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Une fois entrés, nous nous rendîmes dans le cabinet de toilette. Nous y trouvâmes Fritz qui, tout habillé, dormait sur un sofa. Notre arrivée le tira de son sommeil, et, avec un cri joyeux, il se jeta à genoux devant moi.

«Dieu soit loué, Sire! Dieu soit loué! vous êtes sain et sauf», criait-il, prenant ma main pour la baiser.

Le vieux Sapt se frappa la cuisse d’un air enchanté.

«Bravo! mon garçon, bravo! Allons, ça marchera.»

Fritz leva les yeux, étonné.

«Vous êtes blessé, Sire! s’écria-t-il.

– Seulement une égratignure… mais…»

Je m’arrêtai. Fritz se releva et, me tenant toujours par la main, m’examina des pieds à la tête. Puis, tout à coup, il recula.

«Où est le roi? Où est le roi? demanda-t-il.

– Chut! chut! Vous êtes fou, siffla Sapt, pas si haut! N’est-ce pas là le roi?»

Quelqu’un frappait à la porte. Sapt me saisit par le poignet.

«Vite, vite, dans votre chambre. Enlevez vos bottes, fourrez-vous dans votre lit.»

Je fis ce qu’il m’ordonnait. Quelques moments plus tard, Sapt, entrouvrant la porte, introduisait un jeune seigneur qui, s’inclinant fort bas, s’approcha de mon lit, et m’informa qu’il appartenait à la maison de la princesse Flavie, que Son Altesse l’avait envoyé pour s’enquérir de la santé de Sa Majesté.

«Mes plus sincères remerciements à ma belle cousine, répondis-je, et dites à Son Altesse Royale que je ne me suis jamais mieux porté de ma vie.

– Le roi, ajouta le vieux Sapt qui, j’ai le regret de le dire, avait du goût pour le mensonge, a dormi d’un somme toute la nuit.»

Le jeune gentilhomme sortit en faisant force saluts. La comédie était jouée. Le visage décomposé de Fritz von Tarlenheim nous rappela bien vite au sentiment de la réalité.

«Est-ce que le roi est mort? demanda-t-il, d’une voix étranglée.

– Non, Dieu merci! répondis-je. Mais il est aux mains du duc Noir.»

VIII En rivalité avec le duc de Strelsau

Si la vie d’un vrai roi n’est point une sinécure, je puis certifier que celle d’un pseudo-roi n’en est pas une non plus.

Le lendemain, dans la matinée, pendant plus de trois heures, Sapt me fit la leçon, m’expliquant ce que je devais savoir; puis vint le déjeuner en tête à tête avec Sapt, où j’appris que le roi ne prenait jamais que du vin blanc et détestait la cuisine épicée.

Après le déjeuner, entrevue avec le chancelier, qui dura également trois heures; je lui expliquai que la blessure de mon doigt (cette balle nous fut d’un grand secours) m’empêchait d’écrire. Grand trouble du digne chancelier! Que faire? Impossible de se passer de la signature royale. À là fin, à force de chercher, on finit par découvrir un précédent. Et il fut décidé que je mettrais une croix au bas des actes, laquelle serait solennellement certifiée par le chancelier. Pour finir, visite de l’ambassadeur de France. Mon ignorance du cérémonial était ici de peu d’importance, le roi n’étant guère plus instruit que moi dans cet ordre de choses. Quel soupir de soulagement je poussai quand je me retrouvai seul à la fin de la journée! Je sonnai mon domestique et me fis apporter un verre de soda, déclarant à Sapt que j’aspirais à un peu de repos. Fritz von Tarlenheim, qui était là, leva les bras au ciel.

«Du repos! mais nous avons déjà perdu un temps précieux! Nous devrions, à l’heure qu’il est, nous être débarrassés de Michel.

– Tout doux, mon fils, reprit Sapt, fronçant les sourcils. Ce serait certainement une grande jouissance, mais elle pourrait nous coûter cher. Michel, avant de tomber, aurait soin de faire périr le roi: il ne le laisserait pas vivant.

– Tant que le roi est ici, repris-je, qu’il est à Strelsau sur son trône, quel grief peut-il y avoir contre son cher frère Michel?

– Alors, nous n’allons rien faire?

– Nous n’allons rien faire de maladroit, dit Sapt.

– Notre situation, repris-je, a cela de particulier que la vie de l’un répond de la vie de l’autre, et, qu’ennemis jurés, nous sommes par intérêt personnel forcés de nous ménager l’un l’autre. Je ne peux risquer la vie de Michel sans exposer la mienne.

– Et le roi? interrompit Sapt.

– Michel se perd s’il essaye de me perdre.

– Très joli! fit le vieux Sapt.

– Si je suis reconnu, continuai-je alors, je n’hésite pas, j’avoue tout et je me bats avec le duc; mais, pour le moment, j’attends qu’il me donne le signal.

– Trois des Six sont à Strelsau, reprit Fritz.

– Non, dit Sapt.

– Je vous affirme que trois des Six sont à Strelsau.

– Trois seulement, vous en êtes sûr? interrogea Sapt vivement.

– Absolument sûr.

– Alors le roi est vivant, et les trois autres sont de garde auprès de lui? s’écria Sapt.

– C’est évident! dit Fritz, dont le visage s’illumina. Si le roi était mort et enterré, ils seraient tous ici auprès de Michel.

– De grâce, messieurs, interrompis-je, apprenez-moi quels sont ces mystérieux Six?

– Je ne doute pas que vous ne fassiez promptement leur connaissance, dit Sapt. Ce sont six individus de la maison de Michel, qui lui appartiennent corps et âme: trois Ruritaniens, un Français, un Belge et un compatriote à vous. Tous sont prêts à tuer et à se faire tuer pour Michel.

– Peut-être serai-je celui-là, fis-je.

– Rien de plus vraisemblable, acquiesça Sapt. Quels sont les trois qui sont ici?

– De Gautel, Bersonin et Detchard.

– Les étrangers! C’est clair comme de l’eau de roche. Le duc les a amenés avec lui, et a laissé les Ruritaniens auprès du roi. Il veut compromettre les Ruritaniens autant que possible.

– Ils ne se trouvaient pas parmi les amis auxquels nous avons dit un mot au pavillon? demandai-je.

– Plût à Dieu qu’ils y eussent été! reprit Sapt. Au lieu de six, ils ne seraient plus que quatre!»

J’avais déjà développé en moi un attribut de la royauté: le sentiment que je ne devais pas révéler mes idées ni mes desseins secrets même à mes plus intimes amis. Mon plan était parfaitement arrêté. Je voulais me rendre aussi populaire que possible et en même temps ne pas témoigner de mauvaise grâce à Michel. De cette façon, j’espérais calmer l’hostilité de ses adhérents et lui donner, au cas où un conflit surviendrait, non pas le rôle d’une victime, mais celui d’un ingrat.

Je ne désirais pas toutefois voir éclater entre nous les hostilités; il était de l’intérêt du roi que le secret fût gardé le plus longtemps possible. Tant qu’il le serait, j’avais beau jeu à Strelsau. La situation, en se prolongeant, affaiblissait Michel.

Dans l’après-midi, il me prit fantaisie de sortir à cheval, et, accompagné par Fritz von Tarlenheim, je fis le tour de la nouvelle avenue du Parc-Royal en rendant avec la plus scrupuleuse politesse tous les saluts qui m’étaient adressés. Alors je passai à travers quelques rues, et m’arrêtai pour acheter des fleurs à une jeune marchande que je payai d’une pièce d’or; puis, ayant, comme je le souhaitais, attiré l’attention de la foule (plus de cinq cents personnes me suivaient), je me dirigeai vers le palais qu’occupait la princesse Flavie et fis demander si elle pouvait me recevoir.