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«Elle est arrivée en Ruritanie à peu près en même temps que ce Rassendyll.»

Je surpris le regard du préfet, tout chargé de questions, fixé sur moi.

«Sapt, fis-je, j’ai un mot à dire au préfet. Voulez-vous prendre les devants avec la princesse?»

Puis j’ajoutai, me tournant vers le digne fonctionnaire:

«Voyons, monsieur, que voulez-vous dire?»

Il se rapprocha devant moi, tandis que je me penchais sur ma selle.

«Peut-être était-il épris de la dame, murmura-t-il… Toujours est-il que voilà plus de deux mois qu’il a disparu.»

Cette fois l’œil du préfet se dirigea vers le château.

«La dame est là, en effet, répondis-je en affectant le plus grand calme; mais je ne pense pas que M. Rassendyll, c’est bien le nom, n’est-ce pas? y soit.

– Le duc, reprit le préfet d’une voix de plus en plus basse, n’aime pas les rivaux, Sire.

– C’est vrai, c’est vrai! fis-je en toute sécurité; mais savez-vous que ce que vous insinuez là est très grave, mon cher préfet?»

Il étendit les mains, d’un geste humble, comme s’il s’excusait. Je me penchai à son oreille.

«C’est une affaire très délicate. Rentrez à Strelsau.

– Mais, pourtant, Sire, si je crois avoir trouvé ici le mot de l’énigme?…

– Rentrez à Strelsau, répétai-je. Dites à l’ambassadeur que vous êtes sur une piste, mais qu’il faut qu’il vous laisse toute liberté pendant une semaine ou deux. Cela vous donnera du temps. Je veux prendre moi-même la chose en main.

– C’est que l’ambassadeur est très pressant, Sire.

– Il faut lui faire prendre patience. Que diable! Savez-vous que, si vos soupçons se confirment, c’est une affaire qui peut avoir les dernières conséquences et qui demande la plus grande circonspection? Pas de bruit, par de scandale. C’est entendu, n’est-ce pas? Vous rentrerez à Strelsau dès ce soir.»

Il m’en donna sa parole, et je piquai des deux pour rejoindre mes compagnons, l’esprit un peu plus tranquille. Il fallait absolument que les enquêtes me concernant fussent interrompues pendant une semaine ou deux; or cet habile préfet s’était, de façon surprenante, approché de la vérité. Son sentiment pouvait m’être utile quelque jour; mais, si jamais ses recherches eussent abouti en ce moment, cela eût pu être fatal au roi. Au fond du cœur, je maudis George Featherly de n’avoir pas su tenir sa langue.

«Eh bien! demanda Flavie, est-ce fini? Avez-vous réglé vos affaires?

– Le mieux du monde. Voulez-vous que nous rentrions maintenant? Nous voilà presque en territoire ennemi.»

Nous étions, en effet, arrivés à l’extrémité de la ville, là où commence la colline qui monte au château de Zenda. Comme nous levions les yeux pour admirer la massive beauté de ses vieux murs, nous aperçûmes un cortège qui descendait la colline et se déroulait en longs zigzags. Il approchait.

«Tournons bride, fit Sapt.

– J’aimerais mieux rester», dit Flavie.

J’arrêtai mon cheval à côté du sien. Nous pouvions maintenant saisir quelques détails. Venaient d’abord deux serviteurs dont la livrée noire n’était relevée que par des galons d’argent. Ils précédaient un char attelé de quatre chevaux. Sur le char, sous un lourd drap mortuaire, reposait une bière; par-derrière venait un homme à cheval, en grand deuil, le chapeau à la main.

Sapt se découvrit, et nous attendîmes. Flavie, serrée contre moi, avait posé sa main sur mon bras.

«C’est sans doute un des gentilshommes tués dans la bagarre», dit-elle.

Je fis signe au groom.

«Allez demander qui ils escortent», fis-je.

Le groom s’adressa d’abord aux serviteurs, puis, au gentilhomme à cheval qui accompagnait le convoi.

«C’est Rupert de Hentzau», fit Sapt à voix basse.

C’était, en effet, Rupert. Il fit signe au cortège de s’arrêter, et s’avança au trot vers nous. Il était en redingote, étroitement boutonnée. Son aspect était fort sombre et il me salua avec les marques du plus profond respect. Sapt, en le voyant approcher, eut un geste qu’il ne put réprimer – le geste de prendre son revolver – et qui fit sourire le coquin.

«Votre Majesté a fait demander qui nous escortions? Hélas! c’est mon pauvre ami Albert de Laengram.

– Personne, monsieur, ne regrette plus que moi cette malheureuse affaire. Mon ordonnance, que j’entends faire respecter, en est bien la preuve.

– Pauvre homme!» fit Flavie de sa voix douce.

Je vis les yeux de Rupert s’allumer, tandis qu’ils se posaient sur la princesse, et je me sentis rougir: il m’était odieux de supporter que le regard de ce misérable l’effleurât seulement.

«Je remercie Votre Majesté de ses bonnes paroles, répondit-il. Je pleure mon ami, et pourtant, Sire, ce ne sera pas le dernier; d’autres iront le rejoindre où il repose.

– C’est une vérité que personne d’entre nous ne doit oublier, répliquai-je.

– Même les rois, Sire», continua Rupert d’un ton prêcheur.

J’entendais Sapt qui sacrait tout bas à mes côtés.

«Vous avez parfaitement raison. Et comment va mon frère?

– Il est mieux, Sire.

– J’en suis ravi.

– Il espère pouvoir sous peu rentrer à Strelsau; sa santé le lui permettra bientôt, je pense.

– Cette convalescence est bien longue!

– Quelques petites misères encore, répondit l’insolent personnage de l’air le plus gracieux du monde.

– Veuillez l’assurer, dit Flavie à son tour, que je souhaite qu’il en voie bientôt la fin.

– Je m’associe humblement au vœu que daigne faire Votre Altesse Royale», répondit Rupert.

Je saluai, et Rupert, s’inclinant très bas, faisant faire volte-face à son cheval, donna ordre au cortège de se remettre en marche. Tout à coup, poussé par je ne sais quel instinct, je piquai des deux et je le rejoignis. Il se retourna vivement, craignant, en dépit de la présence du mort et de celle de la princesse, que je n’eusse de mauvaises intentions à son égard.

«Vous vous êtes battu en brave, l’autre nuit, lui dis-je. Vous êtes jeune. Eh bien! je vous promets que, si vous remettez votre prisonnier sain et sauf entre nos mains, il ne vous arrivera aucun mal.»

Il me regarda avec un sourire ironique; puis, tout à coup, se rapprochant de moi:

«Je ne suis pas armé, dit-il, et le vieux Sapt, de là-bas me descendrait sans la moindre difficulté.

– Je suis sans inquiétude, fis-je.

– Je le sais bien, pardieu! s’écria-t-il. Écoutez, je vous ai fait une fois une proposition au nom du duc.

– Ne me parlez pas du duc Noir, m’écriai-je.

– Cette fois, ce n’est pas au nom du duc que je parle, c’est au mien.»

Il baissait la tête.

«Attaquez le château hardiment; que Sapt et Tarlenheim conduisent l’assaut.

– Après?

– Fixons l’heure tout de suite.

– Vous me croyez donc une grande confiance en vous?