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Elle ne répondit pas.

«Quoi! vous n’êtes même pas touchée par la pensée de ce danger?»

Comme elle ne me répondait pas, je m’approchai doucement et vis qu’elle avait les yeux pleins de larmes.

«Vous pleurez à la pensée du danger que je vais courir!»

Alors, elle, d’une voix très basse:

«Vous étiez ainsi autrefois, je vous reconnais. Mais ce n’est pas le roi, ce n’est pas ce roi-là que j’aime!

– Oh! ma bien-aimée, m’écriai-je alors, oubliant tout ce qui n’était pas elle, avez-vous pu croire un instant que je vous quittais pour aller chasser?

– Pourquoi donc, alors? Rodolphe…, vous n’allez pas?…

– Je vais forcer Michel dans son repaire.»

Elle était devenue très pâle.

«Vous voyez que mes torts n’étaient pas aussi graves qu’ils le paraissaient, et puis, je ne serai pas longtemps absent.

– Vous m’écrirez, Rodolphe?»

Faiblesse, lâcheté, c’est possible; mais je ne pouvais trouver le courage de dire un mot qui la mît en éveil.

«Je vous enverrai tout mon cœur, chaque matin.

– Et vous ne vous exposerez pas?

– Pas plus qu’il ne sera nécessaire.

– Et quand reviendrez-vous? Ah! que le temps va me sembler long!

– Quand je reviendrai?…»

Je répétai machinalement ces mots.

«Oui. Oh! ne soyez pas trop long! Je ne pourrai dormir avant que vous soyez de retour.

– Je ne sais quand je pourrai revenir.

– Oh! bientôt, Rodolphe, bientôt…

– Dieu seul le sait. Mais si je ne devais pas revenir…

– Chut!

– Si je ne devais pas revenir, murmurai-je, vous prendriez ma place. Vous êtes la seule héritière des Elphberg. Vous régnerez en Ruritanie. Il faudrait régner et ne pas me pleurer.»

Elle se redressa fière, en vraie reine.

«Oui, oui, dit-elle, ne craignez rien. Je régnerai. Je ferai mon devoir, ma vie fût-elle brisée, mon cœur mort. Soyez tranquille, ayez confiance en moi.»

Puis, s’arrêtant, elle pleura doucement, en répétant:

«Oh! revenez, revenez vite!»

Je m’écriai sans réfléchir:

«Eh bien! oui, je le jure, je vous reverrai une fois avant de mourir!

– Que voulez-vous dire?» fit-elle, étonnée.

Mais je ne pouvais lui répondre, et elle me regarda longtemps. Ses grands yeux étaient pleins de questions. Je n’osais pas la supplier de m’oublier, c’eût été l’offenser: les âmes comme la sienne n’oublient pas. Et comment lui dire, en cet instant, qui j’étais?

Elle pleurait, je ne pouvais qu’essuyer ses larmes!

«Comment un homme ne reviendrait-il pas à la femme la plus digne qu’il y ait au monde? m’exclamai-je. Mille ducs noirs ne sauraient me garder loin de vous!»

Elle me sourit, un peu réconfortée.

«Vous ne laisserez pas Michel vous faire mal?

– Ne craignez rien.

– Ou vous retenir loin de moi?

– Soyez tranquille, aimée.

– Ni lui, ni personne?» Et je répondis encore:

«Soyez tranquille, aimée.»

Et cependant il y avait un homme – et ce n’était pas Michel – qui, s’il était vivant, devait forcément me séparer d’elle, et c’était pour cet homme que j’allais risquer ma vie! Sa silhouette, la silhouette légère et fuyante de celui que j’avais rencontré dans les bois de Zenda, la masse inerte que j’avais laissée dans la cave du pavillon de chasse, m’apparaissait tour à tour sous cette double forme, se glissait entre nous…

XII Premières escarmouches

À environ cinq milles de Zenda, vis-à-vis de la colline où s’élève le château, s’étend une large zone boisée. Le mouvement du terrain est très rapide, et, tout en haut, se dresse un beau château moderne, qui appartient à un parent éloigné de Fritz, le comte Stanislas von Tarlenheim. Le comte Stanislas, un érudit et un sauvage, habite rarement son château, et, sur la requête de Fritz, il avait sollicité l’honneur de nous offrir l’hospitalité à moi et à ma suite. Notre expédition avait donc pour but ostensible le château du comte Stanislas et pour raison d’être, ainsi que nous nous étions empressés de le proclamer très haut, une chasse au sanglier, car les bois y étaient soigneusement gardés, et les sangliers, autrefois fort communs dans toute la Ruritanie, s’y rencontraient en hardes nombreuses. En réalité, ce séjour nous convenait parce que nous devenions ainsi les voisins du duc de Strelsau dont la splendide propriété se trouve de l’autre côté de la ville. Un nombreux domestique, avec chevaux et bagages, partit de bonne heure le matin; nous les suivîmes vers midi, empruntant le train sur une trentaine de milles, après quoi nous parcourûmes à cheval la distance qui nous séparait du château.

Nous formions un groupe avantageux. En dehors de Sapt et de Fritz, j’étais accompagné de dix gentilshommes, qui tous avaient été soigneusement choisis parmi les plus passionnément dévoués à la cause du roi, et non moins soigneusement sondés par mes deux amis.

On leur dévoila une partie de la vérité dans le but d’exciter leur indignation contre Michel; on leur conta l’attentat du pavillon, dont j’avais failli être victime. On leur dit aussi qu’on soupçonnait un ami du roi d’être retenu contre son gré au château de Zenda. Sa délivrance était un des objets de l’expédition; mais, ajoutait-on, le principal désir du roi était de prendre contre son frère, dont la trahison était manifeste, certaines mesures au sujet desquelles on ne pouvait pas s’étendre davantage pour l’instant.

Mais il suffisait que le roi eût besoin d’eux; ils étaient prêts à obéir. Jeunes, bien nés, bien élevés, dévoués, ils ne demandaient qu’à se battre pour leur souverain.

C’est ainsi que de Strelsau la scène de l’action principale se trouva transportée au château de Tarlenheim et au château de Zenda, qui nous faisait grise mine de l’autre côté de la vallée.

Quant à moi, je faisais les efforts les plus grands pour changer le cours de mes pensées et tendre toute mon énergie vers le but que je m’étais proposé: arracher le roi des mains de son ennemi, le faire sortir vivant du château. Pour arriver à mes fins, il ne fallait pas songer à employer la force; si nous devions réussir, ce ne pouvait être que par ruse. J’avais déjà quelques idées sur ce qu’il serait bon de faire; mais j’étais horriblement gêné par le bruit que causait le moindre de mes mouvements. À l’heure qu’il est, Michel devait être au courant, et je le connaissais trop pour penser qu’il pût croire à la chasse au sanglier. Il devinait immédiatement quelle était la proie qui nous attirait à Zenda. Mais qu’y faire? Il fallait en courir la chance, car Sapt, aussi bien que moi, avait reconnu que la situation actuelle devenait insoutenable et ne pouvait se prolonger.

Je tablais aussi sur ceci (j’ai su depuis que je ne m’étais pas trompé), que le duc Noir ne pourrait pas croire que j’eusse l’intention d’agir loyalement envers le roi. Il était incapable de comprendre, je ne dirai pas un honnête homme – mes pensées intimes, que j’ai révélées, ne me donnent pas le droit, hélas! de prétendre à ce titre – mais de croire qu’un homme pût agir honnêtement. Il savait bien quel parti je pouvais tirer de la situation; il l’avait vu comme moi, comme Sapt. Il connaissait la princesse, et (en vérité, je sentais pour lui quelque pitié) il l’aimait à sa façon; il ne doutait pas non plus que le dévouement de Sapt et de Fritz pût s’acheter à condition qu’on y mît le prix. S’il raisonnait ainsi, il n’était pas vraisemblable qu’il songeât à faire mourir son rival, la seule arme qu’il eût contre moi. Il n’eût cependant pas hésité à s’en débarrasser; il l’eût tué comme un rat, si seulement il eût pu se débarrasser auparavant de Rodolphe Rassendyll, et ce n’était que la certitude d’être absolument frustré de tout espoir d’arriver au trône par la réapparition du roi et sa restauration qui pouvait le décider à jeter l’atout qu’il tenait en réserve pour contrarier le jeu de cet imprudent imposteur de Rassendyll. Je réfléchissais à tout cela le long de la route, et je reprenais courage.