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Cette démarche surexcita fort l’enthousiasme de mon bon peuple, qui m’acclama. La princesse était très populaire, et le chancelier, l’austère chancelier lui-même, ne s’était pas fait scrupule de me dire que, plus je ferais à la princesse une cour assidue, plus tôt je l’amènerais à une heureuse conclusion, plus je gagnerais l’affection de mes sujets. Le chancelier, naturellement, ne se rendait pas compte des difficultés qu’il y avait pour moi à suivre son loyal et excellent conseil. Toutefois je pensais que, professionnellement, il n’y aurait à cela aucun mal; et, dans ce dessein, Fritz m’appuya avec une cordialité qui me surprit un peu jusqu’au moment où il me confessa qu’il avait des raisons particulières pour désirer aller au palais de la princesse, raisons qui n’étaient autres qu’un sentiment qu’il avait voué à une demoiselle d’honneur, amie intime de la princesse, la comtesse Helga von Straszin.

L’étiquette favorisa les espérances de Fritz: tandis qu’on m’introduisait dans la chambre de la princesse, il put rester dans la salle d’attente avec la comtesse: en dépit des gens et des domestiques disséminés çà et là, je ne doute pas qu’ils purent se ménager un tête-à-tête; mais je n’avais guère le loisir de m’occuper d’eux, car j’étais arrivé à l’un des passages les plus délicats et les plus épineux du rôle difficile que j’avais accepté. Il fallait me rendre la princesse favorable et elle ne devait pas m’aimer; il fallait lui témoigner de l’affection et ne point en ressentir. Je fis un grand effort afin d’être à la hauteur de la situation, situation que ne rendit pas moins embarrassante le trouble charmant avec lequel la princesse me reçut. On verra plus loin si je m’acquittai bien de mon rôle.

«Voilà que vous gagnez des lauriers d’or maintenant, fit-elle. Vous êtes comme le prince Henry, de Shakespeare, que le fait d’être roi transforme… Mais pardonnez-moi, Sire, j’oubliais que je parle au roi.

– Je vous supplie de ne me dire que ce que vous dicte votre cœur et de ne m’appeler jamais que par mon nom!»

Elle me regarda un moment.

«Eh bien! soit, reprit-elle; je suis heureuse et fière, Rodolphe. En vérité, tout est changé en vous, jusqu’à l’expression de votre visage.»

J’acquiesçai à son dire; mais, le sujet me paraissant scabreux, j’essayai une diversion.

«Mon frère est de retour, à ce que j’ai entendu dire. Il était en déplacement, paraît-il.

– Oui, il est revenu, répondit-elle, en fronçant légèrement les sourcils.

– Il ne peut jamais rester longtemps éloigné de Strelsau, remarquai-je en souriant. Sur ma foi, nous sommes tous ravis de le voir. Plus nous le sentons près de nous, plus nous sommes heureux.

– Comment cela, cousin? Serait-ce parce que vous pouvez plus facilement…

– Savoir ce qui l’occupe? Peut-être bien, cousine. Et vous, pourquoi êtes-vous contente?

– Je n’ai pas dit que je fusse contente, répondit-elle.

– On le dit pour vous.

– Les gens qui disent cela sont des insolents, riposta-t-elle avec une délicieuse arrogance.

– Et croyez-vous que je sois de ceux-là?

– Ce serait faire injure à Votre Majesté, dit-elle avec une révérence ironiquement respectueuse; puis elle ajouta, malicieusement, après une pause: À moins que…

– À moins que?…

– À moins que Votre Majesté ne s’imagine que je suis préoccupée de savoir où est le duc de Strelsau, quand je ne m’en soucie pas plus que de cela…»

Et elle fit gentiment claquer ses doigts. Que n’aurais-je donné pour être le roi!

«Vous ne vous inquiétez pas de savoir où est votre cousin Michel?

– Mon cousin Michel?… Je l’appelle le duc de Strelsau.

– Pourtant vous l’appelez Michel quand vous le rencontrez.

– Oui, pour obéir aux ordres de votre frère.

– Et maintenant pour obéir aux miens.

– Si telle est votre volonté.

– Sans nul doute. Nous devons tous nous appliquer à plaire à notre bien-aimé frère Michel.

– M’ordonnerez-vous aussi de recevoir ses amis?

– Les Six?

– C’est ainsi que vous les appelez, vous aussi?

– Pour être à la mode, il le faut bien. Mais ma volonté est que vous ne receviez que les gens qu’il vous plaît de recevoir.

– Sauf vous-même…

– En ce qui me concerne, je vous en prie: je ne puis pas l’ordonner…»

Comme je parlais, une clameur s’éleva dans la rue. La princesse courut à la fenêtre.

«C’est lui! s’écria-t-elle. C’est le duc de Strelsau!»

Je souris sans rien dire. La princesse se rassit et, pendant quelques instants, nous restâmes silencieux. Le bruit au-dehors avait cessé; mais j’entendais un brouhaha, des allées et venues dans le salon d’attente. Je me mis à parler de choses et d’autres. La conversation s’animait, et je commençais à me demander ce qu’avait bien pu devenir Michel lorsque tout à coup, à ma grande surprise, Flavie, joignant les mains, s’écria d’une voix troublée:

«Est-ce sage de l’exaspérer, de le mettre en colère?

– Quoi? qui mettre en colère? en quoi faisant?

– Mais en le faisant attendre.

– Ma chère cousine, je n’ai aucune envie de le faire attendre.

– En ce cas, faut-il le faire entrer?

– Mais sans doute, si tel est votre désir.»

Elle me jeta un regard étonné.

«Vous êtes étrange, fit-elle; vous savez bien qu’on ne fait jamais entrer personne quand vous êtes auprès de moi.»

Délicieux attribut de la royauté!

«J’approuve fort cette étiquette, m’écriai-je, mais je l’avais totalement oubliée… Et si j’étais seul avec une autre personne, n’auriez-vous pas, vous, le droit d’entrer?

– Pourquoi me demander ce que vous savez mieux que moi? Moi, je puis toujours entrer, étant du même sang.»

Elle me regardait de plus en plus étonnée.

«Jamais je n’ai pu me mettre dans la tête ces règles stupides, fis-je, pestant intérieurement contre Fritz, qui avait oublié de me mettre au courant. Mais je vais réparer mon erreur.»

Je m’élançai, ouvris la porte toute grande et m’avançai dans le salon d’attente.

Michel, assis devant une table, avait l’air sombre. Toutes les autres personnes présentes étaient debout, sauf cet impertinent de Fritz, qui restait assis sur un fauteuil, flirtant avec la comtesse Helga.

Il se leva précipitamment quand j’entrai, ce qui souligna d’une façon plus marquée son attitude précédente. Je compris pourquoi le duc n’aimait pas Fritz.

Je m’avançai, tendant la main à mon bon frère. Il la prit, et je l’embrassai. Puis je l’entraînai dans le salon particulier de la princesse.

«Frère, dis-je, si j’avais su que vous fussiez ici, vous n’eussiez pas attendu une minute; j’aurais tout de suite demandé à la princesse la permission de vous introduire auprès d’elle.»

Il me remercia avec froideur. Le duc était un homme supérieur, mais il ne savait pas dissimuler ses sentiments.