tient une réunion avec un groupe important de dissidents, dit-il.

Halina s’arrêta d’envelopper le caviar. Elle regarda Malko avec un sourire incrédule.

— Vous voudriez que je vienne !

Malko soutint son regard.

— Je ne peux pas vous le demander, étant donné les conséquences que cela aura pour vous. Mais des centaines de vies sont en jeu. Des gens qui risquent d’être tués, persécutés, emprisonnés. Vous savez comment cela se passe dans ce pays. Si vous disiez en face à Roman Ziolek ce qu’il est, je pense qu’ils vous croiraient.

Halina avait fini d’envelopper le caviar. Elle tendit le paquet à Malko.

— Cela fait 35 dollars.

Malko se fouilla. Sortit quatre billets de dix. En dépit de son calme apparent, il devinait la tempête intérieure qui agitait Halina. Brusquement, elle paraissait son âge. Ses traits s’étaient tirés. Elle fouilla dans la poche de son pantalon pour rendre la monnaie. Malko prit les zlotys et leurs regards se croisèrent.

— Vous êtes sûr que Roman sera là ?

— Certain.

Deux femmes assez bien habillées attendaient patiemment. La queue était une coutume nationale en Pologne. Mais Malko ne pouvait pas s’éterniser. Halina dut le sentir.

— À quelle heure est cette réunion ?

— À six heures à Zelazowa. Lundi.

— Si je décide de venir, je vous attendrai à quatre heures à la cafétéria Bazyliszek, sur le Rynek, dit Halina. Maintenant, partez.

Elle se tourna vers les deux acheteuses et leur demanda ce qu’elles voulaient. Malko s’éloigna à travers la foule. C’était plus qu’il n’avait espéré, mais loin d’être une certitude.

Il était obligé de faire comme si… Quitte à échouer à la dernière seconde. Seulement l’opération qu’il projetait était trop complexe pour souffrir la moindre improvisation. Il ne restait plus qu’à mettre en place le deuxième volet.

* * *

La nuit était tombée depuis longtemps et Malko se traînait littéralement, mais, avant d’aller se coucher, il voulait tenter de verrouiller le plus de choses possible. Il venait d’avoir une entrevue d’une heure avec le chef de station de la C.I.A. Pour régler un de ses problèmes les plus cruciaux : le retour à l’Ouest. Sans certitude, il avait avancé.

Ce qui pouvait se révéler insuffisant…

Il accéléra le pas pour se réchauffer un peu. Le Krakovia n’était plus qu’à cinquante mètres. Sans qu’aucun signe tangible permette de le vérifier, il sentait que l’étau se resserrait autour de lui. Ses allées et venues n’échappaient pas au S.B. Tout dépendait de l’agent qui menait l’affaire. De son caractère. Si c’était un joueur, il allait laisser Malko tirer sur la corde jusqu’au bout. Si c’était un bureaucrate, il ne prendrait pas de risque et utiliserait des méthodes moins subtiles.

Il poussa la porte du Krakovia et abandonna son manteau à l’inévitable vestiaire. Il y avait autant de monde que la première fois.

Des jeunes, chevelus et barbus comme des contestataires de l’Ouest, refaisant le monde autour de chopes de Zywiec. Malko alla jusqu’au fond de la salle sans voir ceux qu’il cherchait. Déçu, il récupéra son manteau et ressortit dans le froid. Il fallait qu’il dorme au moins quelques heures. En se hâtant vers le Victoria, distant de plus d’un kilomètre, au milieu de la foule animée de Krakowskie Przedmiescie, il se souvint d’une phrase de Wanda, lors de leur première rencontre. Tout leur groupe se réunissait souvent le soir au Krokodyl. Sur le Rynek, dans la vieille ville. S’il avait le courage, il ressortirait.

Pour l’instant, il rêvait à son lit comme un chien rêve à un os.

* * *

Deux miliciens en kaki, talkie-walkie à la ceinture, veillaient dans le couloir menant au Krokodyl. Malko passa devant eux et s’engagea dans l’escalier raide donnant accès au restaurant.

Gelé. Son taxi l’avait largué sur Podwale et les deux cents mètres parcourus en courant avaient suffi à le frigorifier. Un roulement de cymbales le fit sursauter, tandis qu’il donnait son manteau au vestiaire situé à mi-niveau. On se serait cru dans un cirque. Il descendit les dernières marches, pénétrant dans une salle au plafond voûté de briques rouges, et s’arrêta net.

Une croupe nue, blanche et cambrée, ondulait à quelques centimètres de lui.

Elle appartenait à une blonde assez plantureuse qui n’était plus vêtue que de ses escarpins. Le reste de ses vêtements en petit tas à ses pieds… Faisant tournoyer au bout de sa main droite un vieux soutien-gorge rouge, elle saluait la salle de coups de hanche rythmés par les cymbales.

Une strip-teaseuse nationalisée.

Après un dernier coup de reins à l’intention d’une grande table où s’entassaient une vingtaine de jeunes barbus dans un nuage de haschich, la strip-teaseuse ramassa ses vêtements, fit demi-tour et se jeta pratiquement dans les bras de Malko. Elle avait une bonne tête joufflue de paysanne, une grosse poitrine et le ventre rond. S’excusant d’un sourire, elle s’engouffra dans l’escalier.

Malko s’avança dans la salle. Toutes les tables étaient occupées. Surtout des jeunes. À droite, pourtant, une fille seule, en bleu, les cheveux blonds très courts. Son regard enveloppa Malko comme une caresse.

Une pute.

On pensait aussi aux touristes…

Malko continua son exploration d’un coup d’œil.

Personne. À gauche non plus.

Trois garçons bavardaient près de l’orchestre, sans s’occuper de lui. Le Krokodyl était nationalisé et ils attendaient paisiblement l’heure de la fermeture, sans voir les mains désespérées qui s’agitaient vers eux. Un pianiste à tête de boxeur attaqua le massacre d’un blues, suivi partiellement par l’orchestre. Malko s’engagea dans un petit couloir filant vers les cuisines. Il avait aperçu une porte.

Il s’arrêta devant. C’était une toute petite salle, presque un box, avec une grande table et deux bancs. Le visage anguleux de Jerzy se figea en voyant Malko. Wanda Michnik était assise à sa droite, et le reste des bancs était occupé par des visages inconnus de Malko. Jerzy se leva.

Un silence glacial avait accueilli Malko. Il pénétra d’autorité dans la petite salle, poussa un des consommateurs et s’assit presque en face de Jerzy.