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– Les chasses sont terminées, pourtant?

– Oui, Sire, mais il est occupé à la maison.

– Comment, Jean fait office de fille de chambre?» La petite avait une envie folle de bavarder.

«Que voulez-vous? Il n’y a pas une femme dans la maison, du moins parmi les serviteurs. On dit, mais ce n’est peut-être pas vrai, Sire…

– Nous prendrons le commérage pour ce qu’il vaut: on dit?…

– En vérité, Sire, j’ai honte de vous répéter ce que l’on dit.

– Prenez courage, voyez, nous n’avons pas l’air bien terribles.

– On dit qu’il y a une grande dame au palais, mais qu’il n’y a pas d’autre femme. C’est Jean qui fait le service de ces messieurs.

– Pauvre Jean! Il doit être surmené. Il me semble pourtant que, s’il le voulait bien, il pourrait trouver une demi-heure pour venir vous voir.

– Cela dépendrait de l’heure, Sire.

– L’aimez-vous? demandai-je.

– Moi, Sire? bien sûr que non.

– Mais vous êtes dévouée au roi, et vous ne demandez pas mieux que de le servir?

– Oui, Sire.

– En ce cas, donnez rendez-vous à Jean pour demain soir, dix heures, au second kilomètre, sur la route de Zenda. Dites-lui que vous y serez, et que vous comptez qu’il vous ramènera à la maison.

– Vous ne lui voulez pas de mal, Sire?

– Non, il ne lui arrivera rien s’il fait ce qu’on lui dit. Mais en voilà assez, ma mie. Exécutez mes ordres, et prenez garde que personne ne sache que le roi est venu ici.»

Je parlais d’un ton sévère, mais je pris soin d’adoucir l’effet de mon observation en me montrant fort généreux.

Après quoi, nous dînâmes, et, m’emmitouflant de nouveau, Fritz ouvrant la marche, nous descendîmes et reprîmes nos chevaux.

Il n’était guère plus de huit heures et demie lorsque nous nous remîmes en route; il faisait encore jour; les rues regorgeaient de monde; les gens, sur le pas de leurs portes, parlaient avec animation. Avec le roi d’un côté et le duc Noir de l’autre, Zenda semblait véritablement être le centre de toute la Ruritanie.

Nous traversâmes la ville au pas; dès que nous fûmes en pleine campagne, nous prîmes une allure plus vive.

«Vous voulez attraper ce Jean? demanda Fritz.

– Oui, et je crois que j’ai bien amorcé mon hameçon. Il ne suffit pas, mon cher, de n’avoir pas de femmes dans la maison, bien qu’en prenant cette précaution notre frère témoigne d’un commencement de sagesse; pour être absolument en sûreté, il faudrait n’en avoir pas à cinquante milles à la ronde.»

Nous atteignîmes l’avenue du château; bientôt nous fûmes en vue de l’habitation.

En entendant résonner sur le sable le pas de nos chevaux, Sapt s’élança.

«Dieu soit loué! cria-t-il; vous voilà sains et saufs. Les avez-vous rencontrés?

– Qui cela?» demandai-je en descendant de cheval. Il nous attira de côté, afin que les grooms ne pussent entendre notre conversation.

«Mon enfant, me dit-il, il ne faut pas aller et venir par ici sans une bonne escorte. Vous connaissez Bernenstein, un beau garçon tout jeune, un des meilleurs d’entre nous?»

Je le connaissais, en effet; c’était un beau cavalier, presque aussi grand que moi, et très blond.

«Eh bien! il est couché là-haut, avec une balle dans le bras.

– Mille tonnerres!

– Après le dîner, il est sorti seul pour faire un tour dans les bois, en ayant soin pourtant de ne pas s’éloigner. Il a, à un moment, aperçu trois hommes dans un fourré: l’un a tiré. Comme il était sans arme, il a pris sa course vers la maison. Un second coup de feu l’a atteint au bras. Il a eu toutes les peines du monde à se traîner jusqu’ici, et s’est évanoui en arrivant. Ils n’ont pas osé le poursuivre. C’est une chance.»

Sapt s’arrêta, puis ajouta:

«Ami, cette balle vous était destinée.

– Sans aucun doute, Michel entame les hostilités.

– Je voudrais bien savoir qui étaient ces trois individus, dit Fritz.

– Ne croyez pas, Sapt, repris-je, que j’aie perdu mon temps, ce soir. Je vais vous conter ce que j’ai fait. Mais, vive Dieu! fis-je, en m’interrompant…

– Quoi donc? demanda Sapt.

– Je pense, repris-je, que ce serait bien mal reconnaître l’hospitalité de la Ruritanie si, avant de partir, je ne la débarrassais de ces fameux Six. Avec l’aide de Dieu, je jure qu’il n’en restera pas un vivant.»

Sapt acquiesça de la tête.

XIII L’échelle de Jacob

Le lendemain du jour où j’avais juré de me débarrasser des Six, j’avais, le matin, donné quelques ordres; après quoi, je me reposais plus content et plus tranquille que je ne l’avais été depuis longtemps. Si bien que Sapt, qui devenait fiévreux, s’émerveilla de me trouver enfoncé dans un fauteuil, au soleil, écoutant un de mes amis qui me chantait d’une voix mélodieuse des romances faisant naître en moi la plus douce mélancolie. Telles étaient nos occupations quand le jeune Rupert Hentzau parut. Le coquin ne craignait ni Dieu ni diable; il venait de traverser tout notre territoire aussi tranquillement que s’il avait galopé dans le parc de Strelsau. Il s’approcha de l’endroit où nous nous tenions, et, me saluant avec un respect affecté, me pria de bien vouloir l’entendre sans témoins. Il était porteur d’un message du duc. Je fis signe aux gens de ma suite de se retirer, et il s’assit près de moi.

«Puisque nous sommes seuls, soyons sérieux, Rassendyll.» Je me dressai vivement sur mon fauteuil.

«Qu’y a-t-il? interrogea-t-il.

– Monsieur, j’allais appeler un de mes gentilshommes pour lui dire de vous amener votre cheval. Si vous ne savez pas comment on doit parler au roi, je prierai mon frère de chercher un autre ambassadeur.

– Pourquoi prolonger cette comédie? fit-il, en époussetant négligemment sa botte avec son gant.

– Parce que nous ne sommes pas encore au dernier acte; et, en attendant, je prétends prendre le nom qui me convient.

– Comme vous voudrez. Ce que j’en disais, c’était dans votre propre intérêt, car vous êtes un homme comme je les aime; vous me plaisez, mordieu!

– Ma foi, cher monsieur, si vous aimez les hommes qui n’ont jamais manqué à leur parole d’honneur, je suis votre homme.»

Il me jeta un mauvais regard.

«Avez-vous encore votre mère? demandai-je.

– Non, répondit-il; elle est morte.

– C’est une grâce du Ciel», murmurai-je. Je l’entendis qui jurait entre ses dents.

«Quel est donc ce message dont vous êtes porteur?» En lui parlant de sa mère, je l’avais blessé au vif: tout le monde savait que la pauvre femme était morte de chagrin, le misérable l’ayant poussée au plus extrême désespoir par sa perpétuelle vie de désordres. Un instant, il fut désarçonné et perdit son assurance.

«Le duc est plus généreux que je ne le serais moi-même, reprit-il, d’un ton bourru. Une bonne corde au cou, voilà, pour ma part, ce que j’avais proposé de réserver à Votre Majesté. Le duc vous offre un sauf-conduit jusqu’à la frontière et un million de couronnes.