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De loin, Malko vit un des miliciens jeter sa longue matraque entre les jambes du jeune Polonais qui perdit l’équilibre. Aussitôt, un autre lui assena de toutes ses forces un coup de matraque sur la tête. Jerzy tomba à plat ventre, lâchant son sabre qu’un autre milicien balaya d’un coup de botte.

Ils se ruèrent à la curée. C’était à qui frapperait le plus fort. Le bruit mat du bois faisant éclater les chairs, brisant les os, écrasant les reins. Wanda se boucha les oreilles tandis que les miliciens s’acharnaient à coups de pied, à coups de leurs longues matraques. Jerzy ne bougeait plus depuis les premiers coups… Parfois, deux matraques se cognaient et cela faisait un bruit plus clair… C’était insoutenable, abominable.

Du pied, un des miliciens retourna le corps inerte et abattit sa matraque en travers du visage. Jerzy n’était plus qu’une bouillie innommable. Le son des coups avait changé, d’ailleurs. Enfin, les miliciens s’arrêtèrent, parlant entre eux. Malko tira Wanda. Tétanisée, la jeune femme se laissa faire. Ils glissèrent le long du mur sombre, parvinrent à l’autre côté, pour s’arrêter net. Un cordon de miliciens coupait la route. Avec des projecteurs portatifs. Pas question de passer. Malko revint sur ses pas, tirant Wanda. Ils trouvèrent une porte vitrée, fermée à clef. D’un coup de crosse du Tokarev, Malko brisa une vitre et tourna la poignée de l’intérieur.

La chaleur leur fit du bien, mais Wanda tremblait comme une feuille, encore sous le coup de l’horrible spectacle. Malko la garda contre lui. Le temps passait. S’ils n’étaient pas sortis de Zelazowa dans dix minutes, ils risquaient de ne jamais sortir de Pologne.

— Il faut essayer de partir d’ici, dit-il.

Wanda Michnik se laissa pousser docilement en avant. Ils débouchèrent dans un petit hall très chaud et très enfumé où une douzaine de personnes se bousculaient : des partisans de Roman Ziolek, affolés, traqués par les miliciens. À gauche il aperçut une salle à manger, mais personne ne s’y trouvait. Un civil en manteau de cuir fit signe impérieusement à Malko et à Wanda.

— Allez dehors, vite. Un policier.

Ils durent obéir. Dès qu’ils furent dehors, ils se retrouvèrent cernés par des miliciens aux visages mauvais qui poussaient tout le monde vers les deux bus. Le groupe des cinq miliciens revenait, tirant le corps de Jerzy au bout d’une corde comme une charogne. Wanda détourna la tête et vomit.

Malko, la main serrée sur la crosse du Tokarev, guettait le danger. Les miliciens étaient débordés et pas assez nombreux. Il baissa les yeux vers sa Seiko-Quartz. L’aiguille des secondes avançait avec une régularité lancinante. La marge diminuait entre la liberté et la mort.

Poussant Wanda devant lui, il se dirigea vers le premier bus. Un milicien les aperçut et leur cria :

— Pas celui-là, il est plein, l’autre !

Malko fit comme s’il n’avait pas entendu, et continua. Le milicien cria encore, mais il avait autre chose à faire. Effectivement, le bus était bondé. Malko poussa les gens à coups d’épaule, parvint à insinuer Wanda et lui au milieu des visages hagards, assommés. Tous ceux qui étaient là savaient qu’ils allaient se retrouver en prison, soumis à des vexations plus ou moins graves. Les portes se refermèrent avec un chuintement hydraulique. Le chauffeur était un milicien.

Malko échangea un regard avec Wanda. Il se pencha à son oreille.

— Pour le moment, nous allons vers Varsovie, c’est le principal.

Malko se glissa derrière le chauffeur. Il aperçut les feux rouges d’un autre véhicule devant : un fourgon gris de la Milicja.

Cela n’allait pas lui faciliter la tâche.

Wanda s’appuya contre lui et se mit à pleurer silencieusement. Dans sa poche, Malko sentait la lourde masse du Tokarev. Il était encore libre de son destin.

La route était rectiligne, déserte, le bus roulait à 70 à l’heure sans secousses. Les gens somnolaient à cause du chauffage mis à fond. Ils traversèrent Leszno sans ralentir, continuant vers Varsovie par la route secondaire. Malko avait encore trente minutes de calme avant d’agir. Il essaya de maintenir son esprit éveillé tandis que le bus roulait dans la campagne enneigée. Les premières maisons des faubourgs neufs de Varsovie apparurent. Puis quelques usines. Malko se raidit. Bientôt, les points de repère qu’il avait mémorisés allaient apparaître.

Le bus ralentit pour franchir un passage à niveau. Premier repère. Un kilomètre plus loin, il y en avait un second.

Le bus le franchit à son tour. Maintenant, ils étaient dans Varsovie. La route de Leszno se transforma en une avenue à deux voies avec un peu plus de circulation. Cinq cents mètres plus loin, il y avait un feu au croisement avec l’avenue Towarowa.

Le bus stoppa ; trois voitures derrière le feu qui était au rouge. Écartant les passagers, Malko s’approcha encore du chauffeur du bus. Le fourgon gris de la Milicja était le premier arrêté au feu.

Le feu passa au vert. Le fourgon démarra. Le chauffeur du bus relâcha son pied du frein. Au même moment, il sentit quelque chose de rond et de froid s’enfoncer dans son cou. Il tourna la tête pour se retrouver nez à nez avec le Tokarev. Derrière il y avait les yeux dorés de Malko, froids et décidés.

— Skrec na prawo,[45] dit Malko en polonais. Dans Towarowa.

Comme le chauffeur ne démarrait pas, pétrifié, des voitures klaxonnèrent derrière lui. Le fourgon de la Milicja avait déjà franchi le carrefour, continuant vers le centre. Malko accentua la pression de l’arme. Le chauffeur démarra enfin. Pour ne laisser rien au hasard, Malko se pencha en avant et commença à tourner lui-même le volant vers la droite.

Le chauffeur termina la manœuvre. Ils étaient dans Towarowa. Personne ne s’était aperçu de rien, sauf les voisins les plus proches de Malko qui n’en croyaient pas leurs yeux.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? fit le chauffeur, retrouvant son sang-froid.

Malko lui agita le canon de l’arme sous le nez.

— Cela veut dire que si tu ne vas pas très vite, tu prends une balle dans la tête.

L’autre accéléra de mauvaise grâce. Par chance, ils arrivèrent sur le carrefour quand le feu était au vert et le franchirent de justesse. Trois cents mètres devant il y avait la place Zawiski, un grand carrefour de cinq voies. Le fonçait dessus à 70 à l’heure. Malko se pencha pour apercevoir le rétroviseur et sentit son estomac se serrer. Le fourgon de la Milicja était derrière eux.

Cette fois, le feu était au rouge, mais il y avait un espace sur la gauche, en montant sur le terre-plein central. Malko enfonça pratiquement le Tokarev dans les narines du chauffeur.

— Passe au rouge, dit-il, et prends la route de Cracovie. Cette fois, le chauffeur n’hésita pas. Les roues gauches mordirent sur le terre-plein, le bus tout entier tressauta, le chauffeur écrasa le Klaxon, mit pleins phares et fonça dans le carrefour.

Heureusement, il n’y avait pas trop de circulation. Ils passèrent et s’engagèrent dans une avenue similaire filant vers le sud. La route de Cracovie.

Derrière, le fourgon de la Milicja s’était faufilé aussi. La voix monstrueuse de ses haut-parleurs éclata derrière eux.

— Plus vite, dit Malko. Plus vite.

Ils avaient encore une dizaine de kilomètres à parcourir jusqu’à Okecie. Rien ne se passa pendant deux ou trois kilomètres, puis, un passage à niveau apparut. En train de se fermer, Malko secoua le chauffeur.

— Vite, vite. Passe !

Le bus franchit les rails au moment où la barrière retombait. Un convoi de marchandises était prêt à s’engager. Le fourgon de la Milicja stoppa net devant la barrière baissée. Malko décida de profiter de ce court répit.

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45

Tourne à droite.